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trésors, ces diamants miroitaient singulièrement à son imagination.

      – Mais de qui donc parlez-vous ainsi, mes gentilshommes? demanda-t-il enfin.

      – Nous parlons de la Barbe-Bleue!

      – Qu’est-ce que la Barbe-Bleue?

      – La Barbe-Bleue? Eh bien! c’est la Barbe-Bleue…

      – Mais, enfin, est-ce un homme ou une femme? dit le chevalier.

      – La Barbe-Bleue?

      – Oui, oui, dit impatiemment Croustillac.

      – Eh! mon Dieu! c’est une femme!

      – Comment! une femme? Et pourquoi l’appelle-ton la Barbe-Bleue?

      – Pourquoi? Parce qu’elle se débarrasse de ses maris, comme l’homme à la barbe bleue du nouveau conte se débarrassait de ses femmes.

      – Et elle est veuve!.. c’est une veuve!.. ce serait une veuve! comment!.. s’écria le chevalier avec un battement de cœur inexprimable; une veuve… répéta-t-il en joignant les mains, une veuve! riche à éblouir! à donner le vertige par le seul calcul de ses richesses… une veuve!!

      – Une veuve, si veuve qu’elle l’est pour la troisième fois depuis trois ans, dit le capitaine.

      – Et elle est aussi riche qu’on le dit?

      – Mais, oui, c’est connu, tout le monde le sait, dit le capitaine.

      – Riche à millions!! riche à armer des bâtiments de 400,000 livres… riche à avoir des sacs de diamants et d’émeraudes et de perles fines… s’écria le Gascon, dont les yeux étincelaient, dont les narines se gonflaient, dont les mains se crispaient.

      – Mais on vous répète qu’elle est riche à acheter la Martinique et la Guadeloupe, si cela lui faisait plaisir, reprit le capitaine.

      – Et vieille… très vieille?.. demanda le chevalier avec inquiétude.

      Son interlocuteur regarda les autres passagers d’un air interrogatif, et dit: – Quel âge peut bien avoir la Barbe-Bleue?

      – Ma foi, je n’en sais rien, dit l’un.

      – Tout ce que je sais, reprit un autre, c’est que lorsque je suis arrivé dans la colonie, il y a deux ans, elle en était déjà à son second mari, et qu’elle entamait le troisième… qui ne lui a pas seulement duré un an.

      – Pour ce qui est du troisième mari, on ne dit pas qu’il soit mort, mais il a disparu, reprit un autre.

      – Il est si bien mort, au contraire, qu’on dit avoir vu la Barbe-Bleue en grand deuil de veuve, dit un passager.

      – Sans doute, sans doute, ajouta un troisième interlocuteur; la preuve qu’il est mort, c’est que le desservant de la paroisse de Macouba, en l’absence du révérend père Griffon, a dit une messe des morts pour lui.

      – Au reste, il ne serait pas étonnant qu’il eût été assassiné, dit un autre.

      – Assassiné… par sa femme, sans doute, reprit-on avec une unanimité qui prouvait peu en faveur de la Barbe-Bleue.

      – Non pas par sa femme!

      – Ah! ah! voilà du nouveau.

      – Pas par sa femme? et par qui donc alors?

      – Par des ennemis qu’il avait à la Barbade.

      – Par des colons anglais?

      – Oui, par des Anglais, puisqu’il était, dit-on, Anglais lui-même…

      – Toujours est-il, mon gentilhomme, que le troisième mari est mort… et bien mort?.. demanda le chevalier avec anxiété.

      – Oh! pour mort… oui, oui, répéta-t-on en chœur.

      Croustillac respira; un moment comprimées, ses espérances reprirent leur vol audacieux.

      – Mais l’âge de la Barbe-Bleue le sait-on? reprit-il.

      – Pour son âge, je puis vous satisfaire: elle doit avoir environ… de vingt… oui, c’est à peu près cela, de vingt… à soixante ans, dit le capitaine Daniel.

      – Mais vous ne l’avez donc pas vue? dit le chevalier impatienté de cette plaisanterie.

      – Vue!! moi? et pourquoi diable voulez-vous que j’aie vue la Barbe-Bleue? demanda le capitaine. Est-ce que vous êtes fou?

      – Comment?

      – Entendez-vous… mes compères… dit le capitaine à ses passagers; il me demande si j’ai vu la Barbe-Bleue.

      Les passagers haussèrent les épaules.

      – Mais, reprit Croustillac, qu’est-ce qu’il y a d’étonnant à ma question?

      – Ce qu’il y a d’étonnant? dit maître Daniel.

      – Oui.

      – Tenez… vous venez de Paris, vous, n’est-ce pas? et c’est bien moins grand que la Martinique.

      – Sans doute!

      – Eh bien! avez-vous vu le bourreau à Paris?

      – Le bourreau? non… mais quel rapport?

      – Eh bien! une fois pour toutes, sachez qu’on est aussi peu curieux de voir la Barbe-Bleue, qu’on est curieux de voir le bourreau… mon gentilhomme. D’abord, parce que la maison qu’elle habite est située au milieu des solitudes du Morne-au-Diable, où l’on ne se soucie pas de s’aventurer… Puis, parce qu’une assassine n’est pas d’une agréable société, et puis parce que la Barbe-Bleue a de trop mauvaises connaissances.

      – De mauvaises connaissances? fit le chevalier.

      – Oui, des amis… des amis de cœur… pour ne pas dire plus, qu’il ne fait pas bon rencontrer le soir sur la grève, la nuit dans les bois ou au coucher du soleil sous le vent de l’île, dit le capitaine.

      – L’Ouragan… le capitaine flibustier, d’abord… dit un des passagers d’un air d’effroi.

      – Puis Arrache-l’Ame… le boucanier de Marie-Galande, dit un autre.

      – Puis Youmaalë… le Caraïbe anthropophage de l’anse aux Caïmans, reprit un troisième.

      – Comment! s’écria le chevalier, est-ce que la Barbe-Bleue serait à la fois en coquetterie réglée avec un flibustier, un boucanier et un cannibale… Peste… Quelle matrone!

      – Comme vous dites, mon gentilhomme… elle passe pour une matrone, une buonaroba, comme disent les Espagnols.

      CHAPITRE III.

      L’ARRIVÉE

      Ces singulières révélations sur le moral de la Barbe-Bleue parurent impressionner assez le chevalier.

      Après quelques moments de silence il demanda au capitaine: – Quel est cet homme, ce flibustier qu’on appelle l’Ouragan?

      – Un mulâtre de Saint-Domingue, dit-on, reprit maître Daniel, l’un des plus déterminés flibustiers des Antilles; il est venu habiter la Martinique depuis deux ans, dans une maison isolée, où il vit maintenant en bourgeois; on dit qu’il se servait, lorsqu’il faisait sa course, de pirogues à soupape.

      – Qu’est-ce qu’une pirogue à soupape? demanda le chevalier.

      – C’est une grande embarcation, noire, longue et mince comme un serpent; au fond de son arrière, près du gouvernail, il y a une large soupape qui s’ouvre à volonté. Dès qu’un navire était en vue, on dit que l’Ouragan s’embarquait dans une pareille pirogue avec une cinquantaine de flibustiers armés de coutelas et de pistolets, voilà tout; la pirogue marchait à rames, parce qu’en se privant de voiles elle pouvait s’approcher plus près de l’ennemi sans être aperçue; la pirogue piquait

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