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grand principe du Sénat & du Peuple Romain était: Deorum offensa diis curæ; «C'est aux Dieux seuls à se soucier des offenses faites aux Dieux.» Ce Peuple Roi ne songeait qu'à conquérir, à gouverner, & à policer l'Univers. Ils ont été nos Législateurs comme nos vainqueurs; & jamais César, qui nous donna des fers, des loix & des jeux, ne voulut nous forcer à quitter nos Druides pour lui, tout grand Pontife qu'il était d'une Nation notre Souveraine.

      Les Romains ne professaient pas tous les cultes, ils ne donnaient pas à tous la sanction publique, mais ils les permirent tous. Ils n'eurent aucun objet matériel de culte sous Numa, point de simulacres, point de statues; bientôt ils en éleverent aux Dieux Majorum Gentium, que les Grecs leur firent connaître. La Loi des douze Tables, Deos peregrinos ne colunto, se réduisit à n'accorder le culte public qu'aux Divinités supérieures ou inférieures approuvées par le Sénat. Isis eut un Temple dans Rome, jusqu'au temps où Tibere le démolit, lorsque les Prêtres de ce Temple, corrompus par l'argent de Mundus, le firent coucher dans le Temple sous le nom du Dieu Anubis, avec une femme nommée Pauline. Il est vrai que Joseph est le seul qui rapporte cette histoire; il n'était pas contemporain, il était crédule & exagérateur. Il y a peu d'apparence que dans un temps aussi éclairé que celui de Tibere, une Dame de la premiere condition eût été assez imbécille pour croire avoir les faveurs du Dieu Anubis.

      Mais que cette anecdote soit vraie ou fausse, il demeure certain que la superstition Egyptienne avait élevé un Temple à Rome avec le consentement public. Les Juifs y commerçaient dès le temps de la guerre Punique; ils y avaient des Synagogues du temps d'Auguste, & ils les conserverent presque toujours, ainsi que dans Rome moderne. Y a-t-il un plus grand exemple que la tolérance était regardée par les Romains comme la loi la plus sacrée du droit des gens?

      On nous dit qu'aussi-tôt que les Chrétiens parurent, ils furent persécutés par ces mêmes Romains qui ne persécutaient personne. Il me paraît évident que ce fait est très-faux; je n'en veux pour preuve que St. Paul lui-même. Chap. 21. & 22.Les Actes des Apôtres nous apprennent que St. Paul étant accusé par les Juifs de vouloir détruire la Loi Mosaïque par Jesus-Christ, St. Jacques proposa à St. Paul de se faire raser la tête, & d'aller se purifier dans le Temple avec quatre Juifs, afin que tout le monde sache que tout ce que l'on dit de vous est faux, & que vous continuez à garder la Loi de Moïse.

      Paul, Chrétien, alla donc s'acquitter de toutes les cérémonies Judaïques pendant sept jours; mais les sept jours n'étaient pas encore écoulés, quand des Juifs d'Asie le reconnurent; & voyant qu'il était entré dans le Temple, non-seulement avec des Juifs, mais avec des Gentils, ils crierent à la profanation: on le saisit, on le mena devant le Gouverneur Félix, & ensuite on s'adressa au Tribunal de Festus. Les Juifs en foule demanderent sa mort; Actes des Apôtres, Chap. 25.Festus leur répondit: Ce n'est point la coutume des Romains de condamner un homme avant que l'accusé ait ses accusateurs devant lui, & qu'on lui ait donné la liberté de se défendre.

      Ces paroles sont d'autant plus remarquables dans ce Magistrat Romain, qu'il paraît n'avoir eu nulle considération pour St. Paul, n'avoir senti pour lui que du mépris; trompé par les fausses lumieres de sa raison, il le prit pour un fou; il lui dit à lui-même qu'il était en démence, Act. des Ap. Ch. 26. v. 34.multæ te litteræ ad insaniam convertunt. Festus n'écouta donc que l'équité de la Loi Romaine, en donnant sa protection à un inconnu qu'il ne pouvait estimer.

      Voilà le St. Esprit lui-même qui déclare que les Romains n'étaient pas persécuteurs, & qu'ils étaient justes. Ce ne sont pas les Romains qui se souleverent contre St. Paul, ce furent les Juifs. St. Jacques, frere de Jesus, fut lapidé par l'ordre d'un Juif Saducéen, & non d'un Romain: les Juifs seuls lapiderent St. Etienne;14 & lorsque St. Paul gardait les manteaux des exécuteurs, certes il n'agissait pas en Citoyen Romain.

      Les premiers Chrétiens n'avaient rien sans doute à démêler avec les Romains; ils n'avaient d'ennemis que les Juifs dont ils commençaient à se séparer. On sait quelle haine implacable portent tous les Sectaires à ceux qui abandonnent leur secte. Il y eut sans doute du tumulte dans les Synagogues de Rome. Suétone dit, dans la Vie de Claude, Judæos impulsore Christo assiduè tumultuantes Roma expulit. Il se trompait, en disant que c'était à l'instigation de Christ: il ne pouvait pas être instruit des détails d'un Peuple aussi méprisé à Rome que l'était le Peuple Juif, mais il ne se trompait pas sur l'occasion de ces querelles. Suétone écrivait sous Adrien, dans le second siecle; les Chrétiens n'étaient pas alors distingués des Juifs aux yeux des Romains. Le passage de Suétone fait voir que les Romains, loin d'opprimer les premiers Chrétiens, réprimaient alors les Juifs qui les persécutaient. Ils voulaient que la Synagogue de Rome eût pour ses freres séparés la même indulgence que le Sénat avait pour elle; & les Juifs chassés revinrent bientôt après; ils parvinrent même aux honneurs malgré les Loix qui les en excluaient: c'est Dion Cassius & Ulpien qui nous l'apprennent.15 Est-il possible qu'après la ruine de Jérusalem les Empereurs eussent prodigué des dignités aux Juifs, & qu'ils eussent persécuté, livré aux bourreaux & aux bêtes, des Chrétiens qu'on regardait comme une secte de Juifs!

       Néron, dit-on, les persécuta. Tacite nous apprend qu'ils furent accusés de l'incendie de Rome, & qu'on les abandonna à la fureur du Peuple. S'agissait-il de leur créance dans une telle accusation? Non sans doute. Dirons-nous que les Chinois, que les Hollandais égorgerent, il y a quelques années, dans les Fauxbourgs de Batavia, furent immolés à la Religion? Quelque envie qu'on ait de se tromper, il est impossible d'attribuer à l'intolérance le désastre arrivé sous Néron à quelques malheureux demi-Juifs & demi-Chrétiens.16

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      1

      12 Octobre 1761.

      2

      On ne lui trouva, après le transport du cadavre à l'Hôtel-de-Ville, qu'une petite égratignure au bout du nez, & une petite tache sur la poitrine, causées par quelque inadvertence dans le transport du corps.

      3

      Je ne connais que deux exemples de Peres accusés dans l'Histoire d'avoir assassiné leurs fils pour la Religion: le premier est du pere de sainte Barbara, que nous nommons Ste. Barbe. Il avait commandé deux fenêtres dans sa salle de bains: Barbe, en son absence, en fit une troisieme en l'honneur de la sainte Trinité; elle fit du bout du doigt le signe de la croix sur des colonnes de marbre, & ce signe se grava profondément dans les colonnes. Son pere en colere courut après elle l'épée à la main, mais elle s'enfuit à travers une montagne, qui s'ouvrit pour elle. Le pere fit le tour de la montagne, & ratrappa sa fille; on la fouetta toute nue, mais Dieu

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<p>14</p>

Quoique les Juifs n'eussent pas le droit du glaive depuis qu'Archelaüs avait été relégué chez les Allobroges, & que la Judée était gouvernée en Province de l'Empire; cependant les Romains fermaient souvent les yeux quand les Juifs exerçaient le jugement du zele, c'est-à-dire, quand, dans une émeute subite, ils lapidaient par zele celui qu'ils croyaient avoir blasphémé.

<p>15</p>

Ulpianus l… tit. II. Eis qui Judaïcam superstitionem sequuntur honores adipisci permiserunt, &c.

<p>16</p>

Tacite dit: Quos per flagitia invisos vulgus Christianos appellabat.

Il est bien difficile que le nom de Chrétien fût déja connu à Rome; Tacite écrivait sous Vespasien & sous Domitien; il parlait des Chrétiens comme on en parlait de son temps. J'oserais dire que ces mots, odio humani generis convicti, pourraient bien signifier, dans le style de Tacite, convaincus d'être haïs du Genre-humain, autant que convaincus de haïr le Genre-humain.

En effet que faisoient à Rome ces premiers Missionnaires? Ils tâchaient de gagner quelques ames; ils leur enseignaient la morale la plus pure; ils ne s'élevaient contre aucune puissance; l'humilité de leur cœur était extrême, comme celle de leur état & de leur situation; à peine étaient-ils connus, à peine étaient-ils séparés des autres Juifs: comment le Genre-humain, qui les ignorait, pouvait-il les haïr? & comment pouvaient-ils être convaincus de détester le Genre-humain?

Lorsque Londres brûla, on en accusa les Catholiques; mais c'était après des guerres de Religion, c'était après la conspiration des poudres, dont plusieurs Catholiques, indignes de l'être, avaient été convaincus.

Les premiers Chrétiens du temps de Néron ne se trouvaient pas assurément dans les mêmes termes. Il est très-difficile de percer dans les ténebres de l'Histoire; Tacite n'apporte aucune raison du soupçon qu'on eut que Néron lui-même eût voulu mettre Rome en cendres; on aurait été bien mieux fondé de soupçonner Charles II d'avoir brûlé Londres: le sang du Roi son Pere, exécuté sur un échafaud aux yeux du Peuple qui demandait sa mort, pouvait au moins servir d'excuse à Charles II. Mais Néron n'avait ni excuse, ni prétexte, ni intérêt. Ces rumeurs insensées peuvent être en tout Pays le partage du Peuple; nous en avons entendu de nos jours d'aussi folles & d'aussi injustes.

Tacite, qui connaît si bien le naturel des Princes, devait connaître aussi celui du Peuple, toujours vain, toujours outré dans ses opinions violentes & passageres, incapable de rien voir, & capable de tout dire, de tout croire, & de tout oublier.

Philon dit que Séjan les persécuta sous Tibere; mais qu'après la mort de Séjan, l'Empereur les rétablit dans tous leurs droits. Ils avaient celui des Citoyens Romains, tout méprisés qu'ils étaient des Citoyens Romains; ils avaient part aux distributions de bled, & même, lorsque la distribution se faisait un jour de Sabath, on remettait la leur à un autre jour: c'était probablement en considération des sommes d'argent qu'ils avaient données à l'Etat; car en tout Pays ils ont acheté la Tolérance, & se sont dédommagés bien vîte de ce qu'elle avait coûté.

Ce passage de Philon explique parfaitement celui de Tacite, qui dit qu'on envoya quatre mille Juifs ou Egyptiens en Sardaigne, & que si l'intempérie du climat les eût fait périr, c'eût été une perte légere, vile damnum.

J'ajouterai à cette remarque, que Philon regarde Tibere comme un Prince sage & juste. Je crois bien qu'il n'était juste qu'autant que cette justice s'accordait avec ses intérêts; mais le bien que Philon en dit, me fait un peu douter des horreurs que Tacite & Suétone lui reprochent. Il ne me paraît point vraisemblable qu'un Vieillard infirme de soixante & dix ans, se soit retiré dans l'Isle de Caprée pour s'y livrer à des débauches recherchées qui sont à peine dans la nature, & qui étaient même inconnues à la jeunesse de Rome la plus effrénée: ni Tacite, ni Suétone n'avaient connu cet Empereur; ils recueillaient avec plaisir des bruits populaires; Octave, Tibere, & leurs Successeurs avaient été odieux, parce qu'ils régnaient sur un Peuple qui devait être libre: les Historiens se plaisaient à les diffamer, & on croyait ces Historiens sur leur parole, parce qu'alors on manquait de Mémoires, de Journaux du temps, de Documents: aussi les Historiens ne citent personne; on ne pouvait les contredire; ils diffamaient qui ils voulaient, & décidaient à leur gré du jugement de la postérité. C'est au Lecteur sage de voir jusqu'à quel point on doit se défier de la véracité des Historiens, quelle créance on doit avoir pour les faits publics attestés par des Auteurs graves, nés dans une Nation éclairée; & quelles bornes on doit mettre à sa crédulité sur des Anecdotes que ces mêmes Auteurs rapportent sans aucune preuve.