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La Bretagne: Paysages et Récits. Eugène Loudun
Читать онлайн.Название La Bretagne: Paysages et Récits
Год выпуска 0
isbn 4064066090180
Автор произведения Eugène Loudun
Жанр Книги о Путешествиях
Издательство Bookwire
[Note 1 : A Goueznou, à Plabennec, etc.]
[Note 2 : On voit aussi, en Algérie, de petites coupes creusées dans les pierres sépulcrales des musulmans ; mais cette eau ne sert qu'à désaltérer les oiseaux ou à arroser les fleurs qui ornent la tombe.]
Mais, à Saint-Thégonec, un sentiment plus respectueux ou plus tendre a voulu du moins conserver intacte une partie de ces corps arrachés à la terre. Avant d'entrer dans l'église, on est frappé d'un spectacle inattendu : à toutes les saillies du bâtiment, sous les porches, sur la corniche antérieure, sont alignées, accrochées, suspendues l'une à l'autre, une multitude de petites boites comme un chapelet ; ces petites boîtes, surmontées d'une croix, sont des cercueils, elles renferment le crâne des ancêtres, la tête, ou, selon le mot expressif de la vieille langue, le chef, ce qu'il y a de plus noble en l'homme et qui semble le résumer. Une inscription indique la date et le nom :
Ci gît le chef de...
On le voit par une petite ouverture en forme de cœur, autre symbole touchant. Ce sont les archives funèbres des familles, non renfermées dans la maison où l'habitude les eût fait oublier, mais à l'ombre de l'église, devant lesquelles les générations nouvelles passent et se découvrent, le dimanche en venant prier[1].
[Note 1 : A Locmariaker, ce ne sont pas seulement des cercueils à têtes, mais des petits cercueils en miniature qui contiennent tous les os, et qui sont empilés l'un sur l'autre dans l'ossuaire, comme des ballots.]
Çà et là, sur la corniche, exposés à l'air, gisent quelques crânes de morts qui n'ont pas eu de famille et à qui l'on n'a pas donné de cercueil, verdis, les yeux pleins de gravier, à travers lesquels pointent des brins d'herbe, souvent penchés l'un vers l'autre, celui-là appuyé peut-être sur celui qui fut son ennemi en ce monde.
Après avoir passé entre ces deux rangs de cercueils suspendus, on entre dans l'église, et cette église est comme un résumé de toutes les églises bretonnes : tout s'y trouve, élégant bénitier, boiseries sculptées, chaire en bois, d'un travail merveilleux, chef-d'œuvre de la fin de la Renaissance, une des plus belles chaires de Bretagne ; tableaux en bois, à fermoirs peints, pyramide de patriarches, de rois et de prophètes de l'Ancien Testament, montant de la terre au ciel, jusqu'à la sainte Vierge ; voûte d'or et d'azur au fond tout étincelant ; le chœur, l'autel et les chapelles latérales, chargés de statues, colonnes torses, têtes d'anges, fleurs, guirlandes, dorées et peintes de toutes couleurs, un ruissellement d'or, de verdure, de rouge éclatant et d'azur.
De cet ensemble reluisant et vivant, une porte seule, sur le côté, se détache haute et nue ; pas de sculptures, pas d'ornement ; les pierres suintent l'humidité ; les assises qui ont pris une teinte noire, séparées par un ciment blanc, ont un aspect lugubre ; c'est comme un grand voile de deuil tendu dans un coin ; et, en effet, c'est la porte des morts. Vous l'ouvrez, et vous vous arrêtez ébloui : c'est là le cimetière, et, dans le cimetière, devant vous, à droite, à gauche, une réunion inattendue de monuments : sous le porche où vous êtes, des deux côtés, les statues alignées des douze Apôtres ; en face, une large porte à trois arcs, d'un style imposant, la porte du cimetière, et l'on dirait d'une arche triomphale, comme si ces Bretons avaient voulu marquer que celui qui passe sous cette porte, couché dans le cercueil, entre non dans la terre, mais dans la vie éternelle, le séjour de la joie et de la gloire ; à droite, une chapelle funéraire, du même temps que le Louvre de Henri IV, décorée, sculptée du bas en haut, comme une châsse immense taillée en granit ; enfin, à gauche, monument capital entre tous ces monuments, le Calvaire, un de ces calvaires compliqués, tels qu'on n'en trouve qu'en Bretagne, un peuple de statues, quatre-vingts ou cent personnages en pierre, dans les attitudes les plus naturelles et les plus naïves, disciples, prophètes, saintes femmes, larrons sur leurs gibets, gardes sur leurs chevaux, et, dominant toute cette foule, l'arbre de la croix, colossal, à plusieurs étages, croix sur croix, aux branches chargées de statues, la Vierge, saint Jean, les gardes, et, tout au faîte, le Christ, les bras étendus sur le monde et les yeux au ciel ; et les anges, suspendus dans les airs, recueillant dans des coupes le sang précieux de ses mains[1].
[Note 1 : Les calvaires de Plougastel et de Pleyben, bourgs si remarquables du reste par leur belle église, sont plus compliqués et plus grands, mais non d'un effet plus saisissant.]
Et ce n'est pas tout : entrez dans la crypte de la chapelle funéraire ; et là, vous vous trouverez en face d'un autre chef-d'œuvre, l'ensevelissement du Christ, exécuté dans des proportions colossales, cette scène qui a inspiré de tout temps les plus grands artistes. Ces statues sont peintes, et ici la peinture, au lieu de diminuer l'impression, la complète, en donnant à ces personnages si vivement émus l'apparence même de la vie : vous les entendez crier, vous voyez leurs larmes sur leurs visages pâlis ; la Vierge, les lèvres pressées sur les pieds livides de son divin Fils, la Madeleine bouleversée par la douleur, belle encore au milieu des pleurs qui inondent son visage : vous devenez acteur en cette scène passionnée, vous êtes saisi, pour ainsi dire, par la réalité, le coup de leurs souffrances vous frappe au cœur, et, ébranlé jusqu'au plus profond de l'âme, vous êtes étonné de sentir des larmes qui coulent de vos yeux.
Et quand on songe que ces œuvres d'art religieuses sont répandues avec la même profusion dans toute la Bretagne ; que, dans les bourgs les plus éloignés de toute route et de tout centre, à Saint-Herbot, dans les montagnes Noires, dans un pays de landes, à Saint-Fiacre, qui n'est qu'un petit village voisin du Faouet, moins même qu'un village, un misérable hameau de cinq ou six maisons, dans la chapelle de Rozegrand, près de Quimperlé ; modeste manoir qui mérite à peine, le nom de château, on rencontre des jubés de bois sculpté, peints, dorés, chargés de centaines de personnages, et dont s'enorgueilliraient les plus riches églises, œuvres admirables qui reproduisent avec une abondance infinie l'histoire, les prodiges et les mystères de la religion, et conservent chez le peuple et raniment et accroissent l'ardeur de la foi, on ne peut s'empêcher de se demander : Quelle est donc la cause de cette multitude d'ouvrages d'art qui ont surgi sur toute la surface de ce sol, et quelle force a donné aux auteurs de ces œuvres tant de qualités si rares : fécondité d'invention, vérité du geste, expression de la physionomie, sentiment vrai et profond de ces scènes divines ? Dans tous ces monuments du moyen âge, c'est la même vérité, la même puissance d'imagination ; jamais l'artiste ne se répète, il ne se lasse pas, il ne semble pas avoir cherché, comme un musicien qui a une multitude d'airs dans la tête ne s'arrête sur un motif que le temps de l'exprimer avec une vivacité rapide, et passe à un autre et vous entraîne dans sa course inspirée.
Il y a une cause, en effet, à cette puissance de création : cette société, comme un homme qui est parvenu à sa maturité, avait accompli tous les travaux nécessaires au but qu'elle devait atteindre. Les premiers siècles l'avaient préparée, elle s'était dégagée des langes de l'antiquité, sa langue était faite, ses idées religieuses arrêtées ; la république chrétienne est logiquement