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disant ces mots, il quitte le fauteuil et s'élance à la tribune. L'officier de grenadiers se présente alors à la porte de la salle, en criant, Vive la république! On croit que les troupes envoient une députation pour exprimer leur dévouement aux conseils. Ce capitaine est accueilli par un mouvement d'allégresse. Il profite de cette erreur, s'approche de la tribune, s'empare du président, en lui disant à voix basse, C'est l'ordre de votre frère. Les grenadiers crient en même temps, A bas les assassins!

      A ces cris, la joie se change en tristesse; un morne silence témoigne l'abattement de toute l'assemblée. On ne met aucun obstacle au départ du président, qui sort de la salle, se rend dans la cour, monte à cheval, et s'écrie de sa voix de Stentor: «Général, et vous, soldats, le président du conseil des cinq-cents vous déclare que des factieux, le poignard à la main, en ont violé les délibérations. Il vous requiert d'employer la force contre ces factieux. Le conseil des cinq-cents est dissous.

      «Président, répondit le général, cela sera fait.»

      Il ordonne en même temps à Murat de se porter dans la salle en colonne serrée. En cet instant le général B*** osa lui demander cinquante hommes pour se placer en embuscade sur la route et fusiller les fuyards. Napoléon ne répondit à sa demande qu'en recommandant aux grenadiers de ne pas commettre d'excès. «Je ne veux pas, leur dit-il, qu'il y ait une goutte de sang versée.»

      Murat se présente à la porte, et somme le conseil de se séparer. Les cris, les vociférations continuent. Le colonel Moulins, aide-de-camp de Brune, qui venait d'arriver de Hollande, fait battre la charge. Le tambour mit fin à ces clameurs. Les soldats entrent dans la salle, la baïonnette en avant. Les députés sautent par les fenêtres, et se dispersent en abandonnant les toges, les toques, etc.: en un instant la salle fut vide. Les membres de ce conseil qui s'étaient le plus prononcés, s'enfuient en toute hâte jusqu'à Paris.

      Une centaine de députés des cinq-cents se rallièrent au bureau et aux inspecteurs de la salle. Ils se rendirent en corps au conseil des anciens. Lucien fit connaître que les cinq-cents avaient été dissous sur son réquisitoire; que chargé de maintenir l'ordre dans l'assemblée, il avait été environné de poignards; qu'il avait envoyé des huissiers pour réunir de nouveau le conseil; que rien n'était contraire aux formes, et que les troupes n'avaient fait qu'obéir à son réquisitoire. Le conseil des anciens, qui voyait avec inquiétude ce coup d'autorité du pouvoir militaire, fut satisfait de cette explication. A onze heures du soir, les deux conseils se réunirent de nouveau, ils étaient en très-grande majorité. Deux commissions furent chargées de faire leur rapport sur la situation de la république. On décréta, sur le rapport de Béranger, des remerciements à Napoléon et aux troupes. Boulay de la Meurthe aux Cinq-cents, Villetard aux Anciens, exposèrent la situation de la république et les mesures à prendre. La loi du 19 brumaire fut décrétée; elle ajournait les conseils au 1er ventose suivant; elle créait deux commissions de vingt-cinq membres chacune, pour les remplacer provisoirement. Elles devaient aussi préparer un code civil. Une commission consulaire provisoire, composée de Siéyes, Roger-Ducos et Napoléon, fut chargée du pouvoir exécutif.

      Cette loi mit fin à la constitution de l'an III.

      Les consuls provisoires se rendirent le 20, à deux heures du matin, dans la salle de l'orangerie où s'étaient réunis les deux conseils. Lucien, président, leur adressa la parole en ces termes:

      Citoyens consuls,

      Le plus grand peuple de la terre vous confie ses destinées. Sous trois mois l'opinion vous attend. Le bonheur de 30 millions d'hommes, la tranquillité intérieure, les besoins des armées, la paix, tel est le mandat qui vous est donné. Il faut sans doute du courage et du dévouement pour se charger d'aussi importantes fonctions: mais la confiance du peuple et des guerriers vous environne, et le corps-législatif sait que vos ames sont tout entières à la patrie. Citoyens consuls; nous venons, avant de nous ajourner, de prêter le serment que vous allez répéter au milieu de nous: le serment sacré de «fidélité inviolable à la souveraineté du peuple, à la république française une et indivisible, à la liberté, à l'égalité, et au systême représentatif.»

      L'assemblée se sépara, et les consuls se rendirent à Paris, au palais du Luxembourg.

      La révolution du 18 brumaire fut ainsi consommée.

      Siéyes, pendant le moment le plus critique, était resté dans sa voiture à la grille de Saint-Cloud, afin de pouvoir suivre la marche des troupes. Sa conduite dans le danger fut convenable; il fit preuve de fermeté, de résolution et de sang-froid.

      MÉMOIRES DE NAPOLÉON

CONSULS PROVISOIRES

      État de la capitale. – Proclamation de Napoléon. – Première séance des consuls; Napoléon, président. – Ministère: divers changements. – Maret, Dubois-Crancé, Robert-Lindet, Gaudin, Reinhart, Forfait, Laplace. – Premiers actes des consuls. – Honneurs funèbres rendus au pape. – Naufragés de Calais. Nappertandy, Blackwell. – Suppression de la fête du 21 janvier. – Entrevue de deux agents royalistes avec Napoléon. – Vendée. Châtillon, Bernier, d'Autichamp; Georges. – Pacification. Discussion sur la constitution. – Opinions de Siéyes et de Napoléon. – Daunou. – Constitution. – Nomination des consuls Cambacérès, Lebrun.

      § 1er

      On se peindrait difficilement les angoisses qu'avait éprouvées la capitale, pendant cette révolution du 18 brumaire; les bruits les plus sinistres circulaient partout, on disait Napoléon renversé, on s'attendait au règne de la terreur. C'était encore moins le danger de la chose publique qui effrayait, que celui où chaque famille allait se trouver.

      Sur les neuf heures du soir, les nouvelles de Saint-Cloud se répandirent, et l'on apprit les évènements arrivés; alors la joie la plus vive succéda aux plus cruelles alarmes. La proclamation suivante fut faite aux flambeaux.

Proclamation de Napoléon

      Citoyens!

      «A mon retour à Paris, j'ai trouvé la division dans toutes les autorités, et l'accord établi sur cette seule vérité que la constitution était à moitié détruite et ne pouvait plus sauver la liberté. Tous les partis sont venus à moi, m'ont confié leurs desseins, dévoilé leurs secrets, et m'ont demandé mon appui; j'ai refusé d'être l'homme d'un parti. Le conseil des anciens m'a appelé. J'ai répondu à son appel. Un plan de restauration générale avait été concerté par des hommes en qui la nation est accoutumée à voir des défenseurs de la liberté, de l'égalité, de la propriété; ce plan demandait un examen calme, libre, exempt de toute influence et de toute crainte. En conséquence le conseil des anciens a résolu la translation du corps-législatif à Saint-Cloud. Il m'a chargé de la disposition de la force nécessaire à son indépendance. J'ai cru devoir à nos concitoyens, aux soldats périssant dans nos armées, à la gloire acquise au prix de leur sang, d'accepter le commandement. Les conseils se rassemblent à Saint-Cloud; les troupes républicaines garantissent la sûreté au dehors; mais des assassins établissent la terreur au dedans. Plusieurs députés du conseil des cinq-cents, armés de stylets et d'armes à feu, font circuler autour d'eux des menaces de mort. Les plans qui devaient être développés sont resserrés, la majorité désorganisée, les orateurs les plus intrépides déconcertés, et l'inutilité de toute proposition sage, évidente. Je porte mon indignation et ma douleur au conseil des anciens: je lui demande d'assurer l'exécution de mes généreux desseins; je lui représente les maux de la patrie qui les ont fait concevoir. Il s'unit à moi par de nouveaux témoignages de sa constante volonté. Je me présente au conseil des cinq-cents, seul, sans armes, la tête découverte, tel que les anciens m'avaient reçu et applaudi. Je venais rappeler à la majorité sa volonté et l'assurer de son pouvoir. Les stylets qui menaçaient les députés sont aussitôt levés sur leur libérateur. Vingt assassins se précipitent sur moi et cherchent ma poitrine. Les grenadiers du corps législatif, que j'avais laissés à la porte de la salle, accourent et se mettent entre les assassins et moi. L'un de ces braves grenadiers (Thomé) est frappé d'un coup de stylet dont ses habits sont percés. Ils m'enlèvent. Au même moment, des cris de hors la loi se font entendre

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