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péché mortel… Voudrais-tu nous commander un péché mortel?

      –Non, non, – reprit l'autre vieille en se frappant à grands coups la poitrine, – tu ne veux pas nous commander un péché mortel… c'est le martyre que tu veux…

      –Et de là-haut tu nous béniras, Saint-Cautin, grand Saint-Cautin! glorieux martyr!

      –Évêque, tu entends ces pauvres vieilles? tu as semé, tu récoltes… Allons, mes Vagres, haut la corde!

      L'ermite s'interposait encore, afin de protéger le prélat, lorsque quelques Vagres, montés sur les chariots, et regardant au loin, s'écrièrent:

      –Des leudes! des guerriers franks!..

      –Ils sont sept ou huit à cheval, et conduisent plusieurs hommes garrottés, des esclaves sans doute… Allons, mes Vagres, mort aux leudes! liberté aux esclaves!..

      –Mort aux leudes! liberté aux esclaves!.. – crièrent les Vagres en courant aux armes.

      –Les Franks! ils vont me reprendre et me reconduire au burg du comte, – s'écria la petite Odille toute tremblante. – Ronan, ayez pitié de moi!

      –Les leudes, te prendre, pauvre enfant! il n'en restera pas un seul pour t'emporter.

      –Ronan, pas d'imprudence, – reprit l'ermite; – ces cavaliers peuvent être les éclaireurs d'une troupe plus nombreuse. Détache éclaireurs contre éclaireurs, et garde ici le gros de ta troupe, retranché derrière les chariots.

      –Moine, tu as raison… Tu as donc fait la guerre?

      –Un peu… de çà, de là, dans l'occasion, pour défendre les faibles contre les forts…

      –Des guerriers franks! – s'écria Cautin en joignant les mains d'un air triomphant, – des amis! des alliés! je suis sauvé… À moi, chers frères en Christ! à moi, mes fils en Dieu!.. délivrez-moi des mains des Philistins! à moi, mes…

      Ronan ayant soudain tiré la corde restée pendante au cou du saint homme, l'interrompit net en serrant le noeud coulant.

      –Évêque, pas de cris inutiles, – dit l'ermite; – et toi, Ronan, pas de violence, je t'en prie… ôte cette corde du cou de cet homme.

      –Soit; mais ce sera pour lui lier les mains, et s'il me rompt davantage les oreilles, je l'assomme…

      –Les cavaliers franks s'arrêtent à la vue des chariots, – s'écria un Vagre; – ils semblent se consulter.

      –Notre conseil à nous ne sera point long. Ces Franks sont sept à cheval, que six Vagres me suivent, et, foi de Ronan, il y aura tout à l'heure en Gaule sept conquérants de moins!

      –Nous voilà six… marche.

      Parmi les six Vagres était le Veneur… L'évêchesse, le voyant examiner la monture de sa hache, sauta du chariot à terre, et, l'oeil brillant, les narines gonflées, la joue en feu, retroussant la manche droite de sa robe de soie, elle mit ainsi à nu, jusqu'à l'épaule, son beau bras, aussi blanc que nerveux, et s'écria:

      –Une épée! une épée!..

      –Qu'en feras-tu, belle évêchesse en Vagrerie?

      –Je me battrai près de mon Vagre! je me battrai… comme nos mères des temps passés!

      –Marchons, ma Vagredine! Si tes beaux bras sont aussi forts pour la guerre que pour l'amour, malheur aux Franks!

      Et l'évêchesse, prenant virilement une épée, comme une Gauloise des siècles passés, courut gaiement à l'ennemi au bras de son Vagre. En passant devant l'évêque elle lui dit:

      –Pendant douze ans tu m'as fait maudire la vie… je vais peut-être mourir… je te pardonne…

      –Tu me pardonnes, scélérate impudique! lorsque c'est toi qui devrais, le front dans la poussière, me demander grâce pour tes énormités!

      Cautin parlait encore que la Vagredine et le Vagre étaient déjà loin.

      –Petite Odille, attends-moi; ces Franks tués, je reviens, – dit Ronan à la jeune fille, qui, toute pâle, le retenant de ses deux mains, le regardait de ses grands yeux bleus pleins de larmes. – Ne tremble pas ainsi… pauvre enfant!

      –Ronan, – murmura-t-elle en étreignant plus vivement encore le bras du Vagre, – je n'ai plus ni père ni mère; tu m'as délivrée du comte et de l'évêque, tu as bon coeur, tu es plein de compassion pour le pauvre monde, tu me traites avec une douceur de frère; cette nuit, je t'ai vu pour la première fois, et pourtant il me semble qu'il y a déjà longtemps, longtemps que je te connais…

      Puis elle saisit les deux mains du Vagre, les baisa et ajouta tout bas, les lèvres palpitantes:

      –Et ces Franks, s'ils te tuaient?..

      –S'ils me tuaient, petite Odille?..

      Se retournant alors vers l'ermite, qu'il désigna du regard à la jeune fille, il ajouta:

      –Si les Franks me tuent, ce bon moine laboureur veillera sur toi.

      –Je te le promets, mon enfant; je te protégerai.

      –Petite Odille, – reprit Ronan presque avec embarras, lui pourtant d'ordinaire aussi timide… qu'on l'est en Vagrerie, – un baiser sur ton front… ce sera le premier et le dernier peut-être…

      L'enfant pleurait en silence; elle tendit son front de quinze ans à Ronan; il y posa ses lèvres, et, l'épée haute, partit en courant… À peine fut-il éloigné des chariots, que l'on entendit les cris des Vagres attaquant les leudes. Odille, à ces cris, se jeta, sanglotante, éperdue, dans les bras de l'ermite, cachant sa figure dans son sein, et s'écria:

      –Ils vont le tuer… ils vont le tuer…

      –Courage, Franks… courage, mes fils en Dieu! – hurlait Cautin garrotté à la roue d'un chariot; – exterminez ces Moabites… et surtout exterminez ma diablesse de femme, cette grande impudique à robe orange, à écharpe bleue et aux bas rouges brodés d'argent… je vous la signale… pas de merci pour cette Olliba! coupez-la en morceaux si vous pouvez!

      –Évêque, évêque… tes paroles sont inhumaines… Rappelle-toi donc toujours la miséricorde de Jésus envers Madeleine et la femme adultère, – dit l'ermite, tandis qu'Odille, la figure toujours cachée dans le sein de ce vrai disciple du jeune homme de Nazareth, murmurait:

      –Ils vont tuer Ronan… ils vont le tuer…

      –Me voici revenu… les Franks ne m'ont pas tué, petite Odille, et les gens qu'ils emmenaient sont délivrés.

      Qui parlait ainsi? c'était Ronan. Quoi? déjà de retour? oui, les Vagres font vite et bien. D'un bond, Odille fut dans les bras de son ami.

      –J'en ai tué un… il allait tuer mon Vagre! – s'écria l'évêchesse aussi revenant… Et, jetant là son épée sanglante, le regard étincelant, le sein demi-couvert par ses longues tresses noires, désordonnées comme ses vêtements par l'action du combat, elle dit au Veneur:

      –Es-tu content?

      –Forts pour l'amour, forts pour la guerre, sont tes bras nus, ma Vagredine! – répondit le joyeux garçon. – Maintenant, un coup à boire de ta belle main!

      –Boire à ma barbe ce vin qui fut le mien! courtiser devant moi cette femme effrontée qui fut la mienne! – murmura l'évêque, – voilà qui est monstrueux! voilà qui est le signe précurseur des calamités effroyables qui se répandront sur la terre…

      Trois des Vagres avaient été blessés: l'ermite les pansait avec tant de dextérité, qu'on pouvait le croire médecin; il se relevait pour aller de l'un à l'autre des blessés, lorsqu'il vit s'avancer vers lui les gens que les leudes emmenaient, et qui venaient d'être délivrés par les hommes de Ronan. Ces malheureux, un instant auparavant prisonniers, étaient couverts de haillons; mais la joie de la délivrance brillait sur leurs traits. Conviés par leurs libérateurs à boire et à manger pour réparer leurs forces, ils venaient s'acquitter

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