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le même cas que toi, et je me suis volontairement imposé le sacrifice que j'ai osé espérer de ta tendresse.

      – Voilà qui est charmant, répondit Édouard, il paraît que, dans le mariage, rien n'est plus utile que les discussions, puisque c'est par elles que l'on apprend à se connaître.

      – C'est possible. Apprends donc qu'Ottilie est pour moi ce que le capitaine est pour toi. La pauvre enfant est très-malheureuse dans son pensionnat. Ma fille Luciane, née pour briller dans un monde élégant, s'y forme pour ce monde. Elle apprend les langues étrangères, l'histoire, et autres sciences semblables, comme elle joue des sonates et des variations à livre ouvert. Douée d'une grande vivacité et d'une mémoire heureuse, on peut dire d'elle que, dans le même instant, elle oublie tout et se souvient de tout. Ses allures faciles et gracieuses, sa danse légère, sa conversation animée la distinguent de toutes ses compagnes, et un certain esprit de domination inné chez elle, en font la reine de ce petit cercle. La maîtresse du pensionnat voit en elle une petite divinité qui se développe sous sa main, et dont l'éclat rejaillira sur sa maison et y amènera une foule de jeunes personnes que leurs parents voudront faire arriver à ce même degré de perfection. Aussi les lettres que l'on m'écrit sur son compte, ne sont-elles que des hymnes à sa louange, qu'heureusement je sais fort bien traduire en prose. Quant à la pauvre Ottilie, on ne m'en parle que pour accuser la nature de n'avoir placé aucune disposition artistique, aucun germe de perfectionnement intellectuel dans une créature si bonne et si jolie. Cette erreur ne m'étonne point, car je retrouve dans Ottilie l'image vivante de sa mère, ma meilleure amie, qui a grandi à mes côtés. Je suis persuadée que sa fille serait bientôt une femme accomplie, s'il m'était possible de l'avoir sous ma direction.

      Nos conventions ne me le permettent pas, et je sais qu'il est dangereux de tirailler sans cesse le cadre dans lequel on a cru devoir enfermer sa vie. Je me soumets à cette nécessité; je fais plus: je souffre que ma fille, trop fière de ses avantages sur une parente qui doit tout à ma bienfaisance, en abuse parfois. Hélas! qui de nous a réellement assez de supériorité pour ne jamais la faire peser sur personne? et qui de nous est placé assez haut pour ne jamais être réduit à se courber sous une domination injuste? Le malheur d'Ottilie la rend plus chère à mes yeux; ne pouvant l'appeler près de moi, je cherche à la placer dans une autre institution. Voilà où j'en suis. Tu vois, mon bien-aimé, que nous nous trouvons dans le même embarras; supportons-le avec courage, puisque nous ne pourrions sans danger le faire disparaître l'un par l'autre.

      – Je reconnais bien là les bizarreries de la nature humaine, dit Édouard en souriant, nous croyons avoir fait merveille, quand nous sommes, parvenus à écarter les objets de nos inquiétudes. Dans les considérations d'ensemble, nous sommes capables de grands sacrifices; mais une abnégation dans les détails de chaque instant, est presque toujours au-dessus de nos forces: ma mère m'a fourni le premier exemple de cette vérité. Tant que j'ai vécu près d'elle, il lui a été impossible de maîtriser les craintes de chaque instant dont j'étais l'objet. Si je rentrais une heure plus tard que je ne l'avais promis, elle s'imaginait qu'il m'était arrivé quelque grand malheur; et quand la pluie ou la rosée avait mouillé mes vêtements, elle prévoyait pour moi une longue suite de maladies. Je me suis établi chez moi, j'ai voyagé, et elle a toujours été aussi tranquille sur mon compte que si je ne lui avais jamais appartenu.

      – Examinons notre position de plus près, continua-t-il, et nous reconnaîtrons, bientôt qu'il serait aussi insensé qu'injuste de laisser, sans autre motif que celui de ne pas déranger nos petits calculs personnels, deux êtres qui nous regardent de si près, sous l'empire d'un malheur qu'ils n'ont pas mérité. Oui, ce serait là de l'égoïsme, ou je ne sais plus de quel nom il faudrait qualifier cette conduite. Fais venir ton Ottilie, souffre que mon Capitaine s'installe ici, et remettons-nous à la garde de Dieu pour ce qui pourra en résulter.

      – S'il ne s'agissait que de nous, dit Charlotte, j'hésiterais moins; mais songe que le Capitaine est à peu près de ton âge, c'est-à-dire à cet âge (il faut bien que je te dise cette flatterie en face) où les hommes commencent à devenir réellement dignes d'un amour constant et vrai. Est-il prudent de le mettre en contact avec une jeune fille aussi aimable, aussi intéressante qu'Ottilie?

      – En vérité, répondit le Baron, l'opinion que tu as de ta nièce me paraîtrait inexplicable, si je n'y voyais pas le reflet de ta vive tendresse pour sa mère. Elle est gentille, j'en conviens, je me rappelle même que le Capitaine me la fit remarquer, lorsque je la vis chez ta tante, il y a un an environ. Ses yeux, surtout, sont fort bien, et cependant ils ne m'ont nullement impressionné.

      – Cela est très-flatteur pour moi, car j'étais présente. Ton amour pour ta première amie t'avait rendu insensible aux charmes naissants d'une enfant; je sens le prix de tant de constance, aussi ne voudrais-je jamais vivre que pour toi.

      Charlotte était sincère, et cependant elle cachait à son mari qu'alors elle avait eu l'intention de lui faire épouser Ottilie, et qu'à cet effet elle avait prié le Capitaine de la lui faire remarquer, car elle n'osait se flatter qu'il fût resté fidèle à l'amour qui les avait unis jadis. De son côté le Baron était tout entier sous l'empire du bonheur que lui causait la disparition inattendue du double obstacle qui l'avait séparé de Charlotte, et il ne songeait qu'à former enfin un lien qu'il avait pendant si longtemps vainement désiré.

      Les époux allaient retourner au château par les plantations nouvelles, lorsqu'un domestique accourut au-devant d'eux et leur cria en riant:

      – Revenez bien vite, Monseigneur; M. Mittler vient d'entrer au galop dans la cour du château. Sans se donner le temps de mettre pied à terre, il nous a tous rassemblés par ses cris: Allez! courez! nous a-t-il dit, appelez votre maître et votre maîtresse, demandez-leur s'il y a vraiment péril dans la demeure, entendez-vous, s'il y a péril dans la demeure? Vite, vite, courez!

      – Le drôle d'homme, dit Édouard, il me semble pourtant qu'il arrive à propos, qu'en penses-tu, Charlotte? Dis à notre ami, continua-t-il en s'adressant au domestique, qu'il y a, en effet, péril dans la demeure, et que nous te suivons de près. En attendant, conduis-le dans la salle à manger, fais-lui servir un bon déjeuner, et n'oublie pas son cheval.

      Puis il pria sa femme de se rendre avec lui au château par le chemin le plus court. Ce chemin traversait le cimetière, aussi ne le prenait-il jamais que lorsqu'il y était forcé. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il vit que là, aussi, Charlotte avait su prévenir ses désirs et deviner ses sentiments! En ménageant autant que possible les anciens monuments funéraires, elle avait fait niveler le terrain, et tout disposé de manière que cette enceinte lugubre n'était plus qu'un enclos agréable, sur lequel l'oeil et l'imagination se reposaient avec plaisir.

      Rendant à la pierre la plus ancienne l'honneur qui lui était dû, elle les avait fait ranger toutes, par ordre de date, le long de la muraille; plusieurs d'entre elles même avaient servi à orner le socle de l'église. A cette vue, Édouard agréablement surpris pressa la main de Charlotte, et ses yeux se remplirent de larmes.

      Leur hôte extravagant ne tarda pas à les faire partir de ce lieu. N'ayant pas voulu les attendre au château, il donna de l'éperon à son cheval, traversa le village et s'arrêta à la porte du cimetière d'où il leur adressa ces paroles en criant de toutes ses forces.

      – Est-ce que vous ne vous moquez pas de moi? y a-t-il vraiment péril! en la demeure? En ce cas je reste à dîner avec vous, mais ne me retenez pas en vain, j'ai encore tant de choses à faire aujourd'hui.

      – Puisque vous vous êtes donné la peine de venir jusqu'ici, dit Édouard sur le même ton, faites quelques pas de plus, et voyez comment Charlotte a su embellir ce lieu de deuil.

      – Je n'entrerai ici ni à pied, ni cheval, ni en carrosse, répondit le cavalier; je ne veux rien avoir à démêler avec ceux qui dorment là, en paix; c'est déjà bien assez que d'être obligé de souffrir qu'un jour on m'y porte les pieds en avant. Allons, voyons, avez-vous sérieusement besoin de moi?

      – Très-sérieusement, répondit Charlotte. C'est pour la première fois, depuis notre mariage, que mon mari et moi, nous nous trouvons dans un embarras dont nous ne savons comment nous tirer.

      – Vous

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