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qui me sont les plus chères: ciel et miel.

      Mots finissant en el comme les noms des anges,

      Le ciel que l'on médite et le miel que l'on mange.

      Fernisoun rit bruyamment et, triomphant, s'écria:

      –Nous y voilà donc, Boudiou! Dites-le crûment et sans ambages, ce sont les juifs du sud de l'Europe occidentale que vous préférez. Ce ne sont pas les juifs que vous aimez, ce sont des Latins. Oui des Latins. Je vous ai dit que j'étais juif, monsieur, mais je parlais au point de vue confessionnel, à tous autres égards je suis latin. Vous aimez les juifs dits portugais qui, jadis, faussement convertis, tinrent de leurs parrains espagnols ou portugais des noms espagnols ou portugais. Vous aimez les juifs dont les noms sont catholiques comme Santa-Cruz ou Saint-Paul. Vous aimez les juifs italiens et ceux français, dit Comtadins. Je vous l'ai dit, monsieur, je suis né en Avignon et issu d'une famille y établie depuis des siècles. Vous aimez les noms comme Muscat ou Fernisoun. Vous aimez des Latins et nous sommes d'accord. Vous nous aimez parce que, Portugais et Comtadins, nous ne sommes pas maudits. Non, nous ne le sommes pas. Nous n'avons pas trempé dans le crime judiciaire accompli contre le Christ. La tradition en fait foi, et la malédiction ne nous atteint pas!…

      Fernisoun s'était dressé, rouge et gesticulant, tandis que, resté assis, je le regardais bouche bée. Il se calma, regarda autour de soi et me dit, avec une moue de dédain:

      –Vous êtes bien mal installé, Boudiou! Au demeurant, je m'en bats l'œil. Mais, enfin, vous devriez posséder quelque boisson délicate. Vos visiteurs vous en sauraient gré.

      J'allai à la cheminée, en soulevai le manteau, et pris dans les cendres un flacon de vieille liqueur aux poires bergamotes. Fernisoun le déboucha tandis que je lui cherchais une tasse. En même temps, je lui vantai la finesse de cette liqueur que je tenais d'un distillateur de Durckheim, dans le le Palatinat. Sans m'écouter, il remplit sa tasse jusqu'au bord et la vida d'un trait. Ensuite, il secoua soigneusement les dernières gouttes sur le parquet tandis que je m'excusais:

      –Vous auriez préféré un bol?

      Fernisoun ne daigna pas répondre sur ce point. Il continua:

      –Et puis, au fait, vous avez raison, vous, Latins, de nous aimer, nous juifs latins. Car nous appartenons aux races latines autant que les Grecs et les Sarrazins de Provence et de Sicile. Nous ne sommes plus des métèques, pas plus que tous les individus hétérogènes que les grandes invasions ont fait se mêler aux Romains de l'empire. Nous sommes, en outre, les meilleurs propagateurs de la latinité. Dans la plupart des milieux juifs de Bulgarie et de Turquie, quelle langue parle-t-on, sinon l'espagnol?

      Fernisoun but une nouvelle rasade de liqueur aux poires bergamotes, puis, fouillant dans son gilet, il en tira un cahier de papier à cigarettes. Il me demanda du tabac. Je lui en tendis avec des allumettes. Fernisoun roula une cigarette, l'alluma et, jetant triplement de la fumée par la bouche et les narines, il reprit:

      –En somme, qu'est-ce qui a fait la différence des juifs et des chrétiens? C'est que les juifs espéraient un Messie, tandis que les chrétiens s'en souvenaient. Nietszche s'était approprié l'idée juive. Combien de Latins se sont imprégnés de l'idée de Nietszche et espèrent ce surhumain peu messianique, duquel proclame la venue le Zarathoustra, emprunté au Vendidad, où il célèbre la parole sainte, la très brillante, le ciel qui s'est produit soi-même, le temps infini, l'air qui agit là-haut, la bonne loi mazdéenne, la loi de Zarathoustra contre les Daévas! Nous, juifs latins, nous n'avons plus d'espoir. Les Prophètes nous avaient promis le bonheur matériel: nous l'avons. La France, l'Italie, l'Espagne, ne nous traitent plus en étrangers. Nous sommes libres. Aussi, n'ayant plus rien à désirer, nous n'espérons plus, et j'y consens; le Messie est venu pour nous comme pour vous. Et je puis l'avouer: Au fond du cœur je suis catholique. Pourquoi? demanderez-vous. À cause qu'il n'y a plus de religion hébraïque en France. Les juifs russes, polonais, allemands, ont conservé une religion extérieure. Leurs rabbins connaissent, enseignent et fortifient la religion. Nous autres, nous mangeons des rôtis cuits au beurre, nous bâfrons de la cochonaille, sans nous soucier de Moïse ni des Prophètes. Pour moi, j'adore les buissons d'écrevisses des soupers galants, et j'ai même un faible pour les escargots. L'hébreu? c'est à peine si la plupart d'entre nous le savent lire au moment d'être Barmitzva. Nos savants hébraïsants font sourire les rabbins étrangers; et la traduction française qui existe du Talmud est, au dire des juifs allemands ou polonais, un monument de l'ignorance des rabbins de France. Donc, j'ignore la religion juive, elle est abolie comme le paganisme, ou plutôt, non, de même que le paganisme, elle survit dans le catholicisme qui m'attire par ses théophanies surtout. Le judaïsme alexandrin ne fit plus cas des théophanies mosaïques. Elles parurent à cette époque fabuleuses et grossières. Le catholicisme a fait de la théophanie des dogmes divers. Ce miracle se renouvelle chaque jour à la messe. L'histoire du Sacré-Cœur fait délirer mon âme ancienne de juif latin, épris des théophanies et des anthropomorphismes. Je suis catholique, sauf le baptême.

      –C'est fort simple, dis-je, faites-vous baptiser. Le baptême est un sacrement que n'importe qui peut vous administrer: homme, femme, juif, protestant, bouddhiste, mahométan.

      –Je le sais, dit Fernisoun, mais je ne veux m'en servir que plus tard. En attendant, je m'amuse.

      –Ah! Ah! les effets du baptême sont d'effacer tous les péchés. Comme on ne peut en user qu'une seule fois, vous voulez retarder le plus possible cet instant.

      –Vous y êtes. Je n'espère plus le Messie, mais j'espère le Baptême. Cet espoir me donne toutes les joies possibles. Je vis pleinement. Je m'amuse superbement. Je vole, je tue, j'éventre des femmes, je viole des sépultures, mais j'irai en paradis, car j'espère le Baptême et l'on ne dira pas le Kadosch pour ma mort.

      J'insinuai:

      –Vous exagérez peut-être. Je vous crois trop imbu de certaine littérature. Mais, prenez garde, la mort vient comme un voleur, à pas de loup, à l'improviste, et si j'avais ce bonheur que vous avez d'être croyant, j'ajouterais que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Au fait, quels livres lisez-vous?

      –Cela vous intéresse-t-il? Voici ma bibliothèque; elle est édifiante.

      Il sortit de sa poche deux livres fatigués, que je pris. Le titre du premier bouquin était: Catéchisme du diocèse d'Avignon; celui du second: Les Vampires de la Hongrie, par Dom Calmet. Ce dernier titre m'effraya plus que n'avait pu le faire la déclaration criminelle du juif latin. Je compris qu'il ne se vantait point, et qu'érudit et sanguinaire, l'homme à qui j'avais affaire était un maniaque du meurtre. Je regardai rapidement autour de moi, en l'espoir de découvrir une arme pour me défendre au cas où Fernisoun ferait le forcené. Je vis sur une étagère, à portée de ma main, un petit revolver à parfumerie qui, détérioré et sans valeur, aurait dû être jeté depuis longtemps. Cet objet me sauva la vie en l'occurrence, car Fernisoun, profitant de ce que je détournais les yeux, avait tiré un couteau passé à sa ceinture, sous ses vêtements. Je laissai tomber les livres et saisis précipitamment la minuscule et illusoire arme à feu que je braquai sur le juif latin. Il pâlit et trembla de tous ses membres, implorant:

      –Grâce, vous vous méprenez!

      Je criai:

      –Assassin! va perpétrer ailleurs des crimes que tu crois pardonnables! Mes principes ne me permettent point de te dénoncer, mais je souhaite que, dès ce soir, tes sauvageries trouvent un châtiment. Ta lâcheté, j'espère, limite le nombre de tes victimes, et ta loquacité te signalera à la police. Il y a des juges à Paris et, si tu reçois le Baptême, que ce soit avant de monter à l'échafaud!

      Durant que je parlais, Fernisoun ramassa ses livres et, se relevant, me demanda fort civilement pardon pour m'avoir effrayé. Je lui ordonnai de m'abandonner son couteau qui était une lame catalane très dangereuse. Il obéit, puis sortit toujours menacé par le ridicule petit revolver à parfumerie que je n'avais pas lâché.

      Le soir, par économie, je soupai chez moi, de charcuterie et du restant de pâté sur lequel Fernisoun s'était penché. Je n'avais aucune idée du danger que je courais. Mais je connus bientôt la noirceur d'âme

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