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égyptienne sont encore loin de nous être connus. On a bien recueilli quelques tableaux et des inscriptions relatives à un certain nombre de métiers, tels que la charpenterie, la menuiserie, la tannerie, la construction navale, le transport des masses, la verrerie, l'art du charron, du forgeron, du cordonnier, de l'émailleur, etc., etc., etc.; mais les voyageurs qui ont dessiné ces tableaux ont, pour la plupart, négligé les légendes explicatives qui les accompagnent, et aucun d'eux n'était en état de lire, sur les monuments où ces tableaux ont été copiés, les dates précises de l'époque où ces divers arts furent pratiqués. Nous ignorons donc si la plupart de ces arts sont vraiment d'origine égyptienne, propres à l'Égypte, ou s'ils ont été introduits par l'influence des peuples anciens qui, comme les Perses, les Grecs et les Romains, ont tenu ce pays sous leur domination. C'est donc encore ici une question très-importante à éclaircir pour l'histoire de l'industrie humaine; et cependant il en est beaucoup d'autres encore et d'un intérêt bien plus relevé.

      «Si l'historien s'enquiert d'abord des bas-reliefs historiques et ethnographiques, des scènes domestiques qui peignent les moeurs de la nation et celles des souverains, etc., il demande précisément les objets qui sont le moins éclaircis.» Ainsi s'exprimait, il y a douze ans, M. de Heeren, un des hommes les plus distingués de l'Allemagne; et tout ce qu'on a publié depuis, loin de remplir cette importante lacune, n'a pu qu'augmenter encore les regrets des savants qui apprennent seulement par des dessins pris au hasard, au milieu de séries immenses de bas-reliefs, que les grands édifices de l'Égypte offrent encore, sculptée dans tous ses détails, l'histoire entière de ses plus grands souverains, et que des compositions d'une immense étendue y retracent les époques les plus glorieuses de l'histoire des Égyptiens; car ce peuple a voulu qu'on pût lire sur les murs des palais l'histoire de ses plus illustres monarques, et c'est la seule nation qui ait osé sculpter sur la pierre de si grands objets et de si vastes détails.

      L'Europe savante connaît l'existence de cet amas de richesses historiques: son ardent désir serait d'en être mise en possession. Elle a jugé que nos progrès dans les études égyptiennes demandent qu'un gouvernement éclairé se hâte d'envoyer enfin en Égypte des personnes dévouées à la science et convenablement préparées, pour recueillir, tant qu'ils subsistent encore, les innombrables et précieux documents que la magnificence égyptienne inscrivit jadis sur les édifices dont les masses imposantes couvrent les deux rives du Nil. L'Europe, sachant aussi que la barbarie, toujours croissante, détruit systématiquement ces respectables témoins d'une antique civilisation, hâte de tous ses voeux le moment où des copies fidèles de ces inscriptions et de ces bas-reliefs historiques lui donneront le moyen de remplir avec certitude les plus anciennes pages des annales du monde, en perpétuant ainsi les témoignages si nombreux et si authentiques tracés sur tant de monuments dont rien ne saurait remplacer la perte. Un voyage littéraire en Égypte est donc aujourd'hui l'un des plus utiles qu'on puisse entreprendre. Mais ce n'est point à l'histoire seule de l'Égypte que le voyage proposé dans ce Mémoire doit fournir des lumières qu'on chercherait vainement autre part que dans les palais de Thèbes: c'est là qu'existent également, et nous en avons la certitude, des notions aussi désirables qu'inespérées, sur tous les peuples qui, dès les premiers temps de la civilisation humaine, jouaient un rôle important en Afrique et dans l'Asie occidentale. Les principales expéditions des Pharaons contre les nations qui, dans cet ancien monde, pouvaient lutter de puissance avec l'Égypte ou lui inspirer des craintes, sont sculptées sur les monuments érigés par les triomphateurs: on y lit les noms de ces peuples, le nombre des soldats, les noms des villes assiégées et prises, les noms des fleuves traversés, ceux des pays soumis, la quotité des tributs imposés aux peuples vaincus; et les noms des objets précieux enlevés à l'ennemi sont écrits sur des tableaux qui représentent ces trophées de la victoire. Ces bas-reliefs, entremêlés de longues inscriptions explicatives, sont d'autant plus utiles à connaître que les artistes égyptiens ont rendu avec une admirable fidélité la physionomie, le costume et toutes les habitudes des peuples étrangers qu'ils ont eu à combattre. Nous pourrons donc apprendre enfin, par l'étude directe de cette immense galerie historique, quelles nations pouvaient balancer, à des époques sur lesquelles l'histoire est encore muette, le pouvoir des Pharaons en rivalisant avec l'Égypte, pour lui disputer l'empire de cet ancien monde que nous n'apercevons encore qu'à travers mille incertitudes, mais dont la réalité, déjà démontrée, n'en est pas moins surprenante; toutefois, en rapportant le temps de ces grandes scènes à des époques beaucoup plus rapprochées de nous que ne le voulait un esprit de système plus hardi que raisonné.

      On ne saurait fixer l'importance des découvertes historiques que peut amener une étude approfondie des bas-reliefs qui décorent les édifices antiques de l'Égypte, et surtout ceux de Thèbes, sa vieille capitale. Ce pays s'est en effet trouvé en relation directe avec tous les grands peuples connus de l'antiquité: si ses vénérables monuments nous montrent une foule de peuples à demi sauvages du continent africain, vaincus et déposant aux pieds des Pharaons l'or, les matières précieuses, les oiseaux rares et les animaux curieux de l'intérieur d'un pays encore si peu connu, nous trouvons d'autre part le tableau des luttes sanglantes des Égyptiens, soit sur terre, soit sur mer, avec diverses nations asiatiques (les Assyriens, les Bactriens et les Hindous peut-être), nations qui combattent avec des armes égales et des moyens tout aussi avancés que ceux des Égyptiens, leurs rivaux. Nous savons, à n'en point douter, que les temples et les palais de l'Égypte offrent les images et des inscriptions contemporaines des rois éthiopiens qui ont conquis l'Égypte, au milieu des monuments des Pharaons, dont ils ont momentanément interrompu la longue et brillante succession. On y recueillera les annales des rois égyptiens les plus renommés, tels que les Osimandyas, Amosis, les Rhamsès, les Thouthmosis; ailleurs celles des Pharaons Sésonchis, Osorchon, Sévéchus, Tharaca, Apriès et Néchao, que les Livres saints nous peignent entrant dans le coeur de la Syrie à la tête d'armées innombrables. On réunira les copies du peu de monuments élevés sous la tyrannie des rois persans, les Darius et les Xerxès; on notera les lieux où se lisent encore le grand nom d'Alexandre, celui de son frère, de son jeune fils, et ceux des successeurs de cet homme qui releva l'Égypte foulée par le gouvernement militaire des Perses. On éclaircira toute l'histoire des Lagides; et cet examen des inscriptions monumentales se terminera en recueillant, sur les mêmes édifices qui ont précédé tant d'empires, leur ont survécu, et qui ont vu passer tant de gloires, les noms les plus illustres de Rome gouvernée par les empereurs. Ainsi les monuments de l'Égypte conservent des inscriptions qui se lient à l'histoire ancienne tout entière, et en recèlent une grande partie que les écrivains ne nous ont point conservée: c'est donner une idée de l'immense moisson de faits et des documents qu'un gouvernement protecteur des sciences utiles peut assurer aux études solides, en ordonnant l'exécution d'un voyage auquel sont directement intéressés les progrès de toutes les sciences historiques. Ajoutons enfin que ce voyage, où l'on pourra étudier et comparer entre elles le nombre immense d'inscriptions qui couvrent tous les monuments de l'Égypte, avancerait avec une merveilleuse rapidité nos connaissances sur l'écriture hiéroglyphique, et qu'il fournira, sans aucun doute à cet égard, des lumières qu'on ne pourrait peut-être point obtenir d'une étude de plusieurs siècles faite en Europe sur les seuls monuments égyptiens que le hasard y ferait transporter à l'avenir. Sous ce point de vue seul, les résultats du voyage projeté seraient inappréciables.

      Les travaux des Français qui firent partie de l'expédition d'Égypte n'ont fait que préparer l'Europe savante à de tels résultats, en lui montrant, par le trop petit nombre de dessins pris sur les monuments historiques, tout ce qu'elle doit désirer encore, et tout ce qu'on peut attendre d'un examen approfondi et d'un voyage dont ces monuments seront l'objet principal. Ces recherches, qui doivent produire tant de fruits et jeter tant de lumières sur l'obscurité des temps antiques, étaient impossibles alors. On n'avait, en effet, à la fin du siècle dernier et dans les premières années du siècle présent, aucune donnée positive sur le système des écritures égyptiennes; aussi les membres de la Commission d'Égypte, et la plupart des voyageurs qui ont marché sur leurs traces, persuadés peut-être qu'on n'arriverait jamais à l'intelligence des signes hiéroglyphiques, ont-ils attaché moins d'intérêt à copier avec exactitude les longues inscriptions en caractères sacrés qui accompagnent les figures mises en scène dans les bas-reliefs historiques; il les ont presque toujours négligées,

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