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eut un faible sourire; puis, elle murmura:

      – C'est une fille.

      – Juste! reprit le zingueur, blaguant pour la remettre, j'avais commandé une fille! Hein! me voilà servi! Tu fais donc tout ce que je veux?

      Et, prenant l'enfant, il continua:

      – Qu'on vous voie un peu, mademoiselle Souillon!.. Vous avez une petite frimousse bien noire. Ça blanchira, n'ayez pas peur. Il faudra être sage, ne pas faire la gourgandine, grandir raisonnable, comme papa et maman.

      Gervaise, très sérieuse, regardait sa fille, les yeux grands ouverts, lentement assombris d'une tristesse. Elle hocha la tête; elle aurait voulu un garçon, parce que les garçons se débrouillent toujours et ne courent pas tant de risques, dans ce Paris. La sage-femme dut enlever le poupon des mains de Coupeau. Elle défendit aussi à Gervaise de parler; c'était déjà mauvais qu'on fît tant de bruit autour d'elle. Alors, le zingueur dit qu'il fallait prévenir maman Coupeau et les Lorilleux; mais il crevait de faim, il voulait dîner auparavant. Ce fut un gros ennui pour l'accouchée de le voir se servir lui-même, courir à la cuisine chercher le ragoût, manger dans une assiette creuse, ne pas trouver le pain. Malgré la défense, elle se lamentait, se tournait entre les draps. Aussi, c'était bien bête de n'avoir pas pu mettre la table; la colique l'avait assise par terre comme un coup de bâton. Son pauvre homme lui en voudrait, d'être là à se dorloter, quand il mangeait si mal. Les pommes de terre étaient-elles assez cuites, au moins? Elle ne se rappelait plus si elle les avait salées.

      – Taisez-vous donc! cria la sage-femme – Ah! quand vous l'empêcherez de se miner, par exemple! dit Coupeau, la bouche pleine. Si vous n'étiez pas là, je parie qu'elle se lèverait pour me couper mon pain… Tiens-toi donc sur le dos, grosse dinde! Faut pas te démolir, autrement tu en as pour quinze jours à te remettre sur tes pattes… Il est très bon, ton ragoût. Madame va en manger avec moi. N'est-ce pas, madame?

      La sage-femme refusa; mais elle voulut bien boire un verre de vin, parce que ça l'avait émotionnée, disait-elle, de trouver la malheureuse femme avec le bébé sur le paillasson. Coupeau partit enfin, pour annoncer la nouvelle à la famille. Une demi-heure plus tard, il revint avec tout le monde, maman Coupeau, les Lorilleux, madame Lerat, qu'il avait justement rencontrée chez ces derniers. Les Lorilleux, devant la prospérité du ménage, étaient devenus très aimables, faisaient un éloge outré de Gervaise, en laissant échapper de petits gestes restrictifs, des hochements de menton, des battements de paupières, comme pour ajourner leur vrai jugement. Enfin, ils savaient ce qu'ils savaient; seulement, ils ne voulaient pas aller contre l'opinion de tout le quartier.

      – Je t'amène la séquelle! cria Coupeau. Tant pis! ils ont voulu te voir… N'ouvre pas le bec, ça t'est défendu. Ils resteront là, à te regarder tranquillement, sans se formaliser, n'est-ce pas?.. Moi, je vais leur faire du café, et du chouette!

      Il disparut dans la cuisine. Maman Coupeau, après avoir embrassé Gervaise, s'émerveillait de la grosseur de l'enfant. Les deux autres femmes avaient également appliqué de gros baisers sur les joues de l'accouchée. Et toutes trois, debout devant le lit, commentaient, en s'exclamant, les détails des couches, de drôles de couches, une dent à arracher, pas davantage. Madame Lerat examinait la petite partout, la déclarait bien conformée, ajoutait même, avec intention, que ça ferait une fameuse femme; et, comme elle lui trouvait la tête trop pointue, elle la pétrissait légèrement, malgré ses cris, afin de l'arrondir. Madame Lorilleux lui arracha le bébé en se fâchant: ça suffisait pour donner tous les vices à une créature, de la tripoter ainsi, quand elle avait le crâne si tendre. Puis, elle chercha là ressemblance. On manqua se disputer. Lorilleux, qui allongeait le cou derrière les femmes, répétait que la petite n'avait rien de Coupeau; un peu le nez peut-être, et encore! C'était toute sa mère, avec des yeux d'ailleurs; pour sûr, ces yeux-là ne venaient pas de la famille.

      Cependant, Coupeau ne reparaissait plus. On l'entendait, dans la cuisine, se battre avec le fourneau et la cafetière. Gervaise se tournait les sangs: ce n'était pas l'occupation d'un homme, de faire du café; et elle lui criait comment il devait s'y prendre, sans écouter les chut! énergiques de la sage-femme.

      – Enlevez le baluchon! dit Coupeau, qui rentra, la cafetière à la main. Hein! est-elle assez canulante! Il faut qu'elle se cauchemarde… Nous allons boire ça dans des verres, n'est-ce pas? parce que, voyez-vous, les tasses sont restées chez le marchand.

      On s'assit autour de la table, et le zingueur voulut verser le café lui-même. Il sentait joliment fort, ce n'était pas de la roupie de sansonnet. Quand la sage-femme eut siroté son verre, elle s'en alla: tout marchait bien, on n'avait plus besoin d'elle; si la nuit n'était pas bonne, on l'enverrait chercher le lendemain. Elle descendait encore l'escalier, que madame Lorilleux la traita de licheuse et de propre à rien. Ça se mettait quatre morceaux de sucre dans son café, ça se faisait donner des quinze francs, pour vous laisser accoucher toute seule. Mais Coupeau la défendait; il allongerait les quinze francs de bon coeur; après tout, ces femmes-là passaient leur jeunesse à étudier, elles avaient raison de demander cher. Ensuite, Lorilleux se disputa avec madame Lerat; lui, prétendait que, pour avoir un garçon, il fallait tourner la tête de son lit vers le nord; tandis qu'elle haussait les épaules, traitant ça d'enfantillage, donnant une autre recette, qui consistait à cacher sous le matelas, sans le dire à sa femme, une poignée d'orties fraîches, cueillies au soleil. On avait poussé la table près du lit. Jusqu'à dix heures, Gervaise, prise peu à peu d'une fatigue immense, resta souriante et stupide, la tête tournée sur l'oreiller; elle voyait, elle entendait, mais elle ne trouvait plus la force de hasarder un geste ni une parole; il lui semblait être morte, d'une mort très douce, du fond de laquelle elle était heureuse de regarder les autres vivre. Par moments, un vagissement de la petite montait, au milieu des grosses voix, des réflexions interminables sur un assassinat, commis la veille rue du Bon-Puits, à l'autre bout de la Chapelle.

      Puis, comme la société songeait au départ, on parla du baptême. Les Lorilleux avaient accepté d'être parrain et marraine; en arrière, ils rechignaient; pourtant, si le ménage ne s'était pas adressé à eux, ils auraient fait une drôle de figure. Coupeau ne voyait guère la nécessité de baptiser la petite; ça ne lui donnerait pas dix mille livres de rente, bien sûr; et encore ça risquait de l'enrhumer. Moins on avait affaire aux curés, mieux ça valait. Mais maman Coupeau le traitait de païen. Les Lorilleux, sans aller manger le bon Dieu dans les églises, se piquaient d'avoir de la religion.

      – Ce sera pour dimanche, si vous voulez, dit le chaîniste.

      Et Gervaise ayant consenti d'un signe de tête, tout le monde l'embrassa en lui recommandant de se bien porter. On dit adieu aussi au bébé. Chacun vint se pencher sur ce pauvre petit corps frissonnant, avec des risettes, des mots de tendresse, comme s'il avait pu comprendre. On l'appelait Nana, la caresse du nom d'Anna, que portait sa marraine.

      – Bonsoir, Nana… Allons, Nana, soyez belle fille…

      Quand ils furent enfin partis, Coupeau mit sa chaise tout contre le lit, et acheva sa pipe, en tenant dans la sienne la main de Gervaise. Il fumait lentement, lâchant des phrases entre deux bouffées, très ému.

      – Hein? ma vieille, ils t'ont cassé la tête? Tu comprends, je n'ai pas pu les empêcher de venir. Après tout, ça prouve leur amitié… Mais, n'est-ce pas? on est mieux seul. Moi, j'avais besoin d'être un peu seul, comme ça, avec toi. La soirée m'a paru d'un long!.. Cette pauvre poule! elle a eu bien du bobo! Ces crapoussins-là, quand ça vient au monde, ça ne se doute guère du mal que ça fait. Vrai, ça doit être comme si on vous ouvrait les reins… Où est-il le bobo, que je l'embrasse?

      Il lui avait glissé délicatement sous le dos une de ses grosses mains, et il l'attirait, il lui baisait le ventre à travers le drap, pris d'un attendrissement d'homme rude pour cette fécondité endolorie encore. Il demandait s'il ne lui faisait pas du mal, il aurait voulu la guérir en soufflant dessus. Et Gervaise était bien heureuse. Elle lui jurait qu'elle ne souffrait plus du tout. Elle songeait seulement à se relever le plus tôt possible, parce qu'il ne fallait pas se croiser les bras, maintenant. Mais lui, la rassurait. Est-ce qu'il ne se chargeait pas de gagner la pâtée de la petite? Il serait un grand lâche, si jamais

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