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ou la Destinée, histoire orientale

Préface de l'Éditeur

      Je possède un volume petit in-8°, intitulé: Memnon, histoire orientale, Londres (Paris), 1747. Ce volume, réimprimé sous le même titre, en 1748, contient quinze chapitres, qui font partie de Zadig, ou la Destinée, histoire orientale, 1748, in-12. Zadig a de plus que Memnon trois chapitres, qui sont aujourd'hui les XII, XIII, et XVII. L'édition encadrée de I775 est la première qui contienne le chapitre VII. Deux autres chapitres, les XIV et XV, et des additions au chapitre vi, parurent pour la première fois dans les éditions de Kehl. Colini, secrétaire de Voltaire en 1753, raconte1que les additions faites alors à Zadig, «les calomnies et les méchancetés des courtisans, la fausse interprétation donnée par ceux-ci à des demi-vers trouvés dans un buisson, la disgrâce du héros, sont autant d'allégories dont l'explication se présente naturellement.» Cependant, dès l'édition de 1747, le chapitre iv contient les demi-vers; les chapitres XIV et XV n'ont été, comme je l'ai dit, ajoutés qu'en 1785; les chapitres XII, XIII et XVII sont, comme on l'a vu, de 1748. Ce serait donc au chapitre VII que se borneraient les additions faites en 1753; et ce chapitre n'a été publié qu'en 1775.

      A l'occasion de Zadig, Longchamp raconte que Voltaire désirant faire imprimer ce roman pour son compte, mais craignant que les imprimeurs n'en tirassent des exemplaires au-delà du nombre convenu, et que le livre ne fût répandu dans le public avant que l'auteur l'eût offert à ses amis, eut recours au moyen suivant, pour parer aux inconvénients qu'il redoutait. Il fit venir l'imprimeur Prault, et lui demanda quel serait le prix d'une édition tirée à mille exemplaires. Le prix parut trop élevé à Voltaire; mais, dès le lendemain, Prault vint de lui-même proposer une diminution d'un tiers dans le prix, et Voltaire lui donna la première moitié du roman de Zadig, qui était écrit sur des cahiers détachés, dont le dernier se terminait avec la fin d'un chapitre, annonçant que pendant que cette partie serait sous presse, il reverrait l'autre. Voltaire fit avertir Machuel, libraire de Rouen , momentanément à Paris, et après les conventions sur le prix, lui remit la fin de l'ouvrage, en indiquant à quelle page' il devait commencer. Lorsque tout fut terminé, Voltaire fit brocher les exemplaires qu'il destinait à ses amis, en fit faire la distribution , et répondit aux plaintes des imprimeurs par l'exposé des craintes qu'il avait eues:

      J'ai abrégé le récit de Longchamp, sans le rendre plus vrai. Je ne connais aucune édition de Zadig qui le confirme, aucune dont une feuille se termine avec la fin d'un chapitre.

      —

      Les notes sans signature, et qui sont indiquées par des lettres, sont de Voltaire.

      Les notes signées d'un K sont des éditeurs de Kehl, MM. Condorcet et Decroix. Il est impossible de faire rigoureusement la part de chacun.

      Les additions que j'ai faites aux notes de Voltaire ou aux notes des éditeurs de Kehl, en sont séparées par un – , et sont, comme mes notes, signées de l'initiale de mon nom.

BEUCHOT. 4 octobre 1829.APPROBATION2

      Je soussigné, qui me suis fait passer pour savant, et même pour homme d'esprit, ai lu ce manuscrit, que j'ai trouvé, malgré moi, curieux, amusant, moral, philosophique, digne de plaire à ceux mêmes qui haïssent les romans. Ainsi je l'ai décrié, et j'ai assuré monsieur le cadi-lesquier que c'est un ouvrage détestable.

ÉPITRE DÉDICATOIREDE ZADIGA LA SULTANE SHERAA,PAR SADILe 10 du mois de schewal, l'an 837 de l'hégire

      —

      Charme des prunelles, tourment des coeurs, lumière de l'esprit, je ne baise point la poussière de vos pieds, parceque vous ne marchez guère, ou que vous marchez sur des tapis d'Iran ou sur des roses. Je vous offre la traduction d'un livre d'un ancien sage qui, ayant le bonheur de n'avoir rien à faire, eut celui de s'amuser à écrire l'histoire de Zadig, ouvrage qui dit plus qu'il ne semble dire. Je vous prie de le lire et d'en juger; car, quoique vous soyez dans le printemps de votre vie, quoique tous les plaisirs vous cherchent, quoique vous soyez belle, et que vos talents ajoutent à votre beauté; quoiqu'on vous loue du soir au matin, et que par toutes ces raisons vous soyez en droit de n'avoir pas le sens commun, cependant vous avez l'esprit très sage et le goût très fin, et je vous ai entendue raisonner mieux que de vieux derviches à longue barbe et à bonnet pointu. Vous êtes discrète et vous n'êtes point défiante; vous êtes douce sans être faible; vous êtes bienfesante avec discernement; vous aimez vos amis, et vous ne vous faites point d'ennemis. Votre esprit n'emprunte jamais ses agréments des traits de la médisance; vous ne dites de mal ni n'en faites, malgré la prodigieuse facilité que vous y auriez. Enfin votre âme m'a toujours paru pure comme votre beauté. Vous avez même un petit fonds de philosophie qui m'a fait croire que vous prendriez plus de goût qu'une autre à cet ouvrage d'un sage.

      Il fut écrit d'abord en ancien chaldéen, que ni vous ni moi n'entendons. On le traduisit en arabe, pour amuser le célèbre sultan Ouloug-beb. C'était du temps où les Arabes et les Persans commençaient à écrire des Mille et une nuits, des Mille et un jours, etc. Ouloug aimait mieux la lecture de Zadig; mais les sultanes aimaient mieux les Mille et un. Comment pouvez-vous préférer, leur disait le sage Ouloug, des contes qui sont sans raison, et qui ne signifient rien? C'est précisément pour cela que nous les aimons, répondaient les sultanes.

      Je me flatte que vous ne leur ressemblerez pas, et que vous serez un vrai Ouloug. J'espère même que, quand vous serez lasse des conversations générales, qui ressemblent assez aux Mille et un, à cela près qu'elles sont moins amusantes, je pourrai trouver une minute pour avoir l'honneur de vous parler raison. Si vous aviez été Thalestris du temps de Scander, fils de Philippe; si vous aviez été la reine de Sabée du temps de Soleiman, c'eussent été ces rois qui auraient fait le voyage.

      Je prie les vertus célestes que vos plaisirs soient sans mélange, votre beauté durable, et votre bonheur sans fin.

SADI.

      CHAPITRE I

      Le borgne

      Du temps du roi Moabdar il y avait à Babylone un jeune homme nommé Zadig, né avec un beau naturel fortifié par l'éducation. Quoique riche et jeune, il savait modérer ses passions; il n'affectait rien; il ne voulait point toujours avoir raison, et savait respecter la faiblesse des hommes. On était étonné de voir qu'avec beaucoup d'esprit il n'insultât jamais par des railleries à ces propos si vagues, si rompus, si tumultueux, à ces médisances téméraires, à ces décisions ignorantes, à ces turlupinades grossières, à ce vain bruit de paroles, qu'on appelait conversation dans Babylone. Il avait appris, dans le premier livre de Zoroastre, que l'amour-propre est un ballon gonflé de vent, dont il sort des tempêtes quand on lui a fait une piqûre. Zadig surtout ne se vantait pas de mépriser les femmes et de les subjuguer. Il était généreux; il ne craignait point d'obliger des ingrats, suivant ce grand précepte de Zoroastre, Quand tu manges, donne à manger aux chiens, dussent-ils te mordre. Il était aussi sage qu'on peut l'être; car il cherchait à vivre avec des sages. Instruit dans les sciences des anciens Chaldéens, il n'ignorait pas les principes physiques de la nature, tels qu'on les connaissait alors, et savait de la métaphysique ce qu'on en a su dans tous les âges, c'est-à-dire fort peu de chose. Il était fermement persuadé que l'année était de trois cent soixante et cinq jours et un quart, malgré la nouvelle philosophie de son temps, et que le soleil était au centre du monde; et quand les principaux mages lui disaient, avec une hauteur insultante, qu'il avait de mauvais sentiments, et que c'était être ennemi de l'état que de croire que le soleil tournait sur lui-même, et que l'année avait douze mois, il se taisait sans colère et sans dédain.

      Zadig, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, un esprit juste et modéré, un coeur sincère et noble, crut qu'il pouvait être heureux. Il devait se marier à Sémire, que sa beauté, sa naissance et sa fortune rendaient le premier parti de Babylone. Il avait pour elle un attachement solide et vertueux, et Sémire l'aimait avec passion. Ils touchaient au moment fortuné qui allait les unir, lorsque, se promenant ensemble vers une porte de Babylone, sous les palmiers qui ornaient le rivage de l'Euphrate, ils virent venir à eux des hommes armés de sabres et de flèches. C'étaient les satellites du jeune Orcan, neveu d'un ministre, à qui les courtisans de son oncle avaient

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<p>1</p>

Mon séjour auprès de Voltaire, page 61.

<p>2</p>

Cette plaisanterie était dans l'édition de Zadig de 1748. Elle existait encore dans l'édition in-4° (tome XVII, publié en 1771). Mais ayant été omise dans l'édition encadrée de 1795, elle ne fut pas reproduite dans les éditions de Kehl. La première des éditions modernes où on la trouve est celle de M. Lequien, 1823. B.