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Rome. Emile Zola
Читать онлайн.Название Rome
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Zola
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Le vieil Orlando était superbe, à moitié soulevé, avec son puissant mufle léonin, tout flambant de la blancheur éclatante de la barbe et de la chevelure. Et, dans cette chambre candide, si touchante en sa pauvreté voulue, il avait poussé son cri d'espoir avec une telle fièvre de foi, que le jeune prêtre vit s'évoquer devant lui une autre figure, celle du cardinal Boccanera, tout noir et debout, les cheveux seuls de neige, admirable lui aussi de beauté héroïque, au milieu de son palais en ruine, dont les plafonds dorés menaçaient de crouler sur ses épaules. Ah! les entêtés magnifiques, les croyants, les vieux qui restent plus virils, plus passionnés que les jeunes! Ceux-ci étaient aux deux bouts opposés des croyances, n'ayant ni une idée, ni une tendresse communes; et, dans cette antique Rome où tout volait en poudre, eux seuls semblaient protester, indestructibles, face à face par-dessus leur ville, comme deux frères séparés, immobiles à l'horizon. De les avoir ainsi vus l'un après l'autre, si grands, si seuls, si désintéressés de la bassesse quotidienne, cela emplissait une journée d'un rêve d'éternité.
Tout de suite Prada avait pris les mains du vieillard, pour le calmer dans une étreinte tendrement filiale.
– Oui, oui! père, c'est vous qui avez raison, toujours raison, et je suis un imbécile de vous contredire. Je vous en prie, ne vous remuez pas de la sorte, car vous vous découvrez, vos jambes vont se refroidir encore.
Et il se mit à genoux, il arrangea la couverture avec un soin infini; puis, restant par terre, comme un petit garçon, malgré ses quarante-deux ans sonnés, il leva ses yeux humides, suppliants d'adoration muette; tandis que le vieux, calmé, très ému, lui caressait les cheveux de ses doigts tremblants.
Pierre était là depuis près de deux heures, lorsque enfin il prit congé, très frappé et très touché de tout ce qu'il avait vu et entendu. Et, de nouveau, il dut promettre de revenir, pour causer longuement. Dehors, il s'en alla au hasard. Quatre heures sonnaient à peine, son idée était de traverser Rome ainsi, sans itinéraire arrêté d'avance, à cette heure délicieuse où le soleil s'abaissait, dans l'air rafraîchi, immensément bleu. Mais, presque tout de suite, il se trouva dans la rue Nationale, qu'il avait descendue en voiture, la veille, à son arrivée; et il reconnut les jardins verts montant au Quirinal, la Banque blafarde et démesurée, le pin en plein ciel de la villa Aldobrandini. Puis, au détour, comme il s'arrêtait pour revoir la colonne Trajane, qui maintenant se détachait en un fût sombre, au fond de la place basse déjà envahie par le crépuscule, il fut surpris de l'arrêt brusque d'une victoria, d'où un jeune homme, courtoisement, l'appelait d'un petit signe de la main.
– Monsieur l'abbé Froment! monsieur l'abbé Froment!
C'était le jeune prince Dario Boccanera, qui allait faire sa promenade quotidienne au Corso. Il ne vivait plus que des libéralités de son oncle le cardinal, presque toujours à court d'argent. Mais, comme tous les Romains, il n'aurait mangé que du pain sec, s'il l'avait fallu, pour garder sa voiture, son cheval et son cocher. A Rome, la voiture est le luxe indispensable.
– Monsieur l'abbé Froment, si vous voulez bien monter, je serai heureux de vous montrer un peu notre ville.
Sans doute il désirait faire plaisir à Benedetta, en étant aimable pour son protégé. Puis, dans son oisiveté, il lui plaisait d'initier ce jeune prêtre, qu'on disait si intelligent, à ce qu'il croyait être la fleur de Rome, la vie inimitable.
Pierre dut accepter, bien qu'il eût préféré sa promenade solitaire. Le jeune homme pourtant l'intéressait, ce dernier né d'une race épuisée, qu'il sentait incapable de pensée et d'action, fort séduisant d'ailleurs, dans son orgueil et son indolence. Beaucoup plus romain que patriote, il n'avait jamais eu la moindre velléité de se rallier, satisfait de vivre à l'écart, à ne rien faire; et, si passionné qu'il fût, il ne commettait point de folies, très pratique au fond, très raisonnable, comme tous ceux de sa ville, sous leur apparente fougue. Dès que la voiture, après avoir traversé la place de Venise, s'engagea dans le Corso, il laissa éclater sa vanité enfantine, son amour de la vie au dehors, heureuse et gaie, sous le beau ciel. Et tout cela apparut très clairement, dans le simple geste qu'il fit, en disant:
– Le Corso!
De même que la veille, Pierre fut saisi d'étonnement. La longue et étroite rue s'étendait de nouveau, jusqu'à la place du Peuple blanche de lumière, avec la seule différence que c'étaient les maisons de droite qui baignaient dans le soleil, tandis que celles de gauche étaient noires d'ombre. Comment! c'était ça, le Corso! cette tranchée à demi obscure, étranglée entre les hautes et lourdes façades! cette chaussée mesquine, où trois voitures au plus passaient de front, que des boutiques serrées bordaient de leurs étalages de clinquant! Ni espace libre, ni horizons vastes, ni verdure rafraîchissante! Rien que la bousculade, l'entassement, l'étouffement, le long des petits trottoirs, sous une mince bande de ciel! Et Dario eut beau lui nommer les palais historiques et fastueux, le palais Bonaparte, le palais Doria, le palais Odelscachi, le palais Sciarra, le palais Chigi; il eut beau lui montrer la place Colonna, avec la colonne de Marc-Aurèle, la place la plus vivante de la ville, où piétine un continuel peuple debout, causant et regardant; il eut beau, jusqu'à la place du Peuple, lui faire admirer les églises, les maisons, les rues transversales, la rue des Condotti, au bout de laquelle se dressait, dans la gloire du soleil couchant, l'apparition de la Trinité des Monts, toute en or, en haut du triomphal escalier d'Espagne: Pierre gardait son impression désillusionnée de voie sans largeur et sans air, les palais lui semblaient des hôpitaux ou des casernes tristes, la place Colonna manquait cruellement d'arbres, seule la Trinité des Monts l'avait séduit, par son resplendissement lointain d'apothéose.
Mais il fallut revenir de la place du Peuple à la place de Venise, et retourner encore, et revenir encore, deux, trois, quatre tours, sans lassitude. Dario, ravi, se montrait, regardait, était salué, saluait. Sur les deux trottoirs, une foule compacte défilait, dont les yeux plongeaient au fond des voitures, dont les mains auraient pu serrer les mains des personnes qui s'y trouvaient assises. Peu à peu, le nombre des voitures devenait tel, que la double file était ininterrompue, serrée, obligée de marcher au pas. On se touchait, on se dévisageait, dans ce perpétuel frôlement de celles qui montaient et de celles qui descendaient. C'était la promiscuité du plein air, toute Rome entassée dans le moins de place possible, les gens qui se connaissaient, qui se retrouvaient comme en l'intimité d'un salon, les gens qui ne se parlaient pas, des mondes les plus adverses, mais qui se coudoyaient, qui se fouillaient du regard, jusqu'à l'âme. Et Pierre, alors, eut la révélation, comprit le Corso, l'antique habitude, la passion et la gloire de la ville. Justement, le plaisir était là, dans l'étroitesse de la voie, dans ce coudoiement forcé, qui permettait les rencontres attendues, les curiosités satisfaites, l'étalage des vanités heureuses, les provisions des commérages sans fin. La ville entière s'y revoyait chaque jour, s'étalait, s'épiait, se donnait son spectacle à elle-même, brûlée d'un tel besoin, indispensable à la longue, de se voir ainsi, qu'un homme bien né qui manquait le Corso, était comme un homme dépaysé, sans journaux, vivant en sauvage. Et l'air était d'une douceur délicieuse, l'étroite bande de ciel, entre les lourds palais roussis, avait une infinie pureté bleue.
Dario ne cessait de sourire, d'incliner légèrement la tête; et il nommait à Pierre des princes et des princesses, des ducs et des duchesses, des noms retentissants dont l'éclat emplit l'Histoire, dont les syllabes sonores évoquent des chocs d'armures dans les batailles, des défilés de pompe papale, aux robes de pourpre, aux tiares d'or, aux vêtements sacrés étincelants de pierreries; et Pierre était désespéré d'apercevoir de grosses dames, de petits messieurs, des êtres bouffis ou chétifs, que le costume moderne enlaidissait encore. Pourtant quelques jolies femmes passaient, des jeunes filles surtout, muettes, aux grands yeux