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c'étaient tout simplement Hou-Kong et Tan-Lao, les deux amis du jardinier dépossédé, qui, vaguement instruits de la rencontre des jeunes gens avec les démons et de la disparition de Tchang-Oey, arrivaient pour voir ce qu'il en était. Les fermiers racontent la chose, et les deux vieillards, saisis d'une grande frayeur, les engagent à ne pas se retirer. Restez, disent-ils, nous allons nous joindre à vous et recommencer les recherches. On s'en occupa donc avec une scrupuleuse attention, à l'aide de lanternes; mais leur zèle était à bout et ils s'en allèrent en soupirant. Messieurs, dirent alors les deux vieillards, si vous ne revenez pas ce soir, nous vous prions de vouloir bien fermer les portes; il ne reste personne pour garder, et la responsabilité pèsera toute entière sur nous qui sommes les voisins. Mais les hôtes du jeune seigneur, serpents sans tête, incapables de marcher, n'avaient plus comme la veille la parole hautaine: C'est bien, nous nous en rapportons à vous, répondirent-ils; et ils se dispersèrent.

      A peine étaient-ils dehors qu'ils entendent au bas du mur, du côté de l'est, un des fermiers qui criait: Sa Seigneurie est ici. Tous se précipitent à la fois. Tenez, ajoute le paysan, en faisant signe de la main, il y a quelque chose qui pend à cet acacia; n'est-ce pas le bonnet de notre maître? – C'était bien lui. – On éclaire le long du mur, et à quelques pas de là, à l'angle oriental, dans un détour formé par l'enceinte, se trouve une fosse remplie d'immondices, au milieu de laquelle est un homme, planté tout droit, les jambes en haut, la tête en bas. Tout le monde reconnut les bottes et les vêtements du jeune seigneur. L'odeur de cette fosse était insupportable; tandis qu'on s'occupait de retirer le corps de Tchang-Oey, les deux vieillards adressaient secrètement des prières à Bouddha. Puis ils se joignirent aux autres voisins et se retirèrent.

      Les fermiers chargèrent sur leurs épaules le cadavre du maître et allèrent le laver dans l'étang; quelqu'un partit annoncer cette nouvelle à la maison de campagne. Petits et grands s'abandonnèrent à la douleur; et le corps, déposé dans un cercueil, fut rendu à la terre; nous l'y laisserons.

      Les blessures que Tchang-Pe avait reçues à la tête étaient très graves: il expira à la cinquième veille de la nuit. Ainsi les mauvaises actions ont leur récompense.

      Deux scélérats qui ont quitté le monde,

      Ce sont deux démons méchants qui descendent dans les enfers.

      Le lendemain, le grand juge, remis de son indisposition, se rendit au tribunal pour reprendre l'affaire de Tsieou-Sien; mais un employé du palais vient lui annoncer que l'accusateur Tchang-Oey et le dénonciateur Tchang-Pe sont morts tous les deux dans la nuit, et il raconte tous les évènements de cette fatale soirée. Le juge effrayé ne peut ajouter foi à cette aventure, lorsque, quelques minutes après, il voit venir le chef du village, qui, escorté de tous les habitants de Tchang-Yo, lui présente une pétition signée des cent familles, dans laquelle les faits sont exposés avec exactitude et établissent en outre que toute sa vie Tsieou-Sien, rempli de tendresse pour les fleurs, s'est livré à la pratique de la vertu; qu'il n'est rien moins que sorcier; que Tchang-Oey, cherchant à s'emparer illicitement du jardin et à perdre le vieillard, a suscité contre lui une accusation calomnieuse; mais qu'enfin la providence a pris parti pour l'innocent. Tout ce qui s'était passé dans cette affaire était rapporté avec le plus grand détail et la plus grande précision.

      Le vertige dont il avait été saisi la veille avait déjà donné au juge quelque soupçon, et il avait eu l'idée de l'injustice de cette accusation; dès-lors, ce doute se changea en certitude, et sa joie fut grande de ne pas avoir encore employé la torture. Il ordonna de tirer de prison Tsieou-Sien et de l'introduire dans la salle du tribunal, où il fut rendu à la liberté. Puis il lui remit un arrêté marqué de son propre sceau, pour être affiché à sa porte. Ce décret défendait aux promeneurs de causer un dommage quelconque aux fleurs et aux arbres.

      Toute l'assemblée salua en s'inclinant jusqu'à terre, et Tsieou-Sien adressa à ses voisins de sincères remerciements. Les deux vieillards ouvrirent les portes de l'enclos et firent leur entrée avec le vieux jardinier, A la vue des pivoines aussi belles, aussi épanouies que jamais, Tsieou fut profondément ému. On lui apporta du vin pour achever de dissiper ses terreurs: lui-même répondit à l'empressement de ses amis par un banquet, et il y eut quelques jours de fêtes, dont nous ne parlerons pas.

      Depuis lors, Tsieou-Sien se mit à manger chaque jour des fleurs. Insensiblement il s'y accoutuma, renonça à toute chose rôtie au feu. Ses fruits confits il les vendit, et cet argent fut employé en aumônes. Dans quelques années, ses cheveux redevinrent noirs, sa physionomie reprit la fraîcheur de la jeunesse.

      Un jour, c'était le 15e de la 8e lune, le temps était magnifique, le ciel si pur qu'on n eût pu apercevoir un nuage dans toute l'étendue de l'horizon; Tsieou-Sien était assis, les jambes croisées, auprès de ses fleurs. Tout-à-coup une brise de bon augure souffle doucement, il s'élève une vapeur étincelante comme l'éclat des flambeaux: on entend, dans l'espace, des chants et de la musique, un parfum surnaturel embaume l'atmosphère; des phénix bleus, des cigognes blanches s'ébattent et voltigent. Peu à peu, en face de la maison, apparaît la jeune immortelle, debout au milieu d'un nuage. A ses côtés flottent des étendards couverts de pierres précieuses, et un grand nombre d'autres jeunes filles, immortelles aussi, l'entourent, tenant en main des instruments de musique.

      Le vieillard se prosterne dans la poussière, et la jeune déesse qui préside aux fleurs lui parle en ces termes: Tsieou, le cercle des mérites que vous aviez à acquérir est rempli; j'en ai fait mon rapport au maître du ciel, qui a daigné ordonner qu'en considération de l'amour que vous avez toujours ou pour les fleurs, et du soin que vous en avez toujours pris, parmi les hommes, vous soyez enlevé aux demeures célestes. Celui qui aime et protège les fleurs augmente sa félicité; celui, au contraire, qui leur cause du dommage et les détruit, attire sur soi de grandes calamités.

      Tsieou-Sien, frappant la terre de son front, témoigna sa reconnaissance à la jeune fille assise dans l'espace, puis, obéissant aux ordres des immortels, il monta sur le nuage. Bientôt, chaumière, fleurs, arbres, tout s'éleva lentement vers les cieux, dans la direction du sud.

      Les deux vieillards Hou-Kong et Tan-Lao, ainsi que tous les habitants du village, se prosternèrent avec respect; ils virent long-temps encore Tsieou-Sien qui, du milieu de son nuage, leur faisait des signes d'adieux. – Puis tout disparut.

      Cet endroit a changé son nom en celui de Ching-Sien-Ly, le village de l'Immortel qui monte aux cieux. On l'appelle aussi le village des Cent Fleurs.

      Comme le maître du jardin avait toujours chéri les fleurs,

      Obéissant à sa voix, les immortels descendaient le visiter;

      Sa cabane, ses plantes, ses arbres ont été enlevés au ciel

      avec lui:

      Le Tao-Sse Hoay-Nan n'a pas besoin de purifier l'or par

      le feu.

      LE BONZE KAY-TSANG

      SAUVÉ DES EAUX.

      HISTOIRE BOUDDHIQUE

      La ville de Tchang-Ngan9, dans le Chen-Si, est le lieu où les Empereurs ont successivement établi leur cour, depuis les Tcheou, les Tsin et les Han jusqu'à nos jours. Elle est partagée entre trois îles étincelantes comme des écharpes brodées, huit bras de rivières baignent ses murs: aussi jouit-elle d'une grande célébrité.

      Quand Taï-Tsong, de la dynastie des grands Tang, prit les rênes du gouvernement, il data de l'année Tching-Kwan10. Or, la 13e année de son règne, l'Empire jouissait d'une paix profonde; les huit provinces payaient le tribut et les quatre mers reconnaissaient la souveraineté de la Chine.

      Un jour, Taï-Tsong était sur son trône; les magistrats civils et militaires, réunis autour de lui, achevaient de faire leur cour, lorsque le ministre Oey-Tching sortit des rangs des courtisans et s'adressant à l'Empereur: «Aujourd'hui, dit-il, que le calme le plus parfait est rétabli dans le royaume, que les huit provinces sont pacifiées et tranquilles, il serait bon d'ouvrir,

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<p>9</p>

Le mot Tchang-Ngan signifie proprement lieu du repos éternel; il s'applique au pays où habite la cour: dans ce passage, il désigne la ville de Si-Ngan-Fou, capitale des Tang.

<p>10</p>

An 627 de J. – C.