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réussi dans cette difficile occurrence, que sa main vacillait un peu; Brunehaut l'observait, sombre et silencieuse; elle lui dit: – Tu trembles… vieillard?

      – C'est vrai, mais excusable; la satisfaction d'avoir épargné tant de maux à mes frères m'émeut et ma main tremble.

      – As-tu fini?

      – Voici la lettre… Lisez.

      Brunehaut lut, et reprit en roulant le parchemin: – Ces adieux sont simples, dignes et touchants; je comprends de mieux en mieux la puissante et dangereuse influence que tu exerces sur ces gens-là… Ils sont le bras, tu es la tête. Tout à l'heure ils ne seront plus qu'un corps sans tête… et, après la guerre, je les réduirai plus facilement. Tu n'as rien à me demander?

      – Rien… sinon de hâter mon supplice.

      – Je serai généreuse; ton inébranlable fermeté me plaît; je te fais grâce de la torture, et te laisse le choix de ta mort…

      – Faites-moi simplement couper la gorge…

      – De quelle manière?

      – Avec un rasoir; j'indiquerai le bon endroit à l'ami Pog; je suis assez chirurgien pour renseigner votre bourreau.

      – Tu seras content… Allons, cherche bien, moine… Tu n'as rien de plus à me demander?

      – Si, – répondit Loysik en se dirigeant lentement vers la console d'ivoire où était le médaillier, – je voudrais emporter cette grande médaille de bronze; je la garderais seulement pendant le peu de temps qui me reste à vivre… Il me serait doux de mourir les yeux attachés sur cette glorieuse effigie.

      – Quoi! cette médaille à laquelle en entrant ici tu as adressé je ne sais quelle invocation, qui m'a fait te prendre pour un fou? Voyons-la donc, cette médaille… Ce sont de ces choses antiques que l'on a par curiosité. Vraiment… cette femme est belle et fière sous son casque de guerrière… Qu'y a-t-il de gravé au-dessous: Victoria, empereur. Une femme empereur? Qu'est-ce à dire?

      – Ce titre souverain lui fut décerné après sa mort…

      – C'était tard… Et pendant sa vie, que faisait-elle donc?

      – Elle aimait son fils…

      – Ah! elle avait un fils? Elle était sans doute de race royale?

      – Elle était de race plébéienne.

      – Mais sa vie… quelle fut sa vie?

      – Simple… austère, illustre! Sa grande âme se lisait dans ses traits, d'une sérénité grave… Figure auguste que le bronze a reproduite pour la postérité.

      – Moine… assez sur sa figure… Quelle fut sa vie?..

      – Sa vie fut celle d'une chaste épouse… d'une mère sublime… d'une vaillante Gauloise. Elle ne quittait sa modeste demeure que pour suivre son fils à la guerre ou aux camps. Les soldats l'adoraient; ils l'appelaient leur mère. Elle élevait virilement son fils dans le saint amour de la patrie, et lui donnait l'exemple des plus hautes vertus. Son ambition…

      – Cette femme austère était ambitieuse!

      – Autant qu'une mère peut l'être pour son fils; elle avait l'ambition de faire de ce fils un grand citoyen, l'ardent désir de le rendre digne d'être un jour élu chef de la Gaule par le peuple et par l'armée.

      – Élevé par une mère… si incomparable, il fut élu?

      – Citoyens et soldats l'acclamèrent d'une seule voix. En le choisissant, ils glorifiaient encore Victoria… Victoria, sa mâle éducatrice! Ces qualités brillantes qu'ils honoraient en lui, c'était son œuvre à elle! L'élection du fils consacrait l'influence souveraine de la mère… Oh! véritablement souveraine par le courage, le génie, la bonté. Alors commença pour le pays une ère de gloire et de prospérité. S'affranchissant du joug de Rome, la Gaule libre, forte, refoula les Franks hors de ses frontières, et jouit enfin des bienfaits de la paix! Aussi d'un bout à l'autre du territoire un nom était idolâtré! Ce nom! le premier que les mères apprenaient à leurs enfants, après celui de Dieu… Ce nom si populaire, ce nom entouré de tant de vénération, de tant d'amour, c'était celui de Victoria!

      – Enfin, moine… cette femme… que dis-je? cette divinité régnait pour son fils!

      – Oui… comme la vertu règne sur le monde! Invisible aux yeux, c'est aux cœurs qu'elle se révèle; Victoria la Grande, aussi modeste dans ses goûts que la plus obscure matrone, fuyait l'éclat et les honneurs. Retirée dans son humble maison de Trèves ou de Mayence, elle jouissait de la gloire de son fils, de la prospérité de la Gaule… Mais pour régner en reine… non… non… elle méprisait trop les royautés.

      – Et la cause de ce dédain superbe!

      – Victoria disait sagement que le pouvoir royal héréditaire se transmettant avec la possession des peuples comme un domaine avec ses esclaves est une usurpation monstrueuse. Victoria disait encore que ce pouvoir presque sans bornes finit tôt ou tard par dépraver les meilleurs naturels et par rendre les méchants l'exécration du monde… Fidèle à ses principes, elle refusa de rendre le pouvoir héréditaire pour son petit-fils!

      – Il eût été dommage qu'une si glorieuse race s'éteignît… Ah! elle avait un petit-fils.

      – Oui, comme vous… Victoria était aïeule…

      Et Loysik regarda fixement la reine. Dans la manière dont le vieux moine accentua ces mots adressés à Brunehaut: —Comme vous, Victoria était aïeule il y avait quelque chose de si souverainement écrasant! une condamnation si flétrissante des épouvantables moyens employés par ce monstre pour dépraver, énerver, tuer moralement ses petits-fils dont elle était forcée de respecter la vie pour régner en leur nom… que Brunehaut, livide de rage, mais se contenant toujours, de crainte de laisser voir les blessures saignantes de son orgueil infernal, ne put soutenir le regard du vieillard et baissa les yeux devant lui. Loysik poursuivit:

      – Oui, Victoria était aïeule, et tout en régnant sur la Gaule par son génie, dont le renom s'étendait jusqu'aux nations voisines, Victoria la Grande filait sa quenouille auprès du berceau de son petit-fils; elle veillait sur lui comme elle avait veillé sur le père de cet enfant, avec une mâle sollicitude; son espoir était de faire de lui un bon citoyen, un brave soldat; cet espoir fut détruit, une trame épouvantable enveloppa le fils et le petit-fils de cette femme auguste; ils périrent dans un soulèvement populaire.

      – Ha! ha! – s'écria Brunehaut avec un éclat de rire sardonique et joyeux, comme si sa haine contre l'héroïne gauloise eût été assouvie. – Elle a dû bien souffrir… Telle est donc, moine, la justice de Dieu!

      – Telle est la justice de Dieu… car ce crime permit à Victoria de léguer à l'admiration des siècles un noble exemple d'abnégation et de patriotisme! Après la mort de son fils et de son petit-fils, Victoria, suppliée par le peuple, par l'armée, par le sénat, de gouverner la Gaule… refusa. Oui, – ajouta Loysik, répondant à un geste de surprise échappé à Brunehaut, ce monstre qui pour régner avait dépassé les limites des crimes connus, – oui, Victoria refusa par deux fois; elle désigna ceux qu'elle croyait les plus dignes d'être élus chefs du pays, leur offrant le tout-puissant appui de sa popularité, les conseils de sa haute sagesse, pour le bien de l'État; il en fut ainsi; Victoria continua de vivre modestement dans la retraite, et tant que dura sa vie la Gaule vécut grande et prospère. Victoria mourut…

      – Enfin… elles meurent ces héroïnes… Continue, maître.

      – La mort de Victoria couronnait une série de crimes dont son fils et son petit-fils avaient été victimes… Cette femme illustre mourut par le poison.

      – Ha! ha! – s'écria Brunehaut avec un nouvel éclat de rire sardonique… – Moine… moine… tu vois… toujours la justice de Dieu!..

      – Toujours la justice de Dieu… car la mort des plus grands génies qui aient illustré

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