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plus terrible. Mais n'anticipons pas… J'entendis donc Robin des Bois venir de mon côté; il avait un pas singulier, effrayant, un pas que j'oserais presque appeler bourrelé de remords. Je suspends ma respiration; je m'efface le long de la muraille: il faisait si noir qu'il ne me voit pas. Il passe, et je commence à m'attacher à ses pas avec la ténacité du chien qui poursuit sa proie, si j'ose m'exprimer ainsi. Dieudonné, qui l'avait entendu se diriger de mon côté, accourt, et nous suivons notre homme ou plutôt notre… Mais n'anticipons pas… Nous marchons, nous marchons, nous marchons… Dieu! fallait-il qu'il fût bourrelé, ce malheureux-là! pour ne pas s'apercevoir que nous étions sur ses talons!

      – C'est à faire dresser les cheveux sur la tête, – dit la veuve, – quand je pense qu'il pouvait vous apercevoir!

      – Dans ce cas-là, madame, j'avais une réponse toute prête, une réponse que j'avais soigneusement élaborée dans la prévision d'un conflit.

      – Cette réponse?

      – Cette réponse était bien simple: la rue est à tout le monde, – répondit M. Godet d'un air héroïque.

      – Comment était-il vêtu? – demanda madame Lebœuf.

      – Il me parut vêtu d'un manteau noir et d'un grand chapeau. Enfin, après des détours sans nombre, nous arrivons… devinez où? Je vous le donne en cent, je vous le donne en mille, je vous le donne en dix mille…

      – Nous jetons notre langue aux chiens, – s'écrièrent comme un seul homme les habitués du café.

      – Monsieur Godet, ayez pitié de nous! – dit madame Lebœuf.

      Le rentier, après avoir joui un moment de l'impatience générale, dit enfin d'un ton sépulcral: – Nous arrivons… Ah! messieurs…

      – Mais dites donc!

      – Nous arrivons au cimetière du Père-Lachaise.

      – Au cimetière du Père-Lachaise!!! – répéta l'assemblée avec un accent d'horreur et d'effroi.

      Madame Lebœuf fut si troublée, qu'elle se versa un verre de rhum pour se remettre de son émotion.

      – Eh! que pouvait-il aller faire au cimetière à cette heure? Dieu du ciel! – s'écria la veuve après avoir bu.

      – Vous allez le voir, messieurs, vous n'allez que trop le voir. Nous arrivons à la porte du cimetière. Elle était fermée, bien entendu, ainsi que cela se doit dans le champ du repos, pour que rien n'y trouble la paix de la tombe de chacun. Alors notre homme, c'est-à-dire l'homme, car je repousse toute complicité, toute communauté avec un pareil monstre, l'homme, sans doute armé d'une fausse clef, d'un rossignol, d'un monseigneur ou autre hideux instrument analogue à ses pareils, l'homme, dis-je, ouvre la porte et la referme après lui.

      – Alors qu'avez-vous fait? – demanda madame Lebœuf.

      – Moi et Dieudonné, nous avons eu le courage d'attendre cet abominable sacrilége jusqu'à quatre heures du matin… pendant ce temps-là nul doute qu'il n'ait employé son temps à des profanations abominables, à l'imitation de ce fameux mélodrame appelé le Vampire.

      – Un Vampire! – s'écria madame Lebœuf.

      – Est-ce que vous croyez qu'il y a encore des vampires? Comment! le voisin d'en face serait un vampire? un vampire! ah!.. quelles horribles délices!

      – Dieu merci, ma chère madame Lebœuf, je ne suis pas assez superstitieux pour croire aux vampires exagérés que le mélodrame nous montre; mais je crois qu'on ne s'introduit pas la nuit dans des cimetières sans des motifs qui n'ont rien d'humain ni de naturel; ce qui m'engage, en attendant mieux, à nommer Robin des Bois le Vampire. Et à ce propos j'éprouve le besoin de déclarer hautement que celui qui ne respecte pas l'abri des tombeaux finit tôt ou tard par y descendre, car la Providence atteint toujours le coupable, – ajouta philosophiquement M. Godet.

      – Mais c'est tout simple, puisqu'on meurt tôt ou tard, – dit à demi-voix, l'impitoyable critique de M. Godet.

      Ce dernier lui lança un regard courroucé, et termina en ces termes:

      – Lorsque l'homme que je ne crains pas d'appeler un vampire quitta le cimetière du Père-Lachaise, nous nous remîmes à le suivre, d'abord parce que c'était notre route, et ensuite parce que, dans le cas d'une mauvaise rencontre, il vaut mieux être trois que deux. Enfin, le Vampire revint d'où il était parti et rentra par la ruelle dans ce que j'ose appeler à peine son domicile… et d'où il repartira sans doute cette nuit pour continuer son tissu d'horreurs ténébreuses.

      La narration de M. Godet ne satisfit pas complétement ses auditeurs.

      Cette visite au cimetière, jointe à la brillante apparition du colonel dans une magnifique voiture, servit de nouveau texte aux inépuisables commentaires des habitués du café Lebœuf, et irrita davantage encore la curiosité générale.

      A l'exception de la veuve, personne, il est vrai, ne croyait positivement aux vampires; mais la conduite étrange du colonel n'en prêtait pas moins aux plus bizarres interprétations.

      Au moment où la discussion était dans toute sa force, un facteur entra et remit une lettre à madame Lebœuf; celle-ci, vu le froid rigoureux, daigna lui verser un verre d'eau-de-vie en matière de gratification.

      Cette bonne action eut immédiatement sa récompense.

      Le facteur, tirant de sa botte une assez grande enveloppe scellée d'un large cachet noir, dit à la veuve:

      – Le voisin d'en face n'est pas une bonne pratique, car depuis trois mois je ne lui ai jamais porté une lettre; mais en voici une qui en vaut bien plusieurs! Eh! eh! il paraît qu'il aime mieux les gros morceaux que les petites bouchées, le colonel Ulrik, – ajouta le facteur d'un air capable.

      – Messieurs! messieurs! une lettre pour le Vampire! – s'écria madame Lebœuf en saisissant l'enveloppe et en l'élevant au-dessus de sa tête d'un air triomphant.

      Les habitués accoururent et entourèrent le comptoir.

      – Madame! madame! – s'écria le facteur; et craignant un abus de confiance, il étendait la main pour reprendre sa lettre.

      – Soyez tranquille, mon garçon; nous ne lui ferons pas de mal, à cette enveloppe! Laissez-nous seulement jeter un coup d'œil sur l'adresse.

      – Un simple coup d'œil, – ajouta M. Godet. Et, saisissant la lettre dans ses mains tremblantes d'émotion, il la déposa précieusement sur le marbre du comptoir.

      – Encore un verre d'eau-de-vie, mon garçon, – dit la veuve au facteur. – Qu'importe que vous remettiez cette lettre cinq minutes plus tard à son adresse!

      Le facteur but son second verre d'eau-de-vie sans quitter sa lettre des yeux.

      – Voyons, voyons, – dit la veuve, – quelle est l'adresse… – Elle lut: —M. le colonel Ulrik, 38, rue Saint-Louis, Paris.

      – Et le cachet, des armes?

      – Non, une losange pointillée.

      – Et le timbre? – demanda un autre curieux.

      – De Paris, levée de midi, et un franc de port, vu son poids, – répondit le facteur. – Allons, maintenant, madame Lebœuf, vous l'avez assez vue, cette lettre, j'espère.

      – Un moment, mon garçon, vous avez le nez bien rouge; buvez donc encore un verre d'eau-de-vie. Il fait un froid terrible aujourd'hui.

      – Merci! merci! madame Lebœuf, – dit le facteur. – Vite! vite! ma lettre!

      H. Godet et les habitués considéraient cette enveloppe avec une avidité presque farouche; ils examinaient attentivement son papier épais, bleuâtre, glacé, son écriture fine et déliée.

      Tout à coup la veuve appuya son nez camard sur la lettre, et s'écria: – Oh! ça sent le musc, quelle horreur d'odeur!

      Nous

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