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vous avez conseillé à l’équipe de sécurité de l’hôpital d’interdire à Bolton Crutchfield tout accès aux personnels extérieurs non-autorisés. Il ne peut pas communiquer ma nouvelle identité à mon père.”

      “Combien de fois l’ai-je dit ?” demanda le Dr Lemmon. “Vous avez dû avoir du mal à vous en souvenir.”

      “Disons qu’il a fallu que je l’entende plusieurs fois. De plus, je suis devenue amie avec Kat Gentry, la directrice de la sécurité de la DNR, et, dans l’ensemble, elle m’a dit la même chose : ils ont modifié leurs procédures pour s’assurer que Crutchfield n’ait aucune communication avec le monde extérieur.”

      “Et pourtant, vous n’avez pas l’air convaincue”, remarqua le Dr Lemmon.

      “L’êtes-vous ?” répliqua Jessie. “Si votre père était un tueur en série que le monde connaissait sous le nom de Bourreau des Ozarks et si vous l’aviez personnellement vu éviscérer ses victimes sans jamais se faire capturer, vous sentiriez-vous rassurée par quelques platitudes ?”

      “J’admets que je serais probablement un peu sceptique mais je ne suis pas sûre qu’il soit productif de trop penser à une chose qu’on ne peut pas contrôler.”

      “Je voulais en parler avec vous, Dr Lemmon”, dit Jessie, abandonnant son ton sarcastique maintenant qu’elle avait une requête authentique à soumettre. “Sommes-nous sûrs que je ne contrôle plus la situation ? On dirait que Bolton Crutchfield sait assez bien ce que mon père a fait pendant ces dernières années. Or, Bolton … apprécie ma compagnie. Je me suis dit que je devrais lui rendre une autre visite pour bavarder avec lui. Qui sait ce qu’il pourrait m’apprendre ?”

      Le Dr Lemmon inspira profondément et réfléchit à cette proposition.

      “Je ne suis pas sûre que jouer au plus fin avec un tueur en série notoire soit la meilleure façon d’assurer votre bien-être émotionnel, Jessie.”

      “Savez-vous ce qui serait très bon pour mon bien-être émotionnel, docteur ?” dit Jessie, sentant monter son agacement malgré tous ses efforts. “Ne pas craindre de voir mon père fou me sauter dessus au coin d’une rue pour m’asséner des coups de poignard.”

      “Jessie, si rien que parler de ça vous énerve, que se passera-t-il quand Crutchfield commencera à vous manipuler ?”

      “C’est différent. Avec vous, je n’ai pas besoin de me censurer. Avec lui, je suis une autre personne. Je suis une professionnelle”, dit Jessie en s’assurant maintenant de parler sur un ton plus modéré. “J’en ai assez d’être une victime et cette confrontation serait une chose tangible dans le cadre de laquelle je pourrais changer la dynamique. Pourriez-vous au moins y penser ? Je sais que votre recommandation est quasiment un sésame dans cette ville.”

      Pendant quelques secondes, le Dr Lemmon la regarda fixement de derrière ses épaisses lunettes, la fouillant des yeux.

      “Je vais voir ce que je peux faire”, finit-elle par dire. “À propos de sésames, avez-vous formellement accepté l’invitation à l’Académie Nationale du FBI ?”

      “Pas encore. Je réfléchis encore.”

      “Je pense que vous pourriez y apprendre des tas de choses, Jessie, et, quand vous chercherez du travail, cela fera bien sur votre CV. Si vous ratez cette occasion, je crains que ce ne soit une forme d’auto-sabotage.”

      “Non”, lui assura Jessie. “Je sais que c’est une excellente opportunité mais je ne suis pas sûre que ce soit pour moi le moment idéal de traverser le pays pour aller vivre ailleurs pendant presque trois mois. Pour l’instant, tout mon monde est instable.”

      Elle essayait de ne pas laisser entendre sa nervosité mais l’entendait s’installer discrètement dans sa voix. Visiblement, le Dr Lemmon l’avait remarquée elle aussi car elle changea de rythme.

      “OK. Maintenant que nous avons obtenu une idée générale de votre situation, j’aimerais approfondir quelques sujets. Si je me souviens bien, votre père adoptif est venu récemment par ici pour vous aider à régler vos problèmes. Je veux savoir comment ça s’est passé mais, d’abord, dites-moi comment vous vous remettez sur le plan physique. Je comprends que vous venez d’avoir votre dernière séance de kinésithérapie. Comment s’est-elle passée ?”

      Pendant les quarante-cinq minutes qui suivirent, Jessie eut l’impression d’être un arbre dont on enlevait l’écorce. Quand ce fut terminé, elle fut heureuse de partir, même si c’était pour aller reconfirmer si elle pourrait avoir des enfants dans l’avenir. Elle venait de passer presque une heure à se faire inspecter l’âme par le Dr Lemmon et elle s’imaginait que se faire inspecter le corps allait être très facile. Elle se trompait.

      *

      Ce ne fut pas tellement l’inspection qui la dérouta mais ce qui se passa ensuite. Le rendez-vous en lui-même fut sans histoire. Le docteur de Jessie confirma qu’elle n’avait pas subi de dégâts permanents et lui assura qu’elle devrait être capable de concevoir dans l’avenir. Il lui donna aussi le feu vert pour reprendre les activités sexuelles, chose à laquelle Jessie n’avait franchement pas repensé depuis que Kyle l’avait attaquée. Le docteur avait dit que, sauf événement imprévu, elle devrait revenir pour le suivi dans six mois.

      Ce fut seulement quand elle se retrouva dans l’ascenseur qui descendait vers le parking souterrain qu’elle perdit le contrôle. Sans vraiment comprendre pourquoi, elle eut l’impression de tomber dans un trou sombre creusé dans le sol. Elle courut jusqu’à la voiture et s’assit dans le siège du conducteur, laissant ses sanglots et ses haut-le-cœur lui secouer le corps.

      Soudain, au milieu des larmes, elle comprit. Ce qui l’avait frappée durement, c’était l’irrévocabilité du rendez-vous. Elle n’aurait pas à revenir avant six mois. Ce serait une visite normale. Le stade grossesse de sa vie était, pour autant qu’elle puisse prévoir, terminé.

      Elle sentit presque la porte émotionnelle lui claquer à la figure et la souffrance fut terrible. Son couple avait pris fin de la façon la plus choquante possible, elle avait appris que le père assassin qu’elle pensait avoir relégué dans son passé était de retour dans son présent et, maintenant, comprendre qu’elle avait eu un être vivant en elle et qu’elle n’en avait plus était trop dur à supporter.

      Elle sortit du parking souterrain, la vision brouillée par ses larmes. Elle n’en avait que faire. Elle se rendit compte qu’elle appuyait fort sur l’accélérateur et fonçait vers le sud, sur Robertson. En début d’après-midi, il y avait peu de circulation. Pourtant, elle faisait un zigzag effrayé entre les voies.

      Devant elle, à un feu rouge, elle vit un grand camion de déménagement. Elle appuya violemment sur l’accélérateur et sentit son cou partir violemment en arrière quand elle accéléra. La limitation de vitesse était de cinquante kilomètres-heure mais elle était à soixante-dix, quatre-vingt-dix et elle dépassa les quatre-vingt-seize. Elle était sûre que, si elle heurtait ce camion assez fort, toute sa douleur disparaîtrait en un instant.

      Elle jeta un coup d’œil à sa gauche et, alors qu’elle passait à toute vitesse, elle vit une mère qui marchait sur le trottoir avec son fils en bas-âge. L’idée que ce petit garçon puisse voir une masse de métal froissé, de feu atrocement chaud et de restes humains calcinés la calma immédiatement.

      Jessie freina brusquement et s’arrêta avec un grincement à seulement quelques mètres de l’arrière du camion. Elle tourna dans le parking de la station-essence qui se trouvait à sa droite, se gara et arrêta la voiture. Elle respirait avec difficulté et l’adrénaline courait dans son corps, lui donnant des sensations de picotement désagréables dans les extrémités.

      Quand elle eut passé environ cinq minutes assise là, immobile et les yeux fermés, elle arrêta de haleter et sa respiration redevint normale. Elle entendit un bourdonnement et ouvrit les yeux. C’était son téléphone.

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