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le ciel était pur, et le soleil reflétait ces joyeux rayons sur ces teintes chaudes et variées de l'automne, qui me plaisent tout particulièrement. Je vais maintenant me caser ici pour de bon. Je n'ai plus de courses à faire; je ne m'attends plus à des visites dans cette saison avancée; je vais me mettre à lire, à peindre, à broder, à écrire, à gouverner ma maison et mes établissements de charité, à faire planter, bref, à remplir mes journées le moins mal possible, c'est-à-dire le plus utilement pour mon âme et pour le bien-être de mes entours.

       Sagan, 24 octobre 1851.– La mort de Mme la Dauphine27 est un événement qui ne saurait passer inaperçu. Les grandes infortunes, toujours portées avec la plus noble et la plus simple dignité, lui assignent une place tout à part dans notre déplorable histoire contemporaine. Il ne lui a manqué qu'un peu de charme et de grâce, pour la mettre au-dessus des plus grandes victimes de tous les siècles.

      Sagan, 5 novembre 1851.– Le Roi de Hanovre est au plus mal. Cette mort ne sera pas un petit événement à travers les difficultés allemandes, ce fils aveugle et les intrigues anglaises.

      Sagan, 12 novembre 1851.– Il me revient qu'on est très blessé à Frohsdorf: 1o de la brièveté du deuil pris à Claremont pour Mme la Dauphine; 2o de ce qu'on n'ait pas écrit au Comte de Chambord, à l'occasion de la mort de son illustre tante, à lui qui avait écrit lors de la mort de Louis-Philippe; 3o de ce qu'on s'est borné à un message verbal de condoléance, confié au duc de Montmorency, sans même le charger d'aller à Frohsdorf, mais seulement de le transmettre à quelque chef légitimiste présent à Paris. J'avoue que je ne puis blâmer le ressentiment que l'on éprouve de cette façon si peu sympathique, si peu respectueuse envers le malheur des aînés.

       Sagan, 14 novembre 1851.– J'ai achevé hier la lecture des Souvenirs du chancelier de Müller, de Weimar. C'est celui dont M. de Talleyrand parle dans son morceau sur l'entrevue d'Erfurt. Dans ces Souvenirs, il est sans cesse question de mon oncle, avec une grande vérité de détails et une justice rare qui m'a fait plaisir. Le tout est un petit volume pas du tout difficile à comprendre, simplement écrit, bien pensé, clairement exprimé, et donnant un tableau parfaitement exact de l'Allemagne sous l'Empire. Ce M. de Müller n'a rien de commun avec l'historien Jean de Müller.

       Sagan, 16 novembre 1851.– Le Roi de Hanovre s'éteindra sous peu, s'il ne l'est déjà. On se querellera sur la tutelle. Ce sera un point en litige de plus, du provisoire en herbe, vice inhérent à un siècle tout à la fois paresseux et inquiet28. Et la France? si ardente et si molle, si agitée et si insouciante? Contrastes merveilleux et déplorables que ne simplifieront pas messieurs les Burgraves. Ils me font l'effet de momies en service extraordinaire29.

       Sagan, 17 novembre 1851.– Je nie que ce que vous appelez30 ma haute raison n'ait pas besoin des enseignements de la mort. Qui de nous peut se croire assez détaché pour n'en avoir nul besoin? Pour ma part, j'en suis fort nécessiteuse au contraire, et j'espère que ma pauvre âme en tirera profit. Toutes les lectures, les méditations n'approchent pas, dans l'impression qu'elles produisent, du spectacle réel. Il est bien grave et plein de révélations. D'ailleurs, je ne me fais aucune illusion sur l'état de ma santé, et je la crois assez profondément ébranlée pour, peu à peu, chausser mes sandales. C'est un bon emploi de solitude. J'ai trouvé, il y a quelque temps, dans le prophète Osée, un passage que je pourrais à bon droit fixer sur la porte de cette maison-ci: «Je l'ai conduit dans la solitude, et là lui ai parlé au cœur.»

      Je suis enchantée que Mgr Dupanloup veuille vous faire voir ses matériaux sur M. de Talleyrand31. Je crois que plus on fouillera, plus on recueillera sur son compte, et plus on découvrira de contrastes. Telle est la condition de presque tous les hommes qui, avec une bonne nature et des facultés distinguées, ont été jetés dans un monde corrompu, dans une position fausse, et dans les orages révolutionnaires. L'essentiel est de montrer l'excellent de la nature primitive, et, tout en reconnaissant les graves erreurs, de prouver qu'elles n'ont jamais été jusqu'à la cruauté ni jusqu'à la bassesse. Quelque distrait que soit le public par les grands tremblements de terre actuels, il reviendra un temps où la curiosité, l'intérêt se réveilleront pour un passé plein d'enseignements. On y cherchera la vérité. Elle est si souvent dénaturée, si difficile à retrouver que ceux qui travaillent à la dégager de ses nuages seront des bienfaiteurs de l'avenir.

      Sagan, 1er décembre 1851.– Nous voici au début du dernier mois d'une année, qui, à travers plus d'une épreuve, sera peut-être regrettable en comparaison de cette date 1852 qui semble devoir résoudre bien des problèmes. Ces solutions seront-elles lumineuses? je ne le crois pas; sanglantes? j'en doute; boueuses? je voudrais presque en répondre. Si telle est la destinée politique de la vieille Europe, tâchons du moins que, dans la vie intime, tout soit clarté, douceur, paix et confiance; cela peut se conserver à travers tous les orages, toutes les catastrophes, et c'est à cela qu'il faut s'attacher avec persévérance et fermeté.

       Sagan, 4 décembre 1851.– Les nouvelles télégraphiques de Paris me jettent depuis hier dans une grande agitation32. Je ne m'étendrai pas ici sur les réflexions, prévisions, qui se pressent en foule dans l'esprit de tous à de pareilles extrémités. L'année 1851 n'a pas voulu laisser à son héritière le soin de justifier les prédictions qui s'y attachaient; elle s'est chargée de la déflorer.

       Sagan, 6 décembre 1851.– Les projets me semblent plus jetés au hasard que jamais par le coup de tonnerre parti de France. On m'écrit de Berlin que l'on s'y attend à ce que le Président, pour distraire les rouges, voudra les jeter hors des frontières par une guerre étrangère. J'avoue que je n'y crois pas pour l'instant. Il a trop de difficultés intérieures, qui réclament d'autres remèdes qu'une guerre étrangère; pendant qu'il porterait ses troupes contre le dehors, le pays resterait livré aux démagogues, et c'est ce qu'il ne saurait, ce me semble, risquer. Il doit être uniquement occupé du résultat de ce suffrage universel dont il évoque l'épreuve dans ce mois-ci. C'est là aussi ce qui doit occuper l'Europe entière, car si les rouges triomphent en France, leur sanglant succès sera assuré, ou du moins tenté partout, et partout probable. Je n'ai aucune nouvelle directe de France depuis la crise du 2. Mme la Duchesse d'Orléans comprendra-t-elle enfin, hélas! après coup, le guêpier dans lequel l'héroïque Thiers et consorts l'ont fait tomber? La fusion, qui aurait pu sauver les principes et la civilisation entière, est maintenant hors de propos. M. Thiers à Vincennes, le douteux Changarnier sous les verrous, la candidature Joinville couverte de ridicule, Mme la Duchesse d'Orléans reste la grande coupable aux yeux de l'Europe33. Et voilà où conduisent l'esprit faux chez tous et l'ambition personnelle chez les femmes, à qui il n'est permis d'en avoir que pour autrui. Mais à quoi servent toutes ces réflexions? Hélas! à rien, qu'à reconnaître une fois de plus le profond aveuglement de l'humanité.

       Sagan, 9 décembre 1851.– Mme d'Albuféra me mande que rien n'égale les fureurs de Mme Dosne34. On ne relâche pas en masse les députés faits prisonniers le 2, mais tantôt l'un, tantôt l'autre, les orléanistes et les montagnards les derniers. Le carnage a été très grand à Paris. Si le Président comprend bien sa mission, il terrassera les rouges. C'est le meilleur, le seul moyen pour se perpétuer au pouvoir, car il gagnerait ainsi la reconnaissance de toute l'Europe. On me mande de Vienne qu'on y est très favorable au Président, surtout, je pense, aux mesures énergiques de son coup d'État. Il me paraît que Thiers, en cage, est plutôt l'objet du ridicule qu'il n'a la gloire du martyre.

      Sagan, 11 décembre 1851.– Les nouvelles de Paris m'intéressent. Voilà les mesures de déportation qui prennent rang dans toutes celles que le coup d'État a enfantées. Il ne s'agit ni de l'exalter, ni de le stigmatiser pour le moment. Il s'agit d'en observer les conséquences,

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<p>27</p>

La duchesse d'Angoulême était morte à Frohsdorf le 19 octobre 1851.

<p>28</p>

Il n'y eut ni régence ni tutelle en Hanovre, Georges V succéda à son père malgré sa cécité, le Roi Ernest-Auguste ayant, dès 1843, tranché la question, en établissant que les actes présentés à la signature du futur monarque seraient lus en présence de douze témoins et contresignés par le secrétaire de ce comité.

<p>29</p>

On appelait du nom de Burgraves quelques politiques rétrogrades, membres de la Commission de l'Assemblée législative chargée de préparer la loi du suffrage restreint, dite loi du 31 mai. La plupart étaient des chefs d'anciens partis monarchiques comme Thiers, Molé, Broglie. Les républicains les regardaient comme des politiques usés et impuissants.

<p>30</p>

Extrait de lettre.

<p>31</p>

Intéressé par le caractère si complexe de M. de Talleyrand, qu'il avait pu suivre de près, l'abbé Dupanloup, devenu évêque d'Orléans, avait passé de longues années à recueillir une série d'actes publics ou privés, concernant les diverses périodes de la vie du Prince. Cette collection de lettres et de documents forme quatorze volumes: Mgr Dupanloup y a joint un récit des derniers moments du Prince de Talleyrand dont il a été déjà question dans le deuxième volume de la Chronique. Tous ces papiers et manuscrits se trouvent à l'heure actuelle dans la possession de M. Bernard de Lacombe, Mgr Dupanloup les ayant légués à son père, M. Hilaire de Lacombe.

<p>32</p>

Dans la nuit du 1er au 2 décembre, le Prince Louis Bonaparte, ayant fait garder à vue le président de l'Assemblée, avait fait arrêter les principaux chefs des partis républicain et monarchistes, puis, par deux proclamations, déclaré l'Assemblée dissoute et le suffrage universel rétabli. Il procéda ensuite à un plébiscite qui lui donna la Présidence pour dix ans. La force armée et les commissions mixtes ayant fait justice des récalcitrants, ce coup d'État, préparé avec l'énergique concours de M. de Morny, du général de Saint-Arnaud et du préfet de police, M. de Maupas, triompha de toutes les résistances.

<p>33</p>

M. Thiers, qui croyait la branche aînée des Bourbons frappée d'une impopularité irrémédiable, avait approuvé et appuyé avec énergie l'opposition faite par la Duchesse d'Orléans à un accord entre la branche aînée et la branche cadette. Regardée comme le principal obstacle d'une si désirable réconciliation, les partisans de la fusion accusaient la Princesse d'avoir, par ses fautes, contribué plus que toute autre chose à ramener l'Empire au pouvoir. Ils avaient aussi trop mis leurs espérances dans le général Changarnier qui, loyal mais présomptueux, jouait serré les légitimistes et les orléanistes les uns contre les autres, ne donnant aucun signe de ses intentions réelles, mais ne voulant, dans le fond de sa pensée, que poser la couronne sur la tête qui devait la porter, en tenant à la poser lui-même. Son attitude énigmatique l'avait rendu suspect aux yeux de plusieurs.

<p>34</p>

A cause de l'arrestation de M. Thiers.