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débouchés et à la misère des temps.

      Mon pauvre Cardinal est bien malade, il s'est réfugié à la campagne; il paraît que le coup que lui a porté l'animal furieux qui l'a terrassé l'automne dernier est la cause, longtemps cachée, de ses souffrances actuelles44.

      L'Empereur de Russie a failli périr par un accident de chemin de fer entre Myslowitz et Varsovie. Le train a déraillé sur territoire russe; plusieurs personnes de la suite ont été blessées, mais l'Empereur est sain et sauf.

      Le 26 au soir, à la fête donnée au Babelsberg pour l'anniversaire qu'on célébrait ce jour-là, un orage, une trombe d'eau, des éclairs furieux ont fondu sur tous les augustes promeneurs, tout au travers d'une course en voitures ouvertes; la foudre est tombée deux fois devant celle où se trouvait l'Impératrice, elle en a eu des défaillances; bref, on m'écrit que le tout a été ce qu'on peut imaginer de plus déplorable.

       Sagan, 10 juin 1852.– Avant-hier, Leurs Majestés, accompagnées de Mme la Grande-Duchesse douairière de Mecklembourg-Schwerin, sont arrivées ici à deux heures de l'après-midi. J'avais été à leur rencontre. Après un peu de repos et une grande toilette, long dîner, conversation après le café, toilette de promenade, thé pris dans le haut du parc, sous une tente dressée exprès et fort ornée. Après quoi, longue tournée dans le parc, en totalité illuminé, mi-partie en ballons de couleurs, mi-partie en lampions brillants; chaque dix minutes des feux de Bengale colorés. Des bandes de musique sur l'eau dans des bateaux illuminés, des chants, des fusées; bref, c'était très beau, je dois en convenir. L'église de Sainte-Croix s'est produite dans une mer de feux rouges; le temps superbe, plus de huit mille personnes circulant librement partout, foule tranquille et respectueuse, et cependant faisant entendre de bons cris. Toute la caravane royale dans huit voitures à moi, parcourant au pas toute cette étendue. On est rentré souper au milieu des livres et des gravures; après quoi, toute la ville, les corporations diverses, bannières flottantes, transparents allégoriques, se sont placées sur la place du Château en Fakel-Zug45. Le Roi s'est fait présenter tous mes petits protégés du gymnase. La bonne humeur, la bonne grâce ont été parfaites. La Reine surtout, avant tout, par-dessus tout, d'une gaieté, bonté, abandon de conversation comme je ne me doutais pas qu'elle pût être.

       Sagan, 16 juin 1852.– C'est le Prince de Hesse, ex-gendre de l'Empereur Nicolas, qui épouse la Princesse Anna de Prusse. Elle devra vivre à Cassel dans les plus désagréables relations de famille, avec un mari qui ne semble pas rassurant. Il doit hériter de l'Électorat, ce qui suffit à le rendre odieux à l'Électeur actuel qui est un très méchant homme. Il a négocié partout pour que ses enfants morganatiques fussent reconnus ses successeurs, mais partout il a échoué. L'avenir de la Princesse Anna fait naître bien des appréhensions; mais elle a beaucoup d'esprit, beaucoup de volonté, cela aide.

      J'ai lu l'article de Cousin sur Mme de Longueville dans la Revue des Deux Mondes, et j'en ai été ravie. Il m'est venu à la pensée que des allures chrétiennes avaient échappé au voltairien46, tant il est vrai qu'il n'y a pas moyen de rester profane quand on touche au grand siècle. Aussi, je voudrais m'y plonger et délaisser toute autre lecture.

      Günthersdorf, 18 juin 1852.– Humboldt m'a prêté un livre que j'ai lu hier: L'Orléanisme, c'est la révolution. On dit qu'il fait effet, et je le crois. Ce n'est pas qu'on ne puisse en partie le controverser, mais il y a des faits, des rapprochements, des résultats habilement et clairement établis, impossibles à nier. Puis il y a, à la suite, des pièces, lithographiées sur originaux, frappantes. Je regrette, pour la pauvre Reine Marie-Amélie, que l'amertume ne lui en soit pas épargnée.

       Lœbichau, 30 juin 1852.– Je suis auprès de ma sœur. Elle est fort triste et moi très abattue; à nous deux, nous ne nous sommes pas importunes, parce que nous ne contrastons pas dans nos dispositions d'âme. Les mille et une souvenances d'enfance et de jeunesse ensevelies dans les tombeaux, et qui, ici, semblent nous faire appel, ne laissent pas que de mettre les cordes les plus sensibles en jeu. Ma sœur et moi nous nous sentons sur la pente rapide qui nous conduit là où reposent ceux qui remplissaient jadis brillamment des lieux devenus si solitaires. Les vieux serviteurs qui restent gardiens de ces déserts en font encore plus apercevoir le vide, ou, pour mieux dire, la vétusté.

      Carlsbad, 4 juillet 1852.– Mme Alfred de Chabannes m'écrit de Versailles: «La position de Mme la Duchesse d'Orléans en Suisse deviendra affreuse. Ses beaux-frères négocient maintenant avec le Comte de Chambord, qui, dégoûté et blessé, demande des garanties. Les jeunes Princes ne consultent plus leur belle-sœur; elle sera forcée de les suivre plus tard, en attendant, elle se place dans un vrai guêpier. Le duc de Montpensier, arrivant d'Espagne, est le plus spirituel et le plus actif; il a fait changer les voies; c'est lui qui mène mère, et frères, et sœur; aussi Mme la Duchesse d'Orléans ne l'aime-t-elle guère.»

       Carlsbad, 14 juillet 1852.– M. de Flavigny, venant de Paris, et qui a passé vingt-quatre heures ici, dit que la santé du Président inquiète ses amis. Il a, dit-on, un tempérament épuisé, et parfois, des somnolences étranges.

      Changarnier et Lamoricière, qui ont vu la Duchesse d'Orléans en Belgique, lui ont, à ce qu'il paraîtrait, fortement parlé pour la fusion. Je suppose qu'en Suisse elle entendra d'autres sons qui lui paraîtront plus harmonieux.

      Carlsbad, 18 juillet 1852.– Voici deux faits dont l'exactitude m'est certifiée. Le Gouvernement français a trouvé très mauvais les honneurs rendus sur le territoire belge à Mme la Duchesse d'Orléans; il en a fait porter plainte, et on s'est confondu en excuses, disant que le maire de Liège entre autres avait agi sans ordres. En outre, l'Ambassadeur de France à Londres a reçu ordre de ne point se rendre à l'audience diplomatique que la Duchesse de Montpensier a donnée comme Infante d'Espagne au Corps diplomatique de Londres. L'Ambassadeur d'Espagne a fort ressenti ce procédé, et a déclaré qu'il ne mettrait plus le pied à l'Ambassade de France.

       Teplitz, 2 août 1852.– La comtesse de Hahn-Hahn m'a écrit une lettre inattendue, dans laquelle elle m'annonce se dépouiller de tout ce qu'elle possède. Elle donne toute sa fortune à l'établissement du couvent du Bon-Pasteur, à Mayence, dans lequel elle prendra le voile47. Mais cette fortune ne suffit pas; elle quête pour achever cette œuvre, et elle commence par moi. Cette lettre figurera dans ma collection d'autographes, et c'est ce que j'en aime le mieux.

      J'ai reçu aussi une lettre de la comtesse Mollien. Elle est en Angleterre, auprès de la Reine Marie-Amélie, et fait des tournées intéressantes avec cette Reine douée d'une force physique extraordinaire et d'une activité que le malheur ne peut détruire.

      Le duc d'Aumale a acheté une propriété en Angleterre; je crois que c'est la maison que ses parents habitaient jadis à Twickenham. Il s'y établira à l'automne avec sa belle-mère48, qui est venue rejoindre sa fille. Le prince de Joinville partira à l'automne avec femme et enfants pour l'Espagne; peut-être sa mère sera-t-elle du voyage. Les Nemours restent à Claremont. On paraît être là fort ignorant des projets de Mme la Duchesse d'Orléans.

       Teplitz, 10 août 1852.– Sans nier l'incontestable talent de Mlle Rachel, qui est maintenant à Bade, sa belle prononciation, sa physionomie expressive, ses gestes gracieux, ses inspirations heureuses, je dois dire qu'elle ne ma jamais entraînée. Elle est trop étudiée; tout est calculé à l'avance, minutieusement calculé; et la preuve, c'est qu'elle joue chaque rôle toujours de la même manière; même geste, même intonation, même accent, même cri placé au même instant. C'est une page notée, et c'est là aussi ce qui fait qu'à la seconde ou troisième fois qu'on l'a vue dans le même rôle, elle paraît extrêmement monotone. Mais ce sont de ces aveux qu'il ne faut faire qu'à huis clos. Quant à la comédie, dans laquelle je l'ai vue aussi s'essayer, elle m'a déplu; elle y est sèche et trop risquée à la fois, à cent pieds au-dessous de Mlle Mars, dont la grâce, le bon goût et les nuances fines étaient si remarquables.

      

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<p>44</p>

Mgr Diepenbrock, Prince-évêque de Breslau, mourut le 19 janvier 1853. Deux années auparavant, Son Éminence avait été poursuivie et attaquée, dans la montagne du Johannisberg, par une vache furieuse, excitée par la vue de la soutane rouge du Cardinal, qui ne se remit jamais de cet accident.

<p>45</p>

Cortège accompagné de torches enflammées.

<p>46</p>

Victor Cousin, le père de l'éclectisme, après avoir erré plus de quarante ans sur tous les grands chemins de la pensée, sans dresser sa tente nulle part, finit par renoncer à la philosophie pour se donner à la littérature et à l'érudition, disant qu'après tout, la philosophie se réduisait à la morale. Or, d'après lui, la morale ne différait pas de la religion, et la religion, c'était le christianisme. Le voltairien s'était ainsi créé une religion intellectuelle, qui explique l'esprit de ses derniers ouvrages sur le dix-septième siècle.

<p>47</p>

La comtesse de Hahn-Hahn prit en effet le voile en novembre 1852.

<p>48</p>

La Princesse de Salerne. Elle était fille de François II, Empereur d'Autriche.