Скачать книгу

ministre est pleine de raison, répondit Taï-Tsong. »

      Aussitôt il rendit un décret qui fut promulgué dans toutes les villes, dans tous les districts, dans toutes les provinces et jusque dans les camps. Il portait que les lettrés initiés à la lecture des livres classiques, capables d'en pénétrer le sens et de le développer avec clarté, et de présenter les trois compositions pour le doctorat, eussent à se rendre au concours général de la capitale.

      L'ordonnance impériale parvint au pays de Haï-Tcheou. Un jeune homme nommé Tchin-Ngo, dont le titre honorifique était Kwang-Jouy (le Bouton brillant), aperçut cette affiche à la porte du palais. De retour chez lui, il dit à sa mère Tchang-Chy: «Un édit émané du trône proclame un concours dans la province du sud, afin de pouvoir, d'après le résultat de l'examen, employer les lettrés, selon leurs vertus et leurs talents. Votre fils a le désir de s'y présenter; s'il obtient une magistrature ou un grade quelconque, il donnera de l'éclat à son nom, se mariera et élèvera des enfants qui soutiendront l'honneur de sa famille. Votre fils est tout décidé; seulement, il tenait à consulter sa mère avant de partir.

      – «Mon fils, répondit Tchang-Chy, vous êtes versé dans la connaissance des livres classiques: pendant l'enfance on étudie, et arrivé à l'âge mûr on tire parti de son savoir; ainsi, il faut aller comme les autres à cet examen. Mais durant le voyage soyez attentif à ce que vous ferez, et si vous obtenez quelque emploi, revenez au plus vite vers votre mère. »

      Kwang-Jouy ordonna aussitôt à ses domestiques de tout disposer pour le départ, puis, après avoir pris congé de sa mère, il se mit en route et ne tarda pas à arriver dans la capitale. Le concours venait de s'ouvrir: Kwang-Jouy présenta ses compositions; l'issue de l'examen prouva qu'il était admis, et son nom fut porté le troisième sur la liste. Le grand souverain de la dynastie des Tang, de son pinceau impérial, lui conféra le titre de docteur; ensuite le lauréat, monté sur un cheval, parcourut la ville pendant trois jours.

      Or, comme il passait devant la porte du palais habité par le premier ministre Oey-Tching, la fille de ce dignitaire, appelée Ouen-Kiao (et aussi Moan-Tang-Kiao), se trouvait dans son appartement tout tapissé de festons et de guirlandes. Cette jeune personne, qui n'était pas mariée encore, tenait à la main une petite balle de soie, qu'elle allait lancer pour deviner, par le sort, l'époux qui lui était destiné.

      Dans ce moment le nouveau docteur vint à paraître sous le balcon: la fille de Oey-Tching vit en lui, au premier coup-d'œil, un homme au-dessus du vulgaire; et quand elle reconnut que c'était un des vainqueurs du dernier concours, son cœur fut rempli de joie; saisissant donc la petite balle, elle la jeta rapidement, de manière qu'elle allât frapper le bonnet de gaze noire du docteur Kwang-Jouy. Il entendit alors avec surprise une charmante musique de flûtes et de hautbois retentir dans le palais; bientôt une dizaine de servantes, descendues de l'étage supérieur, arrêtèrent son cheval à la bride et l'introduisirent lui-même dans le palais pour accomplir l'union.

      Le ministre sortit de la grande salle, accompagné de son épouse, accueillit le docteur avec beaucoup de politesse et le pria d'entrer, puis il lui accorda la main de sa fille. Kwang-Jouy s'inclina jusqu'à terre, et lorsque les époux eurent achevé réciproquement toutes les civilités dictées par les rites, le jeune homme salua respectueusement ses nouveaux parents des titres de beau-père et belle-mère.

      Un grand repas fut commandé par Oey-Tching; la nuit se passa en réjouissances, et les époux furent conduits par la main dans l'appartement parfumé.

      Le lendemain, à la cinquième veille, Taï-Tsong siégeait sur son trône dans le palais des clochettes d'or; les officiers civils et militaires étaient venus faire leur cour. L'Empereur demanda quel emploi il convenait d'accorder au nouveau docteur Kwang-Jouy. Le ministre prit la parole et dit: «Votre sujet fait observer que la préfecture11 de Kiang-Tcheou est la seule qui se trouve vacante, et il ose la demander pour Kwang-Jouy. »

      Taï-Tsong lui accorda cette faveur, en intimant au nouveau magistrat l'ordre de partir immédiatement pour le lieu de sa résidence et d'y arriver dans le délai qui lui était assigné. Après avoir témoigné sa reconnaissance l'Empereur, Kwang-Jouy revint à l'hôtel du ministre, afin de s'entendre avec son épouse sur les préparatifs du voyage; puis il prit congé de ses parents, et partit en compagnie de Ouen-Kiao pour le Kiang-Tcheou.

      Ils quittèrent donc la capitale et poursuivirent leur marche. Le printemps faisait sentir sa douce influence: une brise attiédie balançait la tige des saules, une pluie fine tombant goutte à goutte arrosait le calice empourpré des fleurs. Profitant de l'occasion offerte par la direction de la route, Kwang-Jouy alla saluer sa mère et lui présenter son épouse. Tchang-Chy témoigna toute sa joie de voir son fils marié, et revenu vers elle d'après sa recommandation. Elle écouta avec intérêt le récit que lui fit le nouveau docteur de ses triomphes, de son mariage et de sa nomination. Kwang-Jouy terminait en exprimant le désir d'emmener sa mère; cette proposition plut à la vieille dame, qui se disposa en conséquence. On partit, et en quelques jours on fut rendu à l'auberge de Ouan-Hoa, où l'on prit quelque repos.

      Tchang-Chy, s'étant trouvée subitement indisposée, dit à son fils: «Je suis malade, il est à propos que je reste deux jours encore à me soigner dans cette hôtellerie, après quoi nous partirons.» Kwang-Jouy accéda aux volontés de sa mère.

      Le lendemain, de grand matin, il vit à la porte un homme tenant à la main un poisson d'une belle couleur d'or, de l'espèce dite Ly-Yu, qu'il voulait vendre. Le docteur acheta ce poisson; mais, à l'instant où il se disposait à le faire rôtir pour l'offrir à sa mère, il s'aperçut que l'animal se débattait, ouvrait et refermait les yeux. «J'ai entendu dire, songea Kwang-Jouy tout stupéfait, que quand les anguilles ou les autres poissons agitent ainsi les yeux, c'est un avertissement qu'il ne faut pas négliger.» Il alla donc demander au pêcheur où il avait pris ce poisson. «A dix lys12 d'ici, répondit l'étranger, dans le fleuve Hong-Kiang.»

      A ces mots, Kwang-Jouy prit l'animal et courut le remettre dans l'eau; puis, après avoir rendu la vie à cet être créé, il vint annoncer cette bonne action à sa mère. «Rendre la vie aux animaux est une œuvre méritoire, dit la vieille dame; et ce que vous avez fait là me remplit de satisfaction» – Ma mère, reprit Kwang-Jouy, voilà déjà trois jours que nous sommes ici, le délai accordé pour la route va bientôt expirer; votre fils désire se remettre en marche demain: mais comment est la santé de ma mère? – Pas très mauvaise, répartit Tchang-Chy; cependant voyager par une saison aussi chaude pourrait, je le crains, aggraver mon indisposition. Louez une chambre, laissez-moi de quoi y vivre jusqu'à ce que je sois rétablie, et partez devant tous deux: aux premières fraîcheurs de l'automne, vous viendrez me chercher.»

      Ce plan fut communiqué par le docteur à son épouse, qui l'adopta. Ils firent leurs adieux à Tchang-Chy et se mirent en route.

      La difficulté des chemins leur causait beaucoup de fatigue; après avoir marché tout le jour, la nuit ils faisaient halte. Enfin ils arrivèrent à l'endroit où l'on s'embarque sur le fleuve Hong-Kiang, et là ils rencontrèrent les deux mariniers Lieou-Hong et Ly-Pieou, qui venaient en ramant vers le rivage où ils étaient arrêtés.

      Dans une existence antérieure, Kwang-Jouy avait été destiné à devenir la victime d'une grande infortune, et il allait ainsi au-devant de son ennemi. Les bagages portés par son ordre sur le bateau, son épouse et lui s'embarquèrent avec leurs domestiques.

      Le patron de la barque, Lieou-Hong, fixa ses regards sur la jeune femme. Son visage était arrondi comme la pleine lune, ses yeux brillaient comme les flots en automne13, sa bouche petite et fraîche ressemblait à une cerise, sa taille de guêpe offrait la flexibilité du saule, elle avait la grâce du poisson qui plonge sous les eaux ou de la mouette qui se laisse tomber du haut des cieux: sa beauté éclipsait la lune et faisait honte à la fleur. Tant de charmes firent naître de mauvais desseins dans le cœur du batelier, qui les communiqua à son compagnon Ly-Pieou. Par suite de leur complot, le bateau fut dirigé sur une plage déserte, et vers la troisième veille de la nuit, au milieu du silence et

Скачать книгу


<p>11</p>

Le mot de préfecture n'est pas plus impropre que celui de département, les Chinois étant dans l'usage de désigner leurs provinces d'après les fleuves qui les arrosent ou les montagnes qu'elles renferment. Le Kiang-Tcheou correspond au pays de Ou et de Tsou, au temps où la Chine était divisée en sept petits états, c'est-à-dire jusqu'à l'an 221 avant J. – C., époque à laquelle Hoang-Ti, de la dynastie des Tsin, détruisit toutes ces principautés féodales.

Le fleuve Kiang, le plus grand de la Chine, avec le Fleuve-Jaune (Hoang-Ho), prend sa source dans les montagnes du Tibet et se jette dans la Mer Orientale, après un cours de 600 lieues.

<p>12</p>

Une lieue.

<p>13</p>

Le mot Tsieou-Po (Vagues d'automne) exprime souvent, par élégance, deux beaux yeux de femme.