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histoire. Certains restent muets et presque immobiles, m’ignorent tout le trajet. Alors que d’autres sont tellement nerveux… Comme si le siège leur brûlait le cul. Et ils racontent n’importe quoi, comme vous.»

      Loreley put le voir sourire dans le rétroviseur et s’efforça de le lui rendre, encaissant la réponse grinçante.

      «Mais il y a une chose qu’ils ont tous en commun, continua-t-il. Une urgence infernale d’arriver à destination.

      Elle respira profondément pour se calmer.

      –Je me suis déjà excusée, qu’est-ce que je peux faire d’autre?

      –Rien! Je préfère les clients comme vous, Mademoiselle, à ceux momifiés.»

      Cette-fois, Loreley lui sourit avec plus de conviction. Avec tout l’argent que je t’ai donné! pensa-t-elle en posant sa tête sur l’appuie-tête.

      La douleur dans sa nuque avait suffisamment diminué pour lui permettre de travailler, mais ne l’avait pas tout à fait quittée.

      C’était peut-être le bon moment de recourir à un analgésique: le médecin lui avait répété plusieurs fois de le prendre quand la douleur n’était pas encore trop forte et de doubler la dose uniquement si c’était nécessaire. Mais son obstination et ses nombreuses occupations l’avaient conduite à le faire de façon aléatoire, avec pour résultat qu’en quelques années, elle s’était retrouvée à avoir besoin d’une dose plus importante.

      Elle sortit la petite boîte en argent de son sac, l’ouvrit, prit un comprimé et la referma, s’arrêtant pour observer les deux L en or brillant gravés sur le couvercle: Lorenz Lehmann à une époque, son grand-père; aujourd’hui, Loreley Lehmann.

      Comme elle le craignait, elle arriva en retard au tribunal. Bien que le chauffeur n’ait pas réussi à tenir sa promesse, elle lui laissa la somme entière, déjà importante, pour compenser le fait qu’il avait dû supporter sa nervosité.

      Elle monta le large escalier de marbre qui menait à l’entrée du bâtiment en courant, dans l’espoir d’assister au moins au verdict. Elle savait heureusement où aller et ne devait pas perdre davantage de temps à demander des informations: c’était facile de se perdre dans cet environnement si vaste si on ne le connaissait pas parfaitement.

      Loreley comprit avant même d’entrer dans la salle que la sentence du cas Desmond avait été prononcée: la porte était ouverte et quelques personnes sortaient.

      Merde, trop tard! Sa main se ferma en poing et elle frappa une surface invisible.

      Immobile sur le seuil, elle jeta un coup d’œil rapide à l’intérieur: la lumière qui filtrait à travers les volets aux fenêtres était faible, mais suffisante pour voir la tension encore présente sur le visage des gens; public et jurés quittaient leur place, comme le juge Sanders, une petite femme âgée, qui emprunta la porte au fond de la salle.

      Loreley entra dans le brouhaha qui allait crescendo, pour chercher son collègue Ethan Morris. Elle le trouva debout à côté de l’accusée, Leen Soraya Desmond.

      Comme s’il avait perçu son arrivée, Ethan se tourna vers elle et esquissa un sourire forcé. Un instant plus tard, Leen se tourna également et ses yeux orientaux s’étrécirent.

      «Ça ne se terminera pas comme ça Lehmann! lui hurla-t-elle. J’aurai ma revanche tôt ou tard!» Tandis que deux agents en tenue l’emmenaient, elle porta son attention sur un homme brun qui observait la scène à distance. «Mon père se souviendra de toi et de ce que tu m’as fait… Toujours!

      –Je n’oublierai pas moi non plus, Leen! Tu peux en être certaine» lui répondit-il d’une voix forte et déterminée.

      Curieuse, Loreley examina l'objet, ou plutôt le sujet de tant de rancœur, et se raidit dès qu’elle le reconnut, le fixant comme en transe. Dans sa tête, les images de la vieille pellicule reprirent leur cours, claires et rapides cette fois, sans interruption.

      Oh, mon Dieu! C’est lui!

      «Qu’est-ce qu’il t’arrive? C’est à cause de ce que ma cliente t’a dit? lui demanda Ethan en s’approchant.

      Elle déboutonna la veste bleue ajustée qui l’empêchait de respirer, jusqu’à ce que sa poitrine se soulève pour faire entrer l’air dans ses poumons.

      –Pas vraiment. Je suis juste un peu fatiguée.

      L’avocat lui sourit en acquiesçant.

      –J’imagine qu’hier a été une sorte de tour de force.

      –Oui. Et revoir cette femme… Elle regarda la porte par laquelle Leen venait de sortir. Bah… Ce n’était clairement pas un plaisir. Et je n’ai pas réussi à arriver à temps.

      –Ne t’inquiète pas. Je ne dirai rien de ton retard à Kilmer, ni à lui ni à Sarah. Si tu viens manger avec moi, je te raconterai tout ce qui s’est dit. Au cas où il te ferait subir un interrogatoire, tu sauras quoi lui répondre.

      –Je te remercie. Sache que je ne suis pas arrivée en retard exprès: le taxi a crevé un pneu.

      –Kilmer ne te croirait pas, mais je te connais mieux que lui. Allons manger: c’est le seul plaisir qu’il me reste.»

      L’homme brun qui venait d’avoir un échange haineux avec l’accusée les rejoignit et les arrêta à peine le seuil franchi. Loreley serra la poignée de son sac au point de planter ses ongles dans la paume de sa main.

      «Maître Morris, mes félicitations pour l’excellente défense. Mais je suis heureux qu’elle n’ait pas suffi à vous faire gagner, dit le nouvel arrivant avant de leur sourire, tandis qu’elle faisait un pas en arrière par discrétion.

      –Je peux vous comprendre, Monsieur Marshall. Ethan semblait embarrassé.

      –Je vous souhaite une bonne journée, Maître, dit encore l’autre, avant de tourner son regard vers Loreley. Salut Lory.» Il la fixa longuement, comme s’il voulait lui parler mais ne savait pas quoi dire.

      Submergée de sensations et de pensées contradictoires, elle ouvrit la bouche pour répondre à son salut: elle n’arriva pas à prononcer une parole.

      Il lui sourit, bien que ses yeux d’une couleur proche de l’ambre paraissent sérieux. «La prochaine fois, je préfèrerais que l’on se voie loin de cet endroit» finit-il. Il tourna le dos et s’éloigna.

      Ethan gratta sa nuque rasée de près. «Qu’est-ce que tu as, Loreley? Tu ne l’as même pas salué.

      –Excuse-moi… Je ne sais pas ce qui m’a pris.

      Elle le vit secouer la tête, ses yeux exprimant de la confusion.

      –D’accord, allons-y: je n’ai pas mangé ce matin à cause de la nervosité et, maintenant que tout est terminé, la faim se fait sentir.»

***

      Une semaine s’écoula, durant laquelle Loreley se sentit plus sereine et réussit à ne pas trop penser à ce qu’elle avait fait. Les rares fois où cela arrivait, surtout quand elle était seule au lit, elle chassait ses souvenirs, prenait un livre au hasard et lisait jusqu’à ce que ses yeux rougissent de fatigue et qu’elle s’écroule, endormie; ou elle regardait des documentaires divers à la télévision. Tout convenait pour focaliser son attention sur autre chose.

      Elle se souvenait très peu des heures de passion passées avec cet amant improvisé d’une nuit, mais elle commençait à se rappeler ce qui était arrivé avant de monter dans la chambre avec cet homme.

      Assise à table dans un grand restaurant avec d’autres invités au mariage, Loreley grignotait un morceau du gâteau nuptial quand lui, une coupe de champagne dans une main et une chaise dans l’autre, s’était installé à côté de son ami Steve, face à elle.

      «Toutes les personnes à cette table ont trouvé leur moitié: même Hans et Ester y sont arrivés. Il ne reste que moi, avait-il dit en accompagnant cette dernière phrase d’une gorgée de champagne, comme

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