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La vita Italiana nel Risorgimento (1831-1846), parte III / Seconda serie – Lettere, scienze e arti

      LAMARTINE, CHATEAUBRIAND ET L'ITALIE

CONFERENZADICHARLES DEJOB

      Mesdames, Messieurs,

      On a souvent reproché aux Français, dans notre siècle, d'ignorer systématiquement les langues étrangères. Ce reproche, ils ne l'ont mérité qu'un moment. Nulle part pendant deux cents ans l'espagnol et l'italien n'ont été plus à la mode que chez nous; jusque dans le premier tiers de ce siècle, la France a été un des pays où, je ne dirai pas seulement on écoutait, mais où l'on imprimait le plus de livres italiens; et depuis un certain nombre d'années les étrangers qu'on envoie chez nous en mission pour examiner la manière dont nos lycées enseignent l'anglais et l'allemand, confessent dans leurs rapports qu'il est difficile de mieux faire. Il y a toutefois un degré auquel nous n'atteindrons probablement jamais: hors de France, dans certains salons, une même personne parle allemand à un interlocuteur, anglais à un autre, français à un troisième: peu de Français seront polyglottes à ce point là. Mais faut-il le regretter? Apprendre, non pas seulement à lire mais à parler plusieurs langues vivantes, c'est prélever sur sa jeunesse pour apprendre des mots bien des mois qu'il vaudrait peut-être mieux employer à approfondir sa propre langue et à penser ou à sentir; puis n'est-il pas bien difficile à un auteur de se former un idéal s'il est pour ainsi dire, tourmenté par les génies divers de plusieurs nations qui se le disputent? Ecrire sous la dictée d'une Muse, c'est fort bien; mais écrire sous la dictée de trois ou quatre Muses qui nous parlent à la fois, c'est moins commode. En revanche, la France a toujours été un des pays où l'on trouve le plus d'hommes voués à l'étude des littératures étrangères et employant leur existence à écrire, non pas des articles sur des feuilles volantes et à propos de productions courantes dont tout le monde parle aujourd'hui et dont personne ne parlera dans vingt ans, mais des volumes sur l'art ou la poésie des autres nations; et le grand public s'y intéresse si fort aux chefs-d'œuvre durables de l'étranger, qu'il se presse au pied des chaires où on les commente: il y a environ cent ans, Ginguené, le spirituel et perspicace historien de votre littérature, en inaugura l'enseignement à l'Athénée; cet enseignement, transféré depuis à la Sorbonne, y a brillé du même éclat entre les mains de Fauriel, d'Ozanam, de M. Mézières et de M. Gebhart. Enfin la France est un des pays où les écrivains célèbres, les penseurs, viennent le plus volontiers en aide aux savants pour faire aimer les nations qui méritent d'être aimées. Tout le monde sait que Stendhal a pour ainsi dire passé sa vie à persuader aux Français que Milan, Florence, Rome, Naples étaient les plus délicieux des séjours: et j'ai eu occasion de montrer qu'à une époque où tous les voyageurs du Nord de l'Europe exprimaient le plus profond dédain pour l'Italie contemporaine, le grand astronome Lalande, Roland le futur conventionnel, surtout Mme de Staël, prédisaient de la façon la plus claire votre glorieux relèvement.

      Je voudrais rechercher aujourd'hui les sentiments de Châteaubriand et de Lamartine à l'égard de l'Italie.

      Au premier abord, il semble que Châteaubriand n'a pas dû vous être très-favorable. Je ne parle pas de quelques réclamations passagères qu'il s'est attirées. Giustina Renier-Michiel a éloquemment réclamé contre l'épithète de ville contre nature qu'il avait appliquée à Venise après son premier voyage, et Silvio Pellico s'est plaint avec raison de ce que Châteaubriand avait confondu les piombi de 1830 avec ceux de 1820. Ce sont là des détails; mais un ancien émigré, un légitimiste qui avait longtemps été ultra, pouvait-il s'intéresser au véritable bien de l'Italie moderne? L'homme qui a entraîné Louis XVIII à restaurer en Espagne le pouvoir absolu de Ferdinand VII pouvait-il avoir quelque sympathie pour les patriotes italiens?

      Pourtant ne nous arrêtons pas aux apparences!

      D'abord Châteaubriand connaissait fort bien vos classiques, qu'il cite assez souvent dans le texte. Dans le Génie du Christianisme, il ne parle pas toujours de Dante comme il faudrait: mais songez qu'il l'écrivait du vivant de Saverio Bettinelli; combien de gens, même en Italie, malgré tout le parti que Monti venait de tirer pour sa Bassvilliana de l'imitation du poëme sacre, continuaient à juger la Divine Comédie sur la foi des Lettere Virgiliane! Baretti, qui, pour faire pièce à Voltaire, a réussi à comprendre Shakespeare, n'a jamais réussi à comprendre Dante. Du moins Châteaubriand reconnaît-il que Dante n'a point de maître dans le pathétique et le terrible; et plus tard, dans son Essai sur la littérature anglaise, il avertit que Shakespeare, dont nos romantiques étaient idolâtres, a eu moins à faire que Dante pour fonder la littérature nationale. Son appréciation sur le Tasse, pour qui vous savez que la France a toujours eu un faible malgré le mot de Boileau dont on exagère étrangement le sens, est très-pénétrante; il appelle la Jérusalem Délivrée un chef-d'œuvre de composition, et, quand il la blâme, c'est en homme que le poète a conquis à son sujet, et qui voudrait collaborer avec lui pour atteindre la perfection. Enfin il a pieusement suivi le convoi funèbre de cet Alfieri dont, par un hasard qui au fond n'en est pas un, les Français furent les admirateurs décidés à une époque où les Italiens se partageaient encore sur son compte.

      Mais ce sont principalement les beautés naturelles de l'Italie qu'il nous a comme révélées. Chose curieuse, et qui montre combien, en dépit d'Horace, la plume est quelquefois supérieure au pinceau pour la propagation des idées! Parmi les peintres qui ont le mieux fixé sur la toile le charme du ciel italien, tout le monde place nécessairement deux Français, Claude Gellée dit le Lorrain et Nicolas Poussin, et ils ont tous deux vécu il y a deux cents ans; toutefois, la beauté de ce ciel n'est proverbiale en France, à tous les degrés de la population, que depuis que Châteaubriand et Lamartine l'ont décrite. Châteaubriand a visité plusieurs fois l'Italie: dès le premier voyage il est ravi; il vante les chemins excellents de la Lombardie, ses auberges «supérieures à celles de France, presque égales à celles de l'Angleterre;» il donne sur les fouilles de Pompei un excellent conseil qu'on a fini par juger tel: laisser les objets là où on les trouve, protéger par un toit les édifices qui les contiennent, mais conserver à chaque chose sa signification en lui conservant sa place1, surtout il a senti à ravir l'attrait de la campagne romaine et du golfe de Naples. Voici comment il peint le premier des deux tableaux:

      «Rien n'est comparable, pour la beauté, aux lignes de l'horizon romain, à la douce inclination des plans, aux contours suaves et fuyants des montagnes qui le terminent… Une vapeur répandue dans le lointain arrondit les objets et dissimule ce qu'ils pourraient avoir de dur ou de heurté dans leurs formes. Les ombres ne sont jamais lourdes ou noires; il n'y a pas de masses si obscures de rochers et de feuillages, dans lesquelles il ne s'insinue toujours un peu de lumière. Une teinte singulièrement harmonieuse marie la terre, le ciel et les eaux; toutes les surfaces au moyen d'une gradation insensible de couleurs, s'unissent par leurs extrémités, sans qu'on puisse déterminer le point où une nuance finit et où l'autre commence. Vous avez sans doute admiré dans les paysages de Claude Lorrain cette lumière qui semble idéale et plus belle que nature. Eh bien, c'est la lumière de Rome.»2

      Voici pour Naples:

      «Des fleurs et des fruits humides de rosée sont moins suaves et moins frais que le paysage de Naples sortant des ombres de la nuit. J'étais toujours surpris, en arrivant au portique, de me trouver au bord de la mer; car les vagues dans cet endroit faisaient à peine entendre le léger murmure d'une fontaine. En extase devant ce tableau, je m'appuyais contre une colonne et, sans pensée, sans désir, sans projet, je restais des heures entières, à respirer un air délicieux. Le charme était si profond, qu'il me semblait que cet air divin transformait ma propre substance, et qu'avec un plaisir indicible je m'élevais vers le firmament comme un pur esprit.»3

      Ce qui a principalement aidé à graver ces éloges du sol de l'Italie dans la mémoire des Français, c'est qu'ils se rattachent souvent à ce que j'appellerai la philosophie de Châteaubriand. Vous savez que la grandeur de Châteaubriand tient avant tout à la profondeur avec laquelle il a ressenti le prodigieux ébranlement de 1789. Toutes les révolutions postérieures ne sont que des jeux auprès de celle-là, non seulement à cause des luttes intestines qu'elle a déchaînées, de l'énergie qu'il a fallu à la France pour rejeter hors de ses confins l'Europe entière acharnée à la destruction de la liberté, mais

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<p>1</p>

V. son Voyage d'Italie.

<p>2</p>

Lettre à Fontanes du 20 janvier 1804, insérée dans le Voyage d'Italie.

<p>3</p>

Les martyrs, Ve livre.