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tarda pas à venir à son secours, elle renonça aux travaux projetés et interrompit tous ceux qui étaient commencés. Réduite à l'inaction par ce sacrifice, elle en souffrit d'autant plus, que les hommes la laissaient presque toujours seule pour s'occuper des vergers, des jardins et des serres, pour aller à la chasse ou faire des promenades à cheval, pour acheter ou troquer des équipages, essayer ou dresser des chevaux. Ne sachant plus comment occuper ses heures d'ennui, la pauvre Charlotte étendit ses correspondances, dont au reste le Capitaine était souvent l'objet; car elle continuait à demander pour lui à ses nombreux amis et connaissances un emploi convenable.

      Elle était dans cette disposition d'esprit, lorsqu'elle reçut une lettre détaillée du pensionnat, sur les progrès merveilleux de la brillante Luciane. Cette lettre était suivie d'un post-scriptum d'une sous-maîtresse, et d'un billet d'un des professeurs de la maison. Nous croyons devoir insérer ici ces deux pièces.

POST-SCRIPTUM DE LA SOUS-MAITRESSE

      Pour ce qui concerne Ottilie, je ne puis que vous répéter, Madame, ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous apprendre sur son compte. Je ne voudrais pas me plaindre d'elle, et cependant il m'est impossible de dire que j'en suis satisfaite. Elle est, comme toujours, modeste et soumise; mais cette modestie, cette soumission ont quelque chose qui choque et déplaît. Vous lui avez envoyé de l'argent et des étoffes; eh bien! tout cela est encore intact. Ses vêtements lui durent un temps infini, car elle ne les change que lorsque la propreté l'exige. Sa trop grande sobriété me paraît également blâmable. Il n'y a rien de superflu sur notre table, mais j'aime à voir les enfants manger avec plaisir, et en quantité suffisante, des mets sains et nourrissants. Jamais Ottilie ne nous a donné cette satisfaction; elle saisit au contraire les prétextes les plus spécieux pour se dispenser de recevoir sa part d'un plat ou d'un dessert. Au reste, elle a souvent mal au côté gauche de la tête. Cette incommodité, quoique passagère, revient souvent et parait la faire souffrir beaucoup, sans que l'on puisse en découvrir la cause. Voilà, Madame, ce que j'ai cru devoir vous dire, à l'égard de cette belle et bonne enfant.

BILLET DU PROFESSEUR

      La digne maîtresse du pensionnat a l'habitude de me communiquer les lettres par lesquelles elle rend compte aux parents des succès de ses élèves, et je lis surtout avec plaisir celles qu'elle vous adresse. Permettez-moi donc, Madame, de vous féliciter personnellement sur le bonheur de posséder une fille douée de tant de qualités supérieures; mais votre nièce aussi me semble prédestinée à un bel avenir, celui de faire le bonheur de tout ce qui l'entoure. C'est la seule de nos élèves sur laquelle je ne partage pas les opinions de la maîtresse du pensionnat. Je conçois que cette femme si active aime à voir se développer promptement les fruits qu'elle cultive avec tant de soins; mais il est des fruits qui se cachent longtemps sous leur écorce, et ce sont toujours là les meilleurs. Je crois, Madame, que votre nièce est de ce nombre. Depuis qu'elle suit ma classe, elle avance lentement, mais elle avance toujours, et ne rétrograde jamais. C'est avec elle, surtout, qu'il est indispensable de commencer par le commencement. Tout ce qui ne découle pas d'un enseignement précédent est inconcevable pour elle, et on la voit s'arrêter avec toutes les apparences de l'incapacité, du mauvais vouloir même, devant les choses les plus faciles, dès qu'elles ne lui offrent point d'enchaînement. Mais si l'on parvient à lui faire trouver cet enchaînement, elle conçoit les démonstrations les plus difficiles. Avec cette manière d'être, elle est constamment devancée par ses compagnes qui conçoivent et retiennent facilement un enseignement morcelé, et savent l'employer à propos. Avec les méthodes hâtives elle n'apprend rien du tout, ainsi que cela lui arrive en certaines classes tenues par des professeurs distingués, mais vifs et impatients. On s'est plaint de son écriture et de son incapacité à saisir les règles de la grammaire. Je suis remonté à la source de ces plaintes. Il est vrai qu'elle écrit doucement et que ses caractères manquent de souplesse et d'assurance, mais ils ne sont point difformes. Quoique la langue française ne fasse point partie de mes classes, je me suis chargé de la lui enseigner graduellement, et elle me comprend sans peine. Ce qui paraît singulier, surtout, c'est qu'elle sait beaucoup; mais dès qu'on l'interroge, elle semble ne plus rien savoir.

      S'il m'était permis de terminer par une observation générale, je dirais qu'elle apprend, non pour apprendre, mais pour pouvoir enseigner un jour; ce qui est à mes yeux un très-grand mérite, car je suis professeur. Votre haute raison, Madame, et votre profonde connaissance du coeur humain, sauront réduire mes paroles à leur juste valeur. Puissiez-vous être convaincue qu'un jour cette aimable enfant aussi vous donnera de la satisfaction. Veuillez me permettre de vous écrire de nouveau, dès que j'aurai quelque chose d'agréable ou d'important à vous apprendre.

      Ce billet fit beaucoup de plaisir à Charlotte, car il s'accordait parfaitement avec ses propres opinions sur le caractère d'Ottilie. Le langage du professeur la fit sourire; elle y reconnut un intérêt plus vif que celui que l'on prend à une élève qui n'a pas même l'avantage de flatter la vanité de son maître par la rapidité de ses progrès.

      Mais d'après ses manières de voir calmes et au-dessus des préjugés, un pareil sentiment ne pouvait rien avoir d'alarmant pour elle. L'affection de ce digne homme pour sa pauvre nièce lui était au contraire très-précieuse, parce qu'elle savait que dans le monde où vivait cette intéressante enfant, on ne rencontre jamais que de l'indifférence ou de la dissimulation.

      CHAPITRE IV

      Le Capitaine venait de terminer la carte topographique du domaine de ses amis et des environs. En levant ce plan, d'après les calculs de la trigonométrie, il l'avait rendu exact; la beauté du dessin et l'éclat des couleurs lui donnaient de la vie. Ce travail cependant avait été promptement terminé, car il dormait peu et utilisait chaque instant du jour.

      – Maintenant, dit-il, en remettant cette carte à son ami, occupons-nous d'autres choses: de l'estimation des terres, par exemple, et de la manière d'en tirer le meilleur parti possible. Je te recommande seulement de séparer toujours les affaires, de la vie proprement dite. Les premières ont besoin d'être traitées sévèrement et sérieusement, tandis que la seconde s'embellit par l'inconséquence et la légèreté. Plus on met de régularité dans les affaires, plus on a de liberté dans la vie ordinaire; en les mêlant elles se nuisent mutuellement.

      Ces dernières phrases étaient presque un reproche pour Édouard. Jamais il n'avait eu le courage de classer ses papiers; mais, aidé par un second lui-même, la séparation à laquelle il n'avait pu se résigner fut bientôt faite.

      Après ce travail préliminaire, le Capitaine convertit plusieurs pièces de l'aile qu'il habitait, en bureau pour les affaires courantes, et en archives pour les affaires terminées. Au bout de quelques jours les documents qu'il avait trouvés dans les armoires, les cartons et les caisses, figuraient dans le plus bel ordre possible, sur des tablettes dont chacune avait sa destination. Un vieux secrétaire, dont le Baron avait toujours été fort mécontent, déploya tout à coup un zèle, et une activité infatigables. Ce changement l'étonna beaucoup; son ami lui en expliqua la cause.

      – Cet homme est utile maintenant, lui dit-il, parce que nous le laissons terminer commodément un travail avant de le charger d'un autre. Le désordre l'avait rendu incapable.

      L'emploi régulier de leur journée permit aux deux amis de consacrer les soirées à Charlotte. Parfois ils trouvaient chez elle des voisines qui venaient lui rendre visite; mais quand ils restaient seuls, leur conversation roulait toujours sur les réformes par lesquelles on pourrait augmenter le bien-être des classes moyennes.

      En voyant son mari plus satisfait et plus gai qu'à l'ordinaire, Charlotte aussi se sentait heureuse. Au reste, le Capitaine ne négligeait rien pour lui être agréable dans ses arrangements domestiques. En commentant avec elle des livres de botanique et de médecine élémentaire, il l'avait mise à même de compléter sa pharmacie de ménage, et d'être plus efficacement utile aux pauvres malades de la contrée. Le voisinage des étangs et des rivières l'avait engagé à s'attacher spécialement aux mesures à prendre pour secourir les personnes tombées dans l'eau, sortes d'accidents qui n'arrivaient que trop souvent dans le pays. La prédilection avec laquelle il s'occupait de ces sortes de secours, autorisa Édouard à dire qu'un accident semblable avait fait époque dans la vie de son ami. Celui-ci ne répondit rien, car il craignait

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