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de la voûte; tandis que, sur le pont, passait le roulement des omnibus et des fiacres, la cohue de Paris, dont on apercevait seulement les toits, à droite et à gauche, comme du fond d'un trou. Mademoiselle Remanjou soupirait; s'il y avait eu des feuilles, ça lui aurait rappelé, disait-elle, un coin de la Marne, ou elle allait, vers 1817, avec un jeune homme qu'elle pleurait encore.

      Cependant, M. Madinier donna le signal du départ. On traversa le jardin des Tuileries, au milieu d'un petit peuple d'enfants dont les cerceaux et les ballons dérangèrent le bel ordre des couples. Puis, comme la noce, arrivée sur la place Vendôme, regardait la colonne, M. Madinier songea à faire une galanterie aux dames; il leur offrit de monter dans la colonne, pour voir Paris. Son offre parut très farce. Oui, oui, il fallait monter, on en rirait longtemps. D'ailleurs, ça ne manquait pas d'intérêt pour les personnes qui n'avaient jamais quitté le plancher aux vaches.

      – Si vous croyez que la Banban va se risquer là dedans, avec sa quille! murmurait madame Lorilleux.

      – Moi, je monterais volontiers, disait madame Lerat, mais je ne veux pas qu'il y ait d'homme derrière moi.

      Et la noce monta. Dans l'étroite spirale de l'escalier, les douze grimpaient à la file, butant contre les marches usées, se tenant aux murs. Puis, quand l'obscurité devint complète, ce fut une bosse de rires. Les dames poussaient de petits cris. Les messieurs les chatouillaient, leur pinçaient les jambes. Mais elles étaient bien bêtes de causer! on a l'air de croire que ce sont des souris. D'ailleurs, ça restait sans conséquence; ils savaient s'arrêter où il fallait, pour l'honnêteté. Puis, Boche trouva une plaisanterie que toute la société répéta. On appelait madame Gaudron, comme si elle était restée en chemin, et on lui demandait si son ventre passait. Songez donc! si elle s'était trouvée prise là, sans pouvoir monter ni descendre, elle aurait bouché le trou, on n'aurait jamais su comment s'en aller. Et l'on riait de ce ventre de femme enceinte, avec une gaieté formidable qui secouait la colonne. Ensuite, Boche, tout à fait lancé, déclara qu'on se faisait vieux, dans ce tuyau de cheminée; ça ne finissait donc pas, on allait donc au ciel? Et il cherchait à effrayer les dames, en criant que ça remuait. Cependant, Coupeau ne disait rien; il venait derrière Gervaise, la tenait à la taille, la sentait s'abandonner. Lorsque, brusquement, on rentra dans le jour, il était juste en train de lui embrasser le cou.

      – Eh bien! vous êtes propres, ne vous gênez pas tous les deux! dit madame Lorilleux d'un air scandalisé.

      Bibi-la-Grillade paraissait furieux. Il répétait entre ses dents:

      Vous en avez fait un bruit! Je n'ai pas seulement pu compter les marches.

      Mais M. Madinier, sur la plate-forme, montrait déjà les monuments. Jamais madame Fauconnier ni mademoiselle Remanjou ne voulurent sortir de l'escalier; la pensée seule du pavé, en bas, leur tournait les sangs; et elles se contentaient de risquer des coups d'oeil par la petite porte. Madame Lerat, plus crâne, faisait le tour de l'étroite terrasse, en se collant contre le bronze du dôme. C'était tout de même rudement émotionnant, quand on songeait qu'il aurait suffi de passer une jambe. Quelle culbute, sacré Dieu! Les hommes, un peu pâles, regardaient la place. On se serait cru en l'air, séparé de tout. Non, décidément, ça vous faisait froid aux boyaux. M. Madinier, pourtant, recommandait de lever les yeux, de les diriger devant soi, très loin; ça empêchait le vertige. Et il continuait à indiquer du doigt les Invalides, le Panthéon, Notre-Dame, la tour Saint-Jacques, les buttes Montmartre. Puis, madame Lorilleux eut l'idée de demander si l'on apercevait, sur le boulevard de la Chapelle, le marchand de vin où l'on allait manger, au Moulin-d'Argent. Alors, pendant dix minutes, on chercha, on se disputa même; chacun plaçait le marchand de vin à un endroit. Paris, autour d'eux, étendait son immensité grise, aux lointains bleuâtres, ses vallées profondes, où roulait une houle de toitures; toute la rive droite était dans l'ombre, sous un grand haillon de nuage cuivré; et, du bord de ce nuage, frangé d'or, un large rayon coulait, qui allumait les milliers de vitres de la rive gauche d'un pétillement d'étincelles, détachant en lumière ce coin de la ville sur un ciel très pur, lavé par l'orage.

      – Ce n'était pas la peine de monter pour nous manger le nez, dit Boche, furieux, en reprenant l'escalier.

      La noce descendit, muette, boudeuse, avec la seule dégringolade des souliers sur les marches. En bas, M. Madinier voulait payer. Mais Coupeau se récria, se hâta de mettre dans la main du gardien vingt-quatre sous, deux sous par personne. Il était près de cinq heures et demie; on avait tout juste le temps de rentrer. Alors, on revint par les boulevards et par le faubourg Poissonnière. Coupeau, pourtant, trouvait que la promenade ne pouvait pas se terminer comme ça; il poussa tout le monde au fond d'un marchand de vin, où l'on prit du vermouth.

      Le repas était commandé pour six heures. On attendait la noce depuis vingt minutes, au Moulin-d'Argent. Madame Boche, qui avait confié sa loge à une dame de la maison, causait avec maman Coupeau, dans le salon du premier, en face de la table servie; et les deux gamins, Claude et Étienne, amenés par elle, jouaient à courir sous la table, au milieu d'une débandade de chaises. Lorsque Gervaise, en entrant, aperçut les petits, qu'elle n'avait pas vus de la journée, elle les prit sur ses genoux, les caressa, avec de gros baisers.

      – Ont-ils été sages? demanda-t-elle à madame Boche. Ils ne vous ont pas trop fait endêver, au moins?

      Et comme celle-ci lui racontait les mots à mourir de rire de ces vermines-là, pendant l'après-midi, elle les enleva de nouveau, les serra contre elle, prise d'une rage de tendresse.

      – C'est drôle pour Coupeau tout de même, disait madame Lorilleux aux autres dames, dans le fond du salon.

      Gervaise avait gardé sa tranquillité souriante de la matinée. Depuis la promenade pourtant, elle devenait par moments toute triste, elle regardait son mari et les Lorilleux de son air pensif et raisonnable. Elle trouvait Coupeau lâche devant sa soeur. La veille encore, il criait fort, il jurait de les remettre à leur place, ces langues de vipères, s'ils lui manquaient. Mais, en face d'eux, elle le voyait bien, il faisait le chien couchant, guettait sortir leurs paroles, était aux cent coups quand il les croyait fâchés. Et cela, simplement, inquiétait la jeune femme pour l'avenir.

      Cependant, on n'attendait plus que Mes-Bottes, qui n'avait pas encore paru.

      – Ah! zut! cria Coupeau, mettons-nous à table. Vous allez le voir abouler; il a le nez creux, il sent la boustifaille de loin… Dites donc, il doit rire, s'il est toujours à faire le poireau sur la route de Saint-Denis!

      Alors, la noce, très égayée, s'attabla avec un grand bruit de chaises. Gervaise était entre Lorilleux et M. Madinier, et Coupeau, entre madame Fauconnier et madame Lorilleux. Les autres convives se placèrent à leur goût, parce que ça finissait toujours par des jalousies et des disputes, lorsqu'on indiquait les couverts. Boche se glissa près de madame Lerat. Bibi-la-Grillade eut pour voisines mademoiselle Remanjou et madame Gaudron. Quant à madame Boche et à maman Coupeau, tout au bout, elles gardèrent les enfants, elles se chargèrent de couper leur viande, de leur verser à boire, surtout pas beaucoup de vin.

      – Personne ne dit le Bénédicité? demanda Boche, pendant que les dames arrangeaient leurs jupes sous la nappe, par peur des taches.

      Mais madame Lorilleux n'aimait pas ces plaisanteries-là. Et le potage au vermicelle, presque froid, fut mangé très vite, avec des sifflements de lèvres dans les cuillers. Deux garçons servaient, en petites vestes graisseuses, en tabliers d'un blanc douteux. Par les quatre fenêtres ouvertes sur les acacias de la cour, le plein jour entrait, une fin de journée d'orage, lavée et chaude encore. Le reflet des arbres, dans ce coin humide, verdissait la salle enfumée, faisait danser des ombres de feuilles au-dessus de la nappe, mouillée d'une odeur vague de moisi. Il y avait deux glaces, pleines de chiures de mouches, une à chaque bout, qui allongeaient la table à l'infini, couverte de sa vaisselle épaisse, tournant au jaune, où le gras des eaux de l'évier restait en noir dans les égratignures des couteaux. Au fond, chaque fois qu'un garçon remontait de la cuisine, la porte battait, soufflait une odeur forte de graillon.

      – Ne parlons pas tous à la fois, dit Boche, comme chacun se taisait, le nez sur son assiette.

      Et l'on buvait le premier verre de vin, en suivant

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