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en fîmes cadeau à Peter, « l’écolo de salon » qui, à l’époque, nous avait succédé chez le fermier bio en Allemagne. A l’endroit où s’était trouvé la caravane, nous construisîmes un toit en tôle ondulée, afin d’y stocker le foin avant de le monter.

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      La maman de Doris et son frère avaient annoncé leur visite. Les enfants étaient tout excités, car grand-mère avait toujours sa voiture bourrée de surprises et de friandises. En dehors des oursons Haribo, surtout des produits bio, introuvables en France. Nous étions en train de faucher le pré derrière le pont du ruisseau, quand nous entendîmes une voiture approcher. Les enfants l’avaient reconnue les premiers et se précipitèrent. Quelle joie de se revoir ! Nous nous assîmes dans l’herbe et échangeâmes sur les derniers évènements en sirotant une bière blanche allemande sortie de la malle insondable de la voiture d’Oma. Puis tous les autres montèrent à la maison, pendant que Reiner, le frère de Doris, m’aidait à faire le foin.

      Plus tard Elie monta et pressa les balles. Cela facilitait le transport. Le propriétaire du pré voisin n’avait pas encore commencé le foin au village. On était au mois de juillet, et si nous ne nous dépêchions pas, il ne resterait que de la paille à la place du foin. Car l’herbe, une fois montée en graines, sèche vite et meurt. Le meilleur moment pour faucher est avant la montée en graine. Et bien sûr, quand le temps est favorable ! Je coupai un passage à travers le pré du voisin afin d’arriver dans notre pré. Elie étant horrifié refusa d’y passer avec son tracteur. « Il est capable de me foutre les gendarmes au cul si j’ose passer sur ses terres ! » Alors on porta tout le foin à la fourche au premier pré afin de le presser. Nous mîmes les balles faites avec l’herbe du passage debout et posions un sac en plastique dessus. Ainsi il voyait qu’on n’avait rien pris !

      *

      Enfin nous pouvions nous occuper des prés de la ferme ! Les fougères que j’avais coupées il y a quelques semaines afin de les utiliser comme litière avaient jauni à cause du soleil et s’émiettaient en ratissant. Alors je pris le briquet et mis le feu aux andains afin que le soleil puisse toucher le sol. Un peu plus et ça aurait tourné à la catastrophe, car le vent se leva et attisa les petites flammes en un brasier, en emportant des particules incandescentes haut dans les airs vers la forêt ! Et je n’avais même pas de pelle pour les éteindre en tapant dessus, seulement ma fourche de misère ! Le vent, une fois lassé de sa danse avec l’air scintillant, laissa ruisseler les braises sur le sol asséché de la forêt, créant de nouveaux foyers. Des fines colonnes bleuâtres perçaient la couche de feuilles de l’année précédente, prêtes à se propager. Je me précipitai de l’une vers l’autre afin de les éteindre avec un mouvement de rotation de mes bottes. Le rayonnement du feu, ma panique d’un feu de forêt, et ma course folle m’amenèrent au bord de l’épuisement. Et soudain le feu s’effondra, les andains étant consumés et le vent ne trouva que des cendres noires qu’il laissa retomber vers le sol, déçu !

      Quand je fus assuré qu’aucun foyer caché ne somnolait dans les feuilles, je m’assis à l’ombre d’un bouleau, adossé contre son tronc lisse. L’air sentait la fumée. Et soudain j’aperçus notre vallée sous mes pieds avec une telle clarté ! Je n’en avais connue de semblable auparavant qu’en plongeant sous l’eau ! La forêt s’était parée de sa robe de début d’été, les vertes collines s’alignaient les unes derrière les autres, le ciel bleu englobait tout comme une demi-sphère. Depuis mon point de vue, tout ressemblait à un monde miniature. Et d’en bas, où j’apercevais le toit de notre maison légèrement courbée, des rires d’enfants et des aboiements arrivait jusqu’à moi. Je caressai la terre, laissai glisser ma main sur l’écorce de l’arbre, j’étais heureux ! Je remerciai le ciel et la terre de m’avoir engendré et de m’avoir permis d’être ici ! Et je savais : le travail était le prix qu’ils demandaient en retour. Car dans cet univers tout est un échange permanent : donner et recevoir !

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       Pour faciliter notre travail nous avions acquis à petits prix, parfois en travaillant, divers outils de fenaison. Le premier étant une faucheuse, entièrement en fonte, normalement tractée par deux bêtes. Mais nous n’en avions qu’une. Le mécanisme de fauche était actionné par les roues crantées. Cette machine faisait un tel poids qu’on avait du mal à la monter en haut de la côte. Il fallut nous atteler avec la jument ! Quand finalement nous fûmes arrivés en haut, la jument s’écroula par terre, couverte de mousse, et nous aussi. Nous nous aperçûmes que jamais nous ne pourrions faucher nos prés avec ! Nous rangeâmes l’engin dans un coin pour ne plus le toucher.

       Une autre machine, pareillement actionnée par les roues, était une faneuse. Celle-là déjà, était plus légère ! Son ancien propriétaire l’avait transformée pour l’atteler derrière son tracteur. Nous montâmes deux tubes métalliques à la place du timon pourri et y conduisîmes Calina en reculant. Cela lui plaisait déjà mieux ! A travers le châssis, une sorte de vilebrequin était posé dans des roulements, actionné par la rotation des roues. Celui-ci faisait bouger plusieurs fourches à l’arrière. Celles-ci retournaient le foin en le jetant dans l’air. Les enfants baptisèrent l’engin « pattes de Frodo » parce qu’il travaillait de la même manière que le chien. Celui-ci aimait courir derrière la machine pour happer le foin tourbillonnant dans l’air. Le terrain étant trop en pente, je préférais ne pas monter sur le siège mais plutôt courir à côté et guider le cheval.

       Dans un hameau, nous avions découvert un râteau-andaineur. Il mesurait dans les 2 mètres 50 et était équipé sur toute sa largeur de dents en demi-cercle qui, en avançant, glissaient sur le sol et ramassaient le foin en forme de grosses saucisses. Les enfants l’appelèrent la « machine à saucisses de foin ». Quand assez de foin s’était accumulé devant les dents, en appuyant sur un levier celles-ci se levaient en l’air par la rotation des roues, laissant derrière elles une « saucisse » de foin de la hauteur des hanches. Tout l’art consistait à déposer les bouts de « saucisses » de manière à ce qu’elles forment des rangées que nous pouvions charger sur le traîneau. Souvent nous préférions le travail manuel, car par un ratissage intelligent nous arrivions à raccourcir ou à sauter certaines étapes.

       Le fauchage se faisait à la motofaucheuse. En altitude l’herbe poussait si clair, qu’elle ne pouvait pas bourrer la barre de coupe. Et au lieu de la retourner, il suffisait de procéder à un ratissage par étapes. A l’aide de deux troncs de frêne légèrement courbés et quelques planches je bricolais un traîneau assez long, muni d'une sorte de large échelle en bois à l’avant et à l’arrière, légèrement inclinée vers l’extérieur. Entre ces deux supports nous posions le foin, et, une fois que c’était plein, nous le serrions et le fixions à l’aide d’une corde. Pour faciliter le chargement, nous le ratissions d’abord en gros tas. Mais notre poulain prenait trop de plaisir à se rouler dans ces tas et à les éparpiller de nouveau. Nous n’avions pas d’autre choix que de l’enfermer momentanément. Notre Calina semblait fière de nous montrer de quoi elle était capable ! Elle se laissait tomber dans son harnais et traînait les charges vers la grange. Grâce à une fourche plus longue nous montions le foin au grenier.

      Combien de fois le soir nous pensions « maintenant tout est plein » ! Et le lendemain le foin s’était tassé et nous désespérions presque. Nous nous sentions comme Sisyphe. Eh bien, pas tout à fait. Car nous le faisions volontiers et à un moment donné notre corvée pris fin. Le dernier foin était dedans !

      *

      Les journées étaient longues. Pas seulement parce qu’on était en été. C’était le travail qui réglait la longueur de la journée. Le coq nous réveillait le matin. Puis nous mangions du muesli avec du lait et du miel de Roger. Puis nous trayions les vaches. Chacun de nous s’était créé son domaine, même si souvent il devait donner un coup de main à l’autre. Le domaine de Doris était grosso modo les enfants,

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