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à trois mois. Les meneurs des deux conseils s'entendirent sur la manière dont ils devaient se conduire dans la séance de Saint-Cloud. Lucien, Boulay, Émile Gaudin, Chazal, Cabanis, étaient les meneurs du conseil des cinq-cents; Régnier, Lemercier, Cornudet, Fargues, l'étaient des anciens.

      Le général Murat, ainsi qu'on l'a dit, commandait la force publique à Saint-Cloud; Ponsard commandait le bataillon de la garde du corps-législatif; le général Serrurier avait sous ses ordres une réserve, placée au Point-du-Jour.

      On travaillait avec activité pour préparer les salles du palais de Saint-Cloud. L'orangerie fut destinée au conseil des cinq-cents; et la galerie de Mars, à celui des anciens: les appartements, devenus depuis le salon des princes et le cabinet de l'empereur, furent préparés pour Napoléon et son état-major. Les inspecteurs de la salle occupèrent les appartements de l'impératrice. Il était deux heures après-midi, et le local destiné au conseil des cinq-cents n'était pas encore prêt. Ce retard de quelques heures devint funeste. Les députés, arrivés depuis midi, se formèrent en groupes dans le jardin: les esprits s'échauffèrent; ils se sondèrent réciproquement, se communiquèrent, et organisèrent leur opposition. Ils demandaient au conseil des anciens ce qu'il voulait, pourquoi il les avait fait venir à Saint-Cloud? Était-ce pour changer le directoire? Ils convenaient généralement que Barras était corrompu, Moulins sans considération; ils nommeraient sans difficulté, disaient-ils, Napoléon et deux autres citoyens pour compléter le gouvernement. Le petit nombre d'individus qui étaient dans le secret laissèrent alors percer que l'on voulait régénérer l'état, en améliorant la constitution, et ajourner les conseils. Ces insinuations ne réussissant pas, une hésitation se manifesta parmi les membres sur lesquels on comptait le plus.

      § XI

      La séance s'ouvrit enfin. Émile Gaudin monta à la tribune, peignit vivement les dangers de la patrie, et proposa de remercier le conseil des anciens des mesures de salut public dont il avait pris l'initiative, et de lui demander, par un message, qu'il fît connaître sa pensée toute entière. En même temps, il proposa de nommer une commission de sept personnes pour faire un rapport sur la situation de la république.

      Les vents, renfermés dans les outres d'Éole, s'en échappant avec furie, n'excitèrent jamais une plus grande tempête. L'orateur fut précipité avec fureur en bas de la tribune. L'agitation devint extrême.

      Delbred demanda que les membres prêtassent de nouveau serment à la constitution de l'an III. Lucien, Boulay et leurs amis, pâlirent. L'appel nominal eut lieu.

      Pendant cet appel nominal, qui dura plus de deux heures, les nouvelles de ce qui se passait circulèrent dans la capitale. Les meneurs de l'assemblée du manège, les tricoteuses, etc., accoururent. Jourdan et Augereau se tenaient à l'écart; croyant Napoléon perdu, ils s'empressèrent d'arriver. Augereau s'approcha de Napoléon, et lui dit: «Eh bien! vous voici dans une jolie position!» – Augereau, reprit Napoléon, souviens-toi d'Arcole: les affaires paraissaient bien plus désespérées. Crois-moi, reste tranquille, si tu ne veux pas en être la victime. Dans une demi-heure tu verras comme les choses tourneront.

      L'assemblée paraissait se prononcer avec tant d'unanimité, qu'aucun député n'osa refuser de prêter serment à la constitution: Lucien lui-même y fut contraint. Des hurlements, des bravos, se faisaient entendre dans toute la salle. Le moment était pressant. Beaucoup de membres, en prononçant ce serment, y ajoutèrent des développements, et l'influence de tels discours pouvaient se faire sentir sur les troupes. Tous les esprits étaient en suspens: les zélés devenaient neutres; les timides avaient déja changé de bannière. Il n'y avait pas un instant à perdre. Napoléon traversa le salon de Mars, entra au conseil des anciens, et se plaça vis-à-vis le président. (C'était la barre.)

      «Vous êtes sur un volcan, leur dit-il: la république n'a plus de gouvernement; le directoire est dissous; les factions s'agitent; l'heure de prendre un parti est arrivée. Vous avez appelé mon bras et celui de mes compagnons d'armes au secours de votre sagesse: mais les instants sont précieux; il faut se prononcer. Je sais que l'on parle de César, de Cromwell, comme si l'époque actuelle pouvait se comparer aux temps passés. Non, je ne veux que le salut de la république, et appuyer les décisions que vous allez prendre… Et vous, grenadiers, dont j'aperçois les bonnets aux portes de cette salle, dites-le: vous ai-je jamais trompés? Ai-je jamais trahi mes promesses, lorsque, dans les camps, au milieu des privations, je vous promettais la victoire, l'abondance, et lorsqu'à votre tête, je vous conduisais de succès en succès? Dites-le maintenant: était-ce pour mes intérêts, ou pour ceux de la république?»

      Le général parlait avec véhémence. Les grenadiers furent comme électrisés; et, agitant en l'air leurs bonnets, leurs armes, ils semblaient tous dire: Oui, c'est vrai! il a toujours tenu parole!

      Alors un membre (Linglet) se leva, et d'une voix forte dit: «Général, nous applaudissons à ce que vous dites: jurez donc avec nous obéissance à la constitution de l'an III, qui peut seule maintenir la république.»

      L'étonnement que causa ces paroles produisit le plus grand silence.

      Napoléon se recueillit un moment; après quoi, il reprit avec force: «La constitution de l'an III, vous n'en avez plus: vous l'avez violée au 18 fructidor, quand le gouvernement a attenté à l'indépendance du corps-législatif; vous l'avez violée au 30 prairial an VII, quand le corps-législatif a attenté à l'indépendance du gouvernement; vous l'avez violée au 22 floréal, quand, par un décret sacrilège, le gouvernement et le corps-législatif ont attenté à la souveraineté du peuple, en cassant les élections faites par lui. La constitution violée, il faut un nouveau pacte, de nouvelles garanties.»

      La force de ce discours, l'énergie du général, entraînèrent les trois quarts des membres du conseil, qui se levèrent en signe d'approbation. Cornudet et Régnier parlèrent avec force dans le même sens: un membre s'éleva contre; il dénonça le général comme le seul conspirateur qui voulait attenter à la liberté publique. Napoléon interrompit l'orateur, déclara qu'il avait le secret de tous les partis, que tous méprisaient la constitution de l'an III; que la seule différence qui existait entre eux était que les uns voulaient une république modérée, où tous les intérêts nationaux, toutes les propriétés, fussent garantis; tandis que les autres voulaient un gouvernement révolutionnaire, motivé sur les dangers de la patrie. En ce moment on vint prévenir Napoléon que, dans le conseil des cinq-cents, l'appel nominal était terminé, et que l'on voulait forcer le président Lucien à mettre aux voix la mise hors la loi de son frère. Napoléon se rend aussitôt aux cinq-cents, entre dans la salle, le chapeau bas, ordonne aux officiers et soldats qui l'accompagnent de rester aux portes; il voulait se présenter à la barre pour rallier son parti, qui était nombreux, mais qui avait perdu tout ralliement et toute audace. Mais, pour arriver à la barre, il fallait traverser la moitié de la salle, parce que le président siégeait sur un des côtés latéraux. Lorsque Napoléon se fut avancé seul au tiers de l'orangerie, deux ou trois cents membres se levèrent subitement, en s'écriant: Mort au tyran! à bas le dictateur!

      Deux grenadiers que l'ordre du général avait retenus à la porte, et qui n'avaient obéi qu'à regret et en lui disant, «Vous ne les connaissez pas, ils sont capables de tout,» culbutèrent, le sabre à la main, ce qui s'opposait à leur passage, pour rejoindre leur général, l'investir et le couvrir de leurs corps. Tous les autres grenadiers suivirent cet exemple et entraînèrent Napoléon en dehors de la salle. Dans ce tumulte, l'un d'eux nommé Thomé fut légèrement blessé d'un coup de poignard; un autre reçut plusieurs coups dans ses habits.

      Le général descendit dans la cour du château, fit battre au cercle, monta à cheval, et harangua les troupes: «J'allais, dit-il, leur faire connaître les moyens de sauver la république, et de nous rendre notre gloire. Ils m'ont répondu à coups de poignard. Ils voulaient ainsi réaliser le desir des rois coalisés. Qu'aurait pu faire de plus l'Angleterre!

      «Soldats, puis-je compter sur vous?»

      Des acclamations unanimes répondirent à ce discours. Napoléon aussitôt ordonna à un capitaine d'entrer avec dix hommes dans la salle des cinq-cents, et de délivrer le président.

      Lucien venait de déposer sa toge.

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