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la mort. À Mayence, où Victoria mourut, ce fut un spectacle de douleur sublime!

      – Assez, moine… – murmura Brunehaut les dents serrées de rage, – oh! assez…

      – Ce fut, disais-je, un spectacle de douleur sublime; Victoria, couchée sur un lit d'ivoire recouvert de drap d'or, fut exposée pendant huit jours; hommes, femmes, enfants, l'armée, le sénat, encombraient les abords de son humble maison; chacun venait une dernière fois contempler dans un pieux recueillement les traits augustes de celle qui fut la gloire la plus chérie, la plus admirée de la Gaule…

      – Moine… – s'écria Brunehaut en saisissant le bras du vieillard et voulant l'entraîner avec elle, – les bourreaux attendent… Viens… viens… Oh! je serai là…

      Loysik n'employa qu'une force d'inertie pour résister à la reine, resta immobile, et continua d'une voix calme et solennelle:

      – Les restes de Victoria la Grande, portés sur le bûcher, disparurent dans une flamme pure, brillante, radieuse comme sa vie; enfin, pour honorer son génie viril à travers les âges, le peuple des Gaules, lorsqu'il eut perdu sa mère, lui décerna ce titre souverain que toujours elle avait refusé, par une modestie sublime; oui, il y a plus de quatre siècles, ce bronze fut frappé à l'immortelle effigie de Victoria, empereur!

      En disant ces derniers mots, Loysik avait pris la médaille entre ses mains. Brunehaut, dont la rage était arrivée à son paroxysme, arracha l'auguste image des mains du vieillard, la jeta sur le sol, et foula ce bronze sous ses pieds avec une fureur aveugle.

      – Oh! Victoria… Victoria! – s'écria Loysik, la figure rayonnante d'enthousiasme, – ô femme empereur! héroïne des Gaules! je peux mourir! ta vie aura été pour Brunehaut le châtiment de ses crimes; – et se tournant vers la reine toujours possédée de son vertige frénétique: – Va… ainsi que ce bronze que tu foules aux pieds, elle défie ta rage impuissante, la gloire immortelle de Victoria la Grande!

      Soudain Warnachaire entra dans la salle en s'écriant:

      – Madame… madame… désastreuse nouvelle… Un second messager arrive à l'instant de l'armée… Clotaire II, par une manœuvre habile, a enveloppé nos tribus germaines; l'espoir d'un prompt pillage les a réunies à ses troupes; il s'avance à marches forcées sur Châlons. Votre présence et celle des jeunes princes au milieu de l'armée est indispensable en un moment si grave. Je viens de donner les ordres nécessaires pour votre prompt départ. Venez, madame, venez; il s'agit du salut de vos états, de votre vie peut-être… Car, vous le savez, le fils de Frédégonde est implacable…

      Brunehaut, frappée de stupeur à cette brusque nouvelle, resta d'abord pétrifiée… tenant encore son pied sur la médaille de Victoria; puis ce premier saisissement passé, elle s'écria d'une voix retentissante comme le rugissement d'une lionne en furie.

      – À moi, mes leudes! un cheval… un cheval… Brunehaut se fera tuer à la tête de son armée! ou le fils de Frédégonde trouvera la mort en Bourgogne. Qu'on amène les princes… et, à cheval! à cheval!..

      CHAPITRE III

      Camp de Clotaire II. – Le village de Ryonne. – Sigebert, Corbe et Mérovée, petits-fils de Brunehaut. – Entretien d'un roi et d'une reine. – Trois jours de supplice. – Loysik. – Entrevue. – Le chameau et le cheval indompté. – Le bûcher. – La charte de l'évêque de Châlons. – Fête dans la vallée de Charolles.

      Le village de Ryonne, situé sur les bords de la petite rivière de la Vigenne, est éloigné d'environ trois jours de marche de Châlons. Autour de ce village sont campées une partie des troupes de Clotaire II, fils de Frédégonde. La tente de ce roi a été dressée sous des arbres plantés au milieu du village. Le soleil vient de se lever; on voit, non loin de ce royal abri, une masure un peu plus grande et moins délabrée que les autres; sa porte fermée est gardée par deux guerriers franks; une seule petite fenêtre donne jour dans l'intérieur de cette masure; de temps en temps l'un des guerriers postés au dehors, écoute ou regarde par cette fenêtre; un coffre vermoulu, deux ou trois escabeaux, quelques ustensiles de ménage, une sorte de caisse remplie de bruyères desséchées; tel est l'ameublement de la hutte; sur le lit de bruyères sont trois enfants vêtus de leurs habits de soie brodés d'or ou d'argent. Quels sont ces enfants si magnifiquement habillés et couchés comme des fils d'esclaves sur ce grabat? Ce sont les fils de Thierry, défunt roi de Bourgogne, ce sont les arrière-petits de la reine Brunehaut; ces enfants dorment tous trois enlacés. Sigebert, l'aîné, est couché au milieu de ses deux frères; appuyée sur sa poitrine est la tête de Mérovée, le plus jeune; Corbe, le second, a un bras passé autour du cou de Sigebert. Les traits de ces petits princes, plongés dans un sommeil profond, sont à demi cachés par leurs longs cheveux, symbole de race royale; ils semblent paisibles, presque souriants; la douce figure de l'aîné surtout a une expression d'angélique sérénité… Le soleil montant de plus en plus à l'horizon darda bientôt en plein ses vifs rayons sur le groupe des enfants endormis. Sigebert, éveillé le premier par l'ardeur de cette vive lumière, passa ses mains blanches et fluettes sur ses grands yeux encore demi-clos, les ouvrit, regarda autour de lui d'un air surpris, se dressa presque sur son séant, puis, sans doute, se souvenant de la triste réalité, il retomba sur son grabat; bientôt les larmes inondèrent son pâle visage, et il appuya sa main sur ses lèvres afin de comprimer ses sanglots convulsifs; le pauvre enfant craignait d'éveiller ses frères; ils dormaient toujours, et, malgré le mouvement de Sigebert, qui, en se dressant, avait un peu dérangé la tête du petit Mérovée, son sommeil profond ne fut pas interrompu. Mais Corbe, à demi éveillé par l'ardeur des rayons du soleil, se frotta les yeux et murmura: – Crotechilde… je veux… mon lait et mes gâteaux… j'ai faim…

      – Corbe, – reprit Sigebert la figure baignée de pleurs et les lèvres encore palpitantes, – mon frère… éveille-toi donc… Hélas! nous ne sommes plus dans notre palais, à Châlons…

      Corbe, à ces mots de son frère, s'étant éveillé tout à fait, répondit avec un soupir: – C'est vrai… je me croyais encore dans notre palais…

      – Nous n'y sommes plus, mon frère… pour notre malheur…

      – Pourquoi dis-tu: Pour notre malheur? est-ce que nous ne sommes pas fils de roi… nous?

      – Pauvres fils de roi… car nous sommes en prison, et notre grand'mère, où est-elle? et notre frère Childebert! où est-il?.. Tous deux peut-être sont aussi prisonniers.

      – Et à qui la faute? À l'armée qui a trahi notre grand'mère, – s'écria Corbe avec colère. – On le disait autour de nous… les troupes ont fui sans combattre. Le duc Warnachaire… le chien qu'il est, avait préparé cette trahison!

      – Plus bas, Corbe… plus bas, – reprit Sigebert d'une voix étouffée, – tu vas éveiller Mérovée… cher petit! je voudrais dormir comme lui, je ne penserais à rien.

      – Tu pleures toujours, toi, Sigebert… que veux-tu qu'on nous fasse?

      – Ne sommes-nous pas entre les mains de l'ennemi de notre grand'mère?

      – Ne crains rien, elle va venir nous délivrer avec une autre armée, et elle tuera Clotaire… Tu n'as pas faim, toi?

      – Non… oh! non!

      – Le soleil est levé depuis longtemps; on va sans doute nous apporter à manger. Ah! elle disait vrai, notre grand'mère: c'est fatigant et ennuyeux la guerre, même quand on n'est pas prisonnier… Mais comme il dort, ce Mérovée; éveille-le donc.

      – Oh! mon frère, laissons-le dormir; il se croit peut-être, comme toi tout à l'heure, dans notre palais de Châlons.

      – Tant pis! nous sommes éveillés nous autres. Je ne veux plus qu'il dorme, lui…

      – Corbe… ce que tu dis là n'est pas d'un bon cœur.

      – Sigebert! Sigebert! la porte s'ouvre… on nous apporte à manger.

      La porte s'ouvrit

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