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bon au pauvre monde!

      –Soyez bénis… soyez bénis, – s'écriaient ces pauvres créatures pleurant de joie; – vaut mieux rencontrer un Vagre qu'un comte ou qu'un évêque.

      Et c'était plaisir de voir avec quelle ardeur ces hardis compagnons, perchés sur les chariots, distribuaient ainsi ce qu'ils avaient pris au méchant et cupide évêque; c'était plaisir de voir les figures toujours tristes, toujours mornes, de ces femmes infortunées, s'épanouir si surprises, si heureuses à la vue de cette aubaine inattendue. Elles regardaient ébahies, ravies, cet amoncellement d'objets de toutes sortes jusqu'alors presque inconnus à leur sauvage misère. Les enfants, plus impatients, s'attelaient gaiement deux, trois, quatre à un matelas pour le transporter dans une des masures, ou bien enlaçant leurs petits bras amaigris, s'opiniâtraient à soulever un gros rouleau d'étoffe de lin; mais voilà que soudain une voix courroucée, menaçante, véritable trouble-fête, épouvante et glace ces pauvres gens.

      –Malheur à vous! damnation sur vous! si vous osez toucher d'une main sacrilége aux biens de l'Église… tremblez… tremblez! c'est péché mortel… vous, vos maris, vos enfants, vous serez plongés dans les flammes de l'enfer durant l'éternité…

      C'était l'évêque Cautin accourant tout gâter malgré les remontrances de l'ermite laboureur.

      –Oh! nous ne toucherons à rien de ce que l'on nous donne, notre évêque, – répondaient les femmes et les enfants contrits et frissonnant de tous leurs membres, – nous ne toucherons point, hélas! à ces biens de l'Église.

      –Mes Vagres, – dit Ronan, – pendez-moi l'évêque… nous trouverons ailleurs un cuisinier…

      Déjà l'on s'emparait du saint homme, alors plus pâle, plus tremblant que les plus pâles et les plus tremblantes des pauvres femmes naguère si joyeuses, lorsque le moine s'interposa et de nouveau délivra Cautin.

      –L'ermite! – s'écrièrent les esclaves, – l'ermite laboureur…

      –Béni sois-tu, l'ami des affligés…

      –Béni sois-tu, notre ami à nous autres petits enfants qui t'aimons tant, car tu nous aimes…

      Et toutes ces mains enfantines s'attachèrent à la robe de l'ermite, qui disait de sa voix douce et pénétrante:

      –Chères femmes, chers petits enfants, prenez ce qu'on vous donne, prenez sans crainte… Jésus l'a dit: «Malheur au riche, s'il ne partage son pain avec qui a faim, son manteau avec qui a froid.» Votre évêque voulait vous éprouver: ces biens, il vous les donne…

      –Béni sois-tu, saint évêque! – dirent les femmes en levant leurs mains reconnaissantes vers Cautin, – béni sois-tu, bon père, pour tes généreux dons!

      –Je ne donne rien! – s'écria Cautin; – on me contraint, on me larronne, et vous brûlerez éternellement en enfer, si vous écoutez cet ermite apostat!..

      La plupart des femmes regardèrent, indécises, Ronan, l'évêque et l'ermite; tour à tour elles approchaient et retiraient leurs mains de ces objets si précieux à leur misère; deux ou trois vieilles s'éloignèrent cependant tout à fait de ces biens de l'Église, et se jetèrent à genoux en murmurant dans leur effroi:

      –Saint évêque Cautin! pardonne-nous d'avoir eu seulement la pensée d'un si grand péché…

      –Ne craignez rien, mes soeurs, – reprit l'ermite, – votre évêque, encore une fois, vous éprouve. Ces biens superflus, il vous les donne en frère; il sait que le Seigneur, aimant également ses créatures, ne veut pas que celles-ci soient nues et frissonnantes… celles-là, suant sous le poids inutile de vingt habits… celles-ci, affamées… celles-là, repues… Ne redoutez pour votre évêque ni la faim ni le froid… voyez, sa robe est neuve, son chaperon aussi, ses souliers aussi; que lui faut-il davantage?.. À lui seul pourrait-il vêtir tous ces habits? à lui seul vider toutes ces outres de vin? à lui seul, manger toutes ces provisions?.. Non, non… prenez, mes soeurs, prenez, chers petits enfants… votre évêque partage avec vous…

      –Ne l'écoutez pas! – s'écria Cautin, – car moi je vous dis…

      –Toi, tu ne dis rien! – reprit Ronan en lui lançant un regard terrible. – Si tu parles, je fais, malgré toi, ton salut en te martyrisant sur l'heure…

      Plusieurs des femmes, persuadées par les paroles de l'ermite, et aussi par l'âpreté de leur misère, commencèrent à emporter diligemment dans leurs cabanes, à l'aide de leurs enfants, les biens de l'Église: les trois vieilles n'osèrent y toucher, restant agenouillées, se frappant la poitrine.

      –Chères filles, persévérez dans votre sainte horreur du sacrilège! – s'écria l'évêque, malgré les menaces de Ronan, – et vous irez en paradis entendre à perpétuité les Séraphins jouer du théorbe devant le Seigneur, en chantant ses louanges!

      –Et moi, foi de Dent-de-Loup, je me ferais damner, rien que pour échapper à ces sempiternels théorbes!

      –Tais-toi, païen! et vous, persévérez, mes filles! – s'écria Cautin d'une voix plus éclatante encore. – Cet ermite, suppôt du diable, vous pousse à une pillerie sacrilége, qui vous mène droit aux enfers…

      –Mes Vagres, – dit Ronan, – une corde, et que l'on accroche ce bavard haut et court, puisque décidément il veut être pendu…

      L'ermite arrêta d'un geste la colère des Vagres, et dit:

      –Évêque, reconnais-tu comme divines les paroles de Jésus de Nazareth?

      –Apostat! Pharaon! tu te dévoiles à cette heure! tu avais endossé la peau d'agneau… tu n'es qu'un loup ravisseur comme les autres… Je te défends de prononcer le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ!

      –Jésus de Nazareth a dit ceci, – reprit l'ermite: «-Si l'on vous prend votre manteau, courez après celui qui vous l'a pris, et donnez-lui encore votre tunique.» – Que voulait dire Jésus par ces paroles? sinon que trop souvent le vol avait pour cause la misère, et que de cette misère il fallait avoir pitié?.. Abandonne donc volontairement ces biens superflus, toi qui as fait serment de pauvreté, de charité!

      –Tais-toi, méchant ermite, qui oses contredire notre évêque. Nous ne pouvons toucher du doigt aux biens de l'Église, – s'écria une des trois vieilles; – nous serions damnées…

      –Oui, oui, – reprirent les deux autres. – Tais-toi, ermite.

      –Pauvres créatures! plongées à dessein dans l'ignorance et l'aveuglement, – leur dit Ronan. – Tenez-vous beaucoup à la vie de votre évêque?

      –Pour lui nous souffririons mille morts! – répondirent les trois vieilles, – oui, mille morts!..

      –Oh! pieuses femmes! – s'écria Cautin jubilant. – Quelle superbe part de paradis vous aurez… Aussi, en attendant le jour de la vie éternelle, je vous absous de tous vos péchés et vous bénis!

      –O notre évêque, – reprirent les vieilles, se frappant la poitrine, – saint, trois fois saint parmi les saints!.. grâces te soient rendues!..

      –Écoutez-moi, pauvres brebis, qui prenez le boucher pour le pasteur, – leur dit Ronan. – Si à l'instant vous ne profitez pas de ces dons, nous pendons, à vos yeux, votre évêque à cet arbre.

      –Voici une corde, – dit Dent-de-Loup.

      Et il la passa au cou de Cautin.

      –Chères filles, emportez tout! prenez tout! – s'écria le prélat en se débattant. – Je vous adjure, je vous ordonne, moi, votre père en Christ, d'emporter ce butin sur l'heure!

      Une des vieilles obéit promptement; les deux autres restèrent agenouillées en disant:

      –Tu veux nous éprouver, grand évêque!

      –Mais ces païens vont me pendre…

      –Un saint homme comme toi ne craint pas le martyre.

      –Non,

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