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péristyle ou d'attendre à sa suite, devant le guichet. Je ne tardai pas à observer que, rarement, malgré son exactitude touchante, on lui remettait autre chose qu'un numéro du Bellsbridge Eagle. Sans même y jeter un coup d'œil, il le fourrait dans la poche de son veston usé. De temps à autre, pourtant, le receveur lui tendait une enveloppe, adressée à Mrs. Zenobia (ou Zeena) Frome, et qui montrait en gros caractères l'adresse d'un fabricant de produits phar-maceutiques et le nom d'une spécialité. Ces papiers rejoi-gnaient aussitôt le journal, comme si le porteur était blasé à force d'en recevoir. Après quoi, il remerciait l'employé d'un petit signe de tête silencieux, et se retirait.

      Chacun dans Starkfield le connaissait. On le saluait au passage, mais on respectait son désir d'isolement, et seuls quelques vieillards se risquaient à l'aborder. Dans ces occa-sions, Frome s'arrêtait un instant, ses yeux bleus fixés grave-ment sur l'interlocuteur, mais il répondait d'une voix si basse que jamais aucune de ses paroles n'était parvenue jusqu'à moi. Puis il remontait péniblement dans son buggy délabré, rassemblait les guides dans sa main gauche, et repartait sans hâte vers la ferme.

      — Ce dut être un effroyable accident, — dis-je au vieil Harmon, un jour, en suivant du regard la démarche pénible de Frome. Je songeais à la belle mine qu'avait dû avoir, jadis, cette tête blonde et énergique de jeune homme.

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      Ethan Frome ~Chapter I

      “Wust kind,” my informant assented. “More’n enough to kill most men. But the Fromes are tough. Ethan’ll likely touch a hundred.”

      “Good God!” I exclaimed. At the moment Ethan Frome, after climbing to his seat, had leaned over to as-sure himself of the security of a wooden box—also with a druggist’s label on it—which he had placed in the back of the buggy, and I saw his face as it probably looked when he thought himself alone. “That man touch a hundred? He looks as if he was dead and in hell now!”

      Harmon drew a slab of tobacco from his pocket, cut off a wedge and pressed it into the leather pouch of his cheek. “Guess he’s been in Starkfield too many winters. Most of the smart ones get away.”

      “Why didn’t he?”

      “Somebody had to stay and care for the folks. There warn’t ever anybody but Ethan. Fust his father—then his mother—then his wife.”

      “And then the smash-up?”

      Harmon chuckled sardonically. “That’s so. He had to stay then.”

      “I see. And since then they’ve had to care for him?”

      Harmon thoughtfully passed his tobacco to the other cheek. “Oh, as to that: I guess it’s always Ethan done the caring.”

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      Sous la neige~ Chapitre I

      — De la pire espèce ! — opina mon informateur ; — presque suffisant pour tuer la plupart des hommes. Mais voilà, les Frome ont le crâne dur, et il y a bien des chances pour que celui-ci atteigne ses cent ans…

      — Grand Dieu !

      Je ne pus retenir ce cri. A ce moment, en effet, Ethan Frome venait de monter sur son siège ; il se retournait pour voir si une caisse de drogues était bien calée à l'arrière du buggy, et j'aperçus sa figure telle qu'elle devait être quand il se croyait seul.

      — Cet homme atteindre cent ans ! — continuai-je, — mais il a l'air déjà mort et enterré !

      Harmon tira de sa poche un bout de tabac, en prit une chique et l'enfourna dans sa vieille joue tannée.

      — Qu'est-ce que vous voulez ? il a passé trop d'hivers à Starkfield… Les malins s'en vont, eux…

      — Pourquoi lui, alors, est-il resté ?

      Ah ! voilà ! … il fallait bien qu'il y eût quelqu'un à la ferme pour soigner son monde… Et il n'y a jamais eu qu'Ethan pour ce métier… D'abord son père, puis sa mère, puis sa femme…

      — Et puis l'accident ? …

      — C'est ça même. Alors, n'est-ce pas ? il a bien été forcé de rester ! — ricana Harmon.

      — Je comprends. Mais, maintenant, c'est eux qui le soignent ?

      Gravement, Harmon passa sa chique dans son autre joue ; puis il reprit :

      — Oh ! quant à ça, non. C'est toujours Ethan, le gar-de-malade…

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      Ethan Frome ~Chapter I

      Though Harmon Gow developed the tale as far as his mental and moral reach permitted there were perceptible gaps between his facts, and I had the sense that the deeper meaning of the story was in the gaps. But one phrase stuck in my memory and served as the nucleus about which I grouped my subsequent inferences: “Guess he’s been in Starkfield too many winters.”

      Before my own time there was up I had learned to know what that meant. Yet I had come in the degenerate day of trolley, bicycle and rural delivery, when communication was easy between the scattered mountain villages, and the bigger towns in the valleys, such as Bettsbridge and Shadd’s Falls, had libraries, theatres and Y. M. C. A. halls to which the youth of the hills could descend for recreation. But when winter shut down on Starkfield and the village lay under a sheet of snow perpetually renewed from the pale skies, I be-gan to see what life there—or rather its negation—must have been in Ethan Frome’s young manhood.

      I had been sent up by my employers on a job con-nected with the big power-house at Corbury Junction, and a long-drawn carpenters’ strike had so delayed the work that I found myself anchored at Starkfield—the nearest habit-able spot—for the best part of the winter. I chafed at first, and then, under the hypnotising effect of routine, gradually began to find a grim satisfaction in the life. During the early part of my stay I had been struck by the contrast between the vitality of the climate and the deadness of the community. Day by day, after the December snows were over, a blazing blue sky poured down torrents of light and air on the white landscape, which gave them back in an intenser glitter. One would have supposed that such an atmosphere must quicken the emotions as well as the blood; but it seemed to produce no change except that of retarding still more the sluggish pulse of Starkfield. When I had been there a little longer,

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      Sous la neige~ Chapitre I

      Dès le premier jour, le vieux conducteur m'avait débité tout ce qu'il savait de l'histoire, mais je pressentais que, pour en démêler les fils secrets, il fallait une plus vive imagination que la sienne. Toutefois une parole d'Harmon s'était gravée dans ma mémoire : « Il a passé trop d'hivers à Starkfield… »

      Ah ! je devais bientôt comprendre le sens profond de ces quelques mots ! Le Starkfield que je connus ne ressemblait guère cependant au village isolé, perdu dans la montagne, où s'était écoulée la triste jeunesse d'Ethan Frome. Il était relié maintenant aux gros bourgs de la région. Le tramway électrique, la bicyclette permettaient aux jeunes gens de descendre, l'hiver, jusqu'à Bettsbridge ou à Shadd's Falls, et d'y passer la soirée au théâtre, dans les bibliothèques, ou aux réunions des « Jeunes Chrétiens ». Mais quand arrive la saison froide, quand le village fut immobilisé sous une couche de neige qui s'accroissait sans répit, quand les vents du nord, tombant d'un ciel d'acier, se prirent à rôder autour des petites maisons de bois qui grelottaient derrière les ormes dépouillés de la Grande Rue, je commençai à deviner ce qu'avait dû être Starkfield alors qu'Ethan Frome avait vingt ans…

      J'avais été envoyé par mes patrons pour surveiller un important travail que nous avait commandée l'usine de force motrice à Corbury Junction. Une grève prolongée des charpentiers ayant retardé la besogne, je me trouvai retenu, cet hiver, à Starkfield, le seul endroit habitable des environs. Dans les premiers temps de mon séjour, je fus très frappé du contraste entre l'air vivifiant du pays et l'apathie des habitants. Lorsque je me promenais sous ce ciel d'un bleu éclatant, je me sentais le sang fouetté. J'étais ébloui par la blancheur ensoleillée des prairies

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