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puis lui tranche la tête.

      «Cent mille guerriers! Cent mille guerriers chinois! toute l'armée victorieuse a passé sur le corps du prince; elle s'éloigne par les pentes, par les vallées, disparaît.

      «Alors le héros se relève. Il ramasse sa tête sanglante et la replace sur son cou sanglant.

      «Et d'un pas rapide il marche, il marche vers la rivière de Cam-hé.

      «De grosses gouttes de sang tombent sur sa route, sa tête sanglante pleure de grosses larmes rouges.

      «Mais dès qu'une de ces gouttes touche la terre, un cheval ailé s'envole, l'emporte au ciel, laissant à la place où elle est tombée un bloc de pierre qui a la forme d'un cheval ailé!

      «Le Prince à la Tête Sanglante a atteint la rivière de Cam-hé. Une foule d'hommes et de femmes pleurent agnouillés sur la route; ils contemplent deux mortes, couchées sur un radeau de fleurs qui lentement remonte le courant.

      Ils pleurent: ils ont reconnu le roi de l'Annam et sa sœur héroïque. Ils s'efforcent d'attirer les corps sur le rivage, mais ils ne peuvent y réussir: la force de tant de bras est impuissante. «Mais le Prince à la Tête Sanglante s'avance et, aussitôt, de lui-même, le radeau de fleurs s'approche, touche la rive.

      «Alors le Prince se couche aux pieds des deux saintes et sa tête sanglante roule de ses épaules.

      «A la place même où eut lieu le miracle, on éleva la Pagode des Deux Princesses, qui nous abrite encore aujourd'hui et où ma voix chante pour vous.

      «Les colonnes orgueilleuses élevées par le chef chinois et qui disaient: «L'Annam périra le jour où elles seront renversées», ont disparu depuis longtemps.

      «Mais les noms de Ba-Tioune-Tiac et de Ba-Tioune-Nhi sont encore dans tous les cœurs, sur toutes les lèvres. Les deux héroïnes, devenues déesses, veillent sur l'Annam sans se lasser jamais.

      «Car il y a aujourd'hui mille huit cent cinquante-sept années que le Prince à la Tête Sanglante vint tomber aux pieds des sœurs glorieuses.»

      UNE DESCENTE AUX ENFERS

      Un jour la belle Miou-Chen s'éveilla d'un long sommeil. Elle était dans une foret sauvage, couchée sur des lotus; à ses pieds dormait un tigre couleur de jade.

      Tandis qu'elle promenait autour d'elle ses regards surpris, elle vit venir entre les arbres un jeune garçon à la peau brune et luisante qui portait un étendard claquetant dans l'air et froissant le feuillage.

      L'enfant s'approcha d'elle, et, appuyant sur le sol la hampe de sa bannière, il la salua.

      – Je viens à toi par l'ordre du seigneur des enfers, dit-il; le grand Roi de Jade admire ta sagesse, et si ton courage est sans défaillance il consent à te laisser franchir la porte de la terrible cité de Fou-Tou-Tchan et visiter son royaume.

      Miou-Chen se leva sans trembler, et à travers la sombre frondaison, regarda les étroits lambeaux du ciel bleu.

      – En quelque lieu que je me trouve, tant que ma vertu ne faiblira pas, le maître du ciel me protégera, dit-elle.

      – Viens donc, dit le jeune garçon, en soulevant la bannière sanglante, le roi des dix enfers t'attend près du pont d'or de Pou-Tien!

      Bruyamment il se fraya un chemin à travers les branches et Miou-Chen le suivit.

      Ils sortirent de la foret et entrèrent dans une vallée solitaire. Après avoir marché quelque temps, Miou-Chen aperçut un homme assis sur le sol, à l'entrée d'une grotte, et elle s'arrêta surprise, car cet homme était entouré d'une bande de démons qui l'assaillaient, tandis que des scorpions escaladaient son corps. A sa gauche des êtres aux corps de léopards, aux faces effroyables, remuaient des chaînes rougies au feu et secouaient des serpents furieux. Une affreuse diablesse, les seins pendants, la tête chauve, les muscles décharnés, tenait une grenouille par la patte et avec un rire stupide et édenté la faisait gigoter devant les yeux du patient. A sa droite deux jeunes filles d'une beauté surhumaine, magnifiquement parées, mais laissant entrevoir sous leur robe une queue de renard et des pieds difformes, faisaient luire leur beau sourire et leurs regards caressants, tandis que leurs lèvres roses murmuraient de douces paroles.

      Miou-Chen dit à renvoyé du roi des enfers:

      – Quel est cet homme malheureux?

      – Cet homme est le sage Ma-Min. Le grand Roi de Jade lui a envoyé ses diables pour le tenter.

      Alors Miou-Chen s'approcha du sage:

      – O! Ma-Min, dit-elle, je vois ta pensée immaculée monter de ton front comme une vapeur et former la nuée glorieuse qui t'élèvera au royaume des immortels.

      Puis la jeune fille continua sa route vers les enfers. Elle arriva dans la province de Sée-Tchoen, et atteignit le pont d'or qui aboutit à la porte de l'enfer. Comme elle allait le franchir, elle fut contrainte de reculer par une foule tumultueuse d'hommes et de bêtes qui accourait de l'autre extrémité du pont. Et comme elle s'étonnait:

      – Tu vois ici ceux qui reviennent à la vie sous une forme nouvelle, lui dit son jeune guide: ces rois superbes étaient autrefois pauvres et vertueux; ces mendiants difformes furent pleins d'orgueil; ces reptiles qui se traînent en sifflant ont été des hommes envieux et sournois; ces oiseaux étaient de jeunes fous au cœur léger et insouciant; quant à cette bande d'ânes qui ruent et braillent, ce sont pour la plupart d'anciens fonctionnaires sans probité.

      Lorsque le troupeau bruyant se fut éloigné, Miou-Chen passa le pont et se trouva devant la porte voûtée et jaune, comme une porte impériale, de Fou-Tou-Tchan la cité sévère. De chaque côté de l'entrée deux démons, l'un ayant une tête de bœuf, l'autre une tête de cheval, faisaient sentinelle; un troisième être couleur de suie, et dont la tête était en fer, balayait le seuil. A l'approche de la jeune fille il s'écarta et les portes s'ouvrirent. Elle entra; derrière elle, avec un retentissement plaintif, les lourds battants retombèrent.

      Elle longea les larges rues de la ville de justice, suivant la foule des nouveaux morts que des soldats poussaient vers le palais des jugements suprêmes. Elle vit à l'angle des carrefours ainsi que des monceaux de débris inutiles, de vieux registres déchirés, des instruments de torture rompus par l'usage, et qui n'étaient plus bons; mais plus loin des forgerons actifs battaient l'enclume et tordaient le fer.

      Le jeune garçon qui guidait Miou-Chen pénétra dans la salle d'un vaste palais, et la jeune fille après lui. Elle aperçut alors le Roi de Jade sur son trône, elle admira sa coiffure frangée de perles et son visage couleur d'orange mûre, respirant la franchise et l'équité. En face de lui, sur une estrade, se dressait le tribunal dernier auquel siégeait le grand juge Loun-Yo, sous deux bannières flamboyantes d'étoiles, assisté de nombreux serviteurs feuilletant et mettant en ordre les dossiers des morts appelés. Tout autour de la salle étaient assis les mandarins de l'enfer: Fou-chou, porteur de la lance a trois dards; Pen-Tchan, le gourmand, le pou-sah de la bonne chère; Ti-Tsan, prêtre du culte infernal, et Ta-Tcha, l'espion nocturne qui enregistre les insomnies et les rêves criminels.

      Le Roi de Jade salua Miou-Chen et lui dit:

      – Veux-tu, jeune fille, descendre avec moi les soixante-douze degrés de l'enfer.

      Elle fit signe que oui et le roi se leva de son trône. Miou-Chen vit alors au milieu de la salle un gouffre béant, et les premières marches d'un escalier de pierre. Le roi commença à descendre; elle le suivit et s'enfonça tremblante et pâle dans les lourdes ténèbres de l'enfer.

      Bientôt, des hurlements et des sanglots s'élevèrent comme une bouffée amère. La jeune fille vit au-dessous d'elle un précipice peuplé de serpents, de dragons et de monstres furieux: un pont étroit le traversait et était gardé par le démon de cet enfer assisté d'un guerrier à tête de bœuf, portant un écriteau où l'on voyait écrit: «le Bien et le Mal». Les damnés étaient poussés vers ce pont et, trébuchants, pleins d'épouvante, ils tombaient, avec des cris d'horreur, sur les gueules béantes et avides.

      – Ceci est la première région de la pénitence,

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