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sur un trône de glace, le corps couvert de neige; autour de lui était un lac glacé, et, comme prises dans des cangues de cristal, les têtes violacées des condamnés, dont les dents claquaient avec un bruit sinistre, dépassaient à des intervalles égaux la surface dure de l'étang.

      Miou-Chen pleurait et ses larmes se figeaient sur ses cils.

      – Ces hommes sont les avares et les riches implacables, qui laissèrent mourir de froid, à la porte de leur palais, les mendiants qui suppliaient, dit le Roi de Jade.

      Ils atteignirent le troisième enfer où étaient torturées des femmes attachées à des poteaux. Plusieurs démons au corps sanglant leur arrachaient les entrailles et les remplaçaient par des charbons ardents, ensuite ils recousaient la peau.

      – Celles-ci sont les épouses adultères. Que leurs entrailles coupables subissent le remords brûlant:

      Et le roi s'enfonça vers la quatrième région. Là se trouve une vaste mer de sang, dans laquelle se débattent une foule d'hommes et de femmes, tandis que sur ses flots épais navigue la nacelle du diable de cet enfer. Ce diable était entièrement vêtu de blanc et portait sur la tête un immense chapeau conique. Lorsque les damnés s'approchaient pour escalader la barque, il écarquillait les yeux, tirait la langue, et en se tordant de rire les repoussait d'un coup de pied. – Tu assistes au supplice des débauchés et des femmes de mauvaises mœurs, dit le roi: ce diable blanc, c'est Ti-Fan, qui préside aux orages.

      Miou-Chen descendit encore quelques marches, et vit le cinquième enfer, dont le sol est pavé de glaives et de lames tranchantes, sur lesquels les démons font courir sans relâche les juges iniques et les calomniateurs.

      Le sixième enfer est le plus terrible. Le diable qui le régit, avec sa face borgne couleur d'ébène, hérissée de poils rouges, est le plus redoutable des diables. Sous ses ordres, les damnés, emprisonnés dans une auge de bois, sont sciés lentement et méthodiquement avec une soie édentée.

      En pénétrant dans cette région, Miou-Chen soupira, et mit la main sur ses yeux, mais le Roi de Jade lui dit:

      – Ne gémis pas ainsi, jeune fille, car ces hommes sont des parricides.

      Elle descendit rapidement l'escalier lugubre et atteignit le septième enfer où les victimes hurlaient dans l'huile bouillante.

      Ceux-ci sont les empoisonneurs.

      La jeune fille, le cœur plein de tristesse, versant des flots de larmes, arriva au huitième cercle, et vit qu'un énorme coutelas, se levant et s'abaissant, tranchait en mille morceaux le corps des voleurs et des assassins.

      Dans la neuvième région infernale, des meules de fer broyaient les incendiaires, tandis que des chiens furieux léchaient le sang et arrachaient les lambeaux de chair aux suppliciés.

      Elle atteignit enfin le dernier des dix enfers, où l'on brise les dents dans la bouche des menteurs, et où les langues sont arrachées avec des fers rouges. Là, elle se jeta à genoux, et tordant ses bras, cria:

      – A-Mi-To-Fo!2

      Puis, perdue dans une prière ardente, elle demeura longtemps immobile.

      Alors, lentement une pluie de lotus descendit sur le sol; de cercle en cercle, on entendit les cris de rage des démons et le bruit des instruments de torture qui se brisaient; les damnés délivrés de leurs souffrances entonnèrent des chants d'allégresse dont le bruit s'envola vers le ciel occidental.

      Miou-Chen est vénérée aujourd'hui, en Chine et au Japon, sous le nom de Kouanine ou Kouan-Chi-In. C'est la Déesse de la Miséricorde.

      LA TUNIQUE MERVEILLEUSE

HISTOIRE CHINOISEI

      Un matin du plus froid hiver dont se souviennent les habitants de Nankin, une bande de jeunes gens descendaient de la ville noble vers le faubourg de Tsié-Tan, avec un grand bruit de voix et d'éclats de rire. Il faisait à peine jour, aucune boutique ne s'ouvrait encore; les rues étaient désertes, et un tel froid retenait au lit les dormeurs que, pour être levé à une pareille heure, il fallait ne pas s'être couché.

      C'était le cas de ces jeunes hommes, qui faisaient claquer leurs semelles sur les dalles des rues et conversaient bruyamment sans respect pour le sommeil d'autrui; ils venaient de boire et de se divertir toute la nuit, à l'occasion du mariage d'un de leurs amis. Échauffés par le vin de riz, ils ne sentaient pas le froid, contre lequel les protégeaient d'ailleurs les plus belles et les plus chaudes fourrures. Les uns avaient leur manteau de soie doublé de renard noir, d'astrakan blanc, de rat de Chine; les autres, de peau de lynx, de cerf ou de pélican: un seul portait, comme s'il eût été prince, du dragon de mer, cette merveilleuse fourrure qui n'a pas sa pareille. Tous avaient des bottes de satin noir fourrées et des capuchons de velours, plus ou moins brodés, par-dessus leur calotte.

      Ces jeunes gens étaient arrivés au faubourg Tsié-Tan, tout en continuant à rire et à causer. – Chut! mes amis, nous approchons, dit, un doigt sur ses lèvres, celui qui marchait en avant. Ce jeune homme était le moins somptueusement vêtu de la joyeuse bande, mais c'était le plus charmant de visage et de tournure.

      – Bambou-Noir, a raison, dit un autre; adoptons l'allure silencieuse des poissons qui glissent dans le fleuve blanc.

      Tous se turent et se mirent à marcher, avec des précautions exagérées, le long de la muraille. – Voici la maison de Rouille-des-Bois, reprit Bambou-Noir, cent pas plus loin.

      Bambou-Noir appela d'un geste un domestique qui suivait à quelque distance les jeunes seigneurs. Le domestique s'avança; il portait un rouleau de papier de diverses couleurs et un pot a colle.

      On déroula les papiers, et, avec des rires étouffés, les jeunes fous s'approchèrent de la maison désignée par Bambou-Noir.

      Elle était d'assez belle apparence, mais délabrée et mal entretenue. L'émail vert de la petite toiture, retroussée aux angles, qui formait auvent au-dessus de la porte, était écaillé et manquait par places, les murs se fendillaient, et l'on ne distinguait plus de quelle couleur ils avaient été peints, sous les mille éclaboussures qui la couvraient. La rouille dévorait la tortue de fer qui servait de marteau; on voyait enfin que le propriétaire refusait à sa demeure les réparations qu'elle réclamait impérieusement.

      Une affiche, d'un beau rouge pourpre éclatant, apparut bientôt sur le ton sale de la porte. De gros caractères, élégamment tracés, s'alignaient en colonnes.

      «Chaque être, chaque chose, disaient-ils, porte le nom qui lui convient; jamais on n'a vu une souris se faire appeler cheval, ni un monceau de fumier prendre le nom d'une fleur parfumée. Alors, pourquoi Rouille-des-Bois, le vénérable propriétaire de cette maison, n'est-il pas nommé: l'Avare, le Ladre, l'Esclave-de-Ses-Sacs, ou de quelque autre titre analogue?»

      Une affiche bleue s'était étendue au-dessous de l'affiche rouge.

      «Écoutez une jolie histoire, disait celle-ci. Un vénérable avare du faubourg de Tsié-Tan fut prié à dîner par un seigneur de la haute ville: l'avare accepta l'invitation, et, le jour venu, mangea avec grand appétit et but au point qu'il fallut le rapporter chez lui. Les convives qui assistaient au dîner se hâtèrent, l'un après l'autre, de rendre au noble seigneur sa politesse; chaque fois l'avare fut invité, et il dîna successivement chez tous les convives du noble seigneur. Depuis lors, bien des lunes se sont écoulées, et, chaque matin, le noble seigneur interroge ses domestiques:

      « – N'est-il pas venu une invitation de la part du vénérable avare?

      « – Non, maître.

      «Et le seigneur fronce le sourcil. Quelquefois il fait battre ses domestiques, mais ceux-ci jurent, sur les mânes de leurs ancêtres, qu'ils n'ont point égaré l'invitation, car elle n'est jamais venue. A-t-on jamais entendu parler, dans l'Empire du Milieu, d'un pareil oubli des convenances?»

      Le jeune homme dont les épaules étaient élargies par la douce épaisseur de la peau du dragon de mer, s'appuyait sur Bambou-Noir, et relisait la seconde affiche.

      – Ami! ami! dit-il à

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<p>2</p>

O grand Bouddha!