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La coucaratcha. III. Эжен Сю
Читать онлайн.Название La coucaratcha. III
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Эжен Сю
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
«Et même, dans ce monde où il m’a menée, monde que je ne puis d’ailleurs ni louer ni blâmer, parce que je ne le comprends pas, parce qu’on n’y parle pas la même langue que j’ai parlée depuis mon enfance; mais enfin, dans ce monde aussi, je m’apercevais bien qu’il était moqué, compté pour rien, maintenant que son sort était fixé, et que les familles n’avaient plus à se le disputer pour leurs filles.
«Et moi, mon amie, moi, j’avais l’air de m'être mariée bassement à la fortune de cet homme qu’on bafouait.
«Et pourtant, vous le savez, je vous ai dit mes inquiétudes, ma répugnance, ma peur de ce mariage, mes prévisions, que vous traitiez de chimères, et qui se réaliseront… vous le verrez… mon amie. Je vous ai dit et le chagrin que mes refus causaient à mon pauvre oncle, et son obsession continuelle, et sa santé qui s’altérait, et mon consentement aussi presque arraché par quelques amis de ma famille, qui, en gens du monde, ne voyaient avant tout qu’une chose, c’était que j’acquisse une brillante position de fortune; vous le savez, mon consentement fut aussi décidé par vous, qui voyant plus froidement ou plus juste que moi, croyiez mon bonheur certain, parce qu’étant supérieure à mon mari, je pourrais, diriez-vous, lui imposer les goûts et les habitudes de mon existence privée.
«Mais en cela, mon amie, vous vous êtes trompée. Il est de ces natures qu’on ne change pas, qu’on ne peut pas même modifier. Je subirai donc mon sort jusqu’à la fin: ce qui me consolera seulement, ce sera de penser que je n’ai pas donné raison au sort qui m’accable, en devenant indigne du nom de mon père, et en manquant à mes devoirs, quelques mortels qu’ils soient.
«Oui, mortels est le mot, Sarah… heureusement le mot, car vous ne reconnaîtriez plus cette Cécile que vous flattiez avec tant de cœur et d’esprit, qu’elle croyait à vos flatteries…; ma santé est devenue si mauvaise que je ne sors presque plus… Oh! comme j’attends l’automne! mais, hélas! ce n’est peut-être pas vrai ce qu’on dit de la chute des feuilles à l’automne…
«Adieu, adieu, ma seule amie; ne me laissez pas sans réponse trop longtemps, et répondez-moi toujours comme je vous écris, en anglais, vous devinez pourquoi.
«Dites-moi, Sarah, quoique je possède bien peu de chose, je veux faire un testament; c’est un enfantillage; mais enfin, tout ce qui ornait le parloir de ma mère, je l’ai conservé, sauf l’écritoire que vous savez… eh bien! je voudrais bien que vous eussiez cela comme un souvenir de moi.
«Mon Dieu, que je suis faible et brûlante!.. Je viens de demander un miroir, et j’ai eu peur, peur d’abord, et puis après… oh! après, cela a été de la joie… une joie du ciel; car vous savez qui est au ciel, et qui m’y attend.
«Encore adieu, mon amie, car je me sens pleurer, et je veux fermer cette lettre; ne me laissez pas trop longtemps sans réponse. Mille bons souvenirs à ceux que vous aimez; embrassez bien votre ange d’enfant, et joignez ses petites mains pour moi. Encore adieu.
CHAPITRE VI
Ce jour-là, Cécile était plus triste, plus rêveuse, plus souffrante encore que de coutume. Par hasard elle avait passé le matin devant l’ancien hôtel d'Elmont, et cette circonstance venait de réveiller dans son cœur tout un monde de cruels et amers souvenirs.
Plongée dans un large fauteuil, son beau front appuyé sur sa main blanche et amaigrie… Cécile était dans son parloir.
Depuis long-temps il faisait nuit, et la lueur incertaine et vacillante du foyer éclairait seule la douce et mélancolique figure de la jeune femme!
Cécile aimait cette lueur vague et capricieuse du feu qui s’éteint, se ravive pour étinceler et mourir encore. Cette demi-obscurité lui plaisait… et c’est avec un triste bonheur qu’elle laissait alors planer sa pensée sur les jours qui n’étaient plus…
C'est alors qu’évoquant le passé elle revoyait sa mère… son père… c’est alors que la concentration de sa pensée sur ces objets chéris… l’absorbait tellement qu’elle croyait les entendre, tant leurs moindres paroles vibraient encore dans son âme…
C'est dans cette disposition d’esprit triste et amère que se trouvait madame de Noirville, lorsque tout à coup la porte de son parloir s’ouvre avec fracas; un torrent de lumière dissipe les ténèbres de l’appartement, et M. de Noirville, riant aux éclats de son gros rire, se précipite sur un divan, après avoir ordonné aux deux valets de chambre de déposer sur la cheminée les candélabres chargés de bougies.
On ne saurait peindre l’horrible souffrance physique et morale qui fit douloureusement tressaillir tous les nerfs de Cécile lorsque, violemment arrachée à ses plus chères et ses plus pieuses pensées… elle vit tout à coup cette lumière éblouissante, et qu’elle entendit ces éclats de rire stupides.
C'était odieux… Elle pleura…
– Ah! mon Dieu…! mon Dieu…! la bonne farce! – cria Noirville en appuyant son front empourpré sur un des coussins du divan pour rire plus à son aise… – Ah! mon Dieu! la bonne farce…! C'est Dumont qui va joliment rire!
Cécile essuya une larme, et resta muette.
– Et toi aussi tu vas joliment rire, – dit Noirville, qui ne s’aperçut de rien; – oui, tu vas joliment rire… Malgré ton petit air sainte-n’y-touche… je te défie de ne pas rire. Voilà la chose: figure-toi donc que nos gens d’écurie… ah! mon Dieu! mon Dieu! que c’est donc drôle!.. Figure-toi donc que nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque… Ah! mon Dieu!.. je ne pourrai jamais te raconter cela… voilà le rire qui me reprend…; je ris trop, ma parole d’honneur ça fait mal de tant rire, d’autant plus que j’ai mangé des Dartois chez Félix comme un vrai goulu… Ah! la bonne farce! je vais écrire à Dumont pour qu’il vienne de suite et que je la lui raconte.
Cécile se leva pour sortir.
Mais Noirville, devinant son intention et fort en gaîté, se jeta sur la porte, la ferma, mit la clef dans sa poche, et continua toujours en riant aux larmes:
– Du tout, tu entendras la farce jusqu’au bout, madame la pincée; ça t’égaiera; ça te vaudra mieux que tes bêtes d’idées noires que tu as par genre, j’en suis sûr… Je te disais donc que nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque… Ah! j’en crèverai, c’est sûr…; ah! mon Dieu! c’est que c’est si drôle aussi! ah! ah! voilà encore que ça me reprend… Non… non, je me remets… Eh bien, nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque, lui ont donc mis de la poix dans son chapeau, au concierge, de façon qu’en rentrant en tilbury avec l’alezan… qu’est-ce que je vois… qui me salue?.. notre concierge qui avait la tête nue comme mon genou… Sa perruque était restée collée à son chapeau… Hein! est-ce drôle!.. C'est ça une bonne farce, ah!.. la bonne farce!.. Comme ça fera rire Dumont! J'ai demandé tout de suite qui avait fait le coup, on m’a dit que c’était Pierre, et je lui ai donné dix francs pour boire. Ah! farceur de Pierre! va… oh! oui ça va joliment amuser Dumont… je m’en fais une fête, ma parole d’honneur; et puis il faudra que je fasse la même farce à M. Boitou, qui a un faux toupet… N'est-ce pas, ma femme?
Nous n’essaierons pas de dire ce que dut éprouver Cécile tant que dura l’accès de gaîté de monsieur de Noirville; lorsqu’il eut fini sa narration, madame de Noirville lui dit seulement:
– Voulez-vous avoir la bonté, Monsieur, de m’ouvrir cette porte?..
– Pas de cela, Lisette…; ou bien si… mais je ne t’ouvrirai qu’à une condition, oui, ma petite chatte, à une condition, c’est que tu viendras baiser ton gros geôlier… ton Adolphe… ton Dodophe… comme dit Dumont.
– En vérité, Monsieur, je vous dis que j’ai besoin de respirer…;