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Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Le crime d'Orcival
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Il fut debout aussitôt, et des yeux chercha une issue pour fuir. N’en ayant pas, car les fenêtres aussi bien que la porte étaient encombrées de curieux, il se laissa tomber dans un fauteuil.
Ce malheureux offrait l’image de la terreur arrivée à son paroxysme. Sur sa face livide, se détachaient, bleuâtres, les marques des coups qu’il avait reçus dans la lutte; ses lèvres blêmes tremblaient et il remuait ses mâchoires dans le vide, comme s’il eût cherché un peu de salive pour sa langue ardente; ses yeux démesurément agrandis étaient injectés de sang et exprimaient le plus affreux égarement; enfin son corps était secoué de spasmes convulsifs.
Si effrayant était ce spectacle, que monsieur le maire d’Orcival pensa qu’il pouvait devenir un enseignement d’une haute portée morale; il se retourna donc vers la foule, en montrant Guespin, et d’un ton tragique, il dit:
– Voilà le crime!
Les autres personnes, cependant, le docteur, le juge d’instruction et le père Plantat, échangeaient des regards surpris.
– S’il est coupable, murmurait le vieux juge de paix, comment diable est-il revenu?
Il fallut un bon moment pour faire retirer la foule; le brigadier de gendarmerie n’y parvint qu’avec l’aide de ses hommes, puis il revint se placer près de Guespin, estimant qu’il ne serait pas prudent de laisser seul, avec des gens sans armes, un si dangereux malfaiteur.
Hélas! il n’était guère redoutable en ce moment, le misérable. La réaction venait, son énergie surexcitée s’affaissait comme la flamme d’une poignée de paille, ses muscles tendus outre mesure devenaient flasques, et sa prostration ressemblait à l’agonie d’un accès de fièvre cérébrale.
Pendant ce temps, le brigadier rendait compte des événements.
– Quelques domestiques du château et des habitations voisines péroraient devant la grille, racontant les crimes de la nuit et la disparition de Guespin, la veille au soir, lorsque tout à coup on l’avait aperçu au bout du chemin, qui arrivait, la démarche chancelante et chantant à pleine gorge comme un homme ivre.
– Était-il vraiment ivre? demanda M. Domini.
– Ivre perdu, monsieur, répondit le brigadier.
– Ce serait donc le vin qui nous l’aurait livré, murmura le juge d’instruction, et ainsi tout s’expliquerait.
– En apercevant ce scélérat, poursuivit le gendarme, pour qui la culpabilité de Guespin ne semblait pas faire l’ombre d’un doute, François, le valet de chambre de feu monsieur le comte, et le domestique de monsieur le maire, Baptiste, qui se trouvaient là, se sont précipités à sa rencontre et l’ont empoigné. Il était si soûl, qu’ayant tout oublié, il croyait qu’on voulait lui faire une farce. La vue d’un de mes hommes l’a dégrisé. À ce moment, une des femmes lui a crié: – «Brigand! c’est toi, qui, cette nuit, as assassiné le comte et la comtesse!» Aussitôt, il est devenu plus pâle que la mort, il est resté immobile, béant, comme assommé, quoi! Puis, subitement, il s’est mis à se débattre si vigoureusement que sans moi il s’échappait. Ah! il est fort, le gredin, sans en avoir l’air!
– Et il n’a rien dit? demanda le père Plantat.
– Pas un mot, monsieur; il avait les dents si bien serrées par la rage, qu’il n’eût pu, j’en suis sûr, dire seulement: pain. Enfin, nous le tenons. Je l’ai fouillé, et voici ce que j’ai trouvé dans ses poches: un mouchoir, une serpette, deux petites clés, un chiffon de papier couvert de chiffres et de signes, et une adresse du magasin des Forges de Vulcain. Mais ce n’est pas tout…
Le brigadier fit une pose regardant les auditeurs d’un air mystérieux; il préparait son effet.
– Ce n’est pas tout. Pendant qu’on le tirait, dans la cour, il a essayé de se débarrasser de son porte-monnaie. Moi, j’ouvrais l’œil heureusement et j’ai vu le coup à temps. J’ai ramassé le porte-monnaie qui était tombé dans les massifs de fleurs près de la porte, et le voici. Il y a dedans un billet de cent francs, trois louis et sept francs de monnaie. Or, hier, le brigand n’avait pas le sou…
– Comment savez-vous cela? demanda M. Courtois.
– Dame! monsieur le maire, il avait emprunté à François, le valet de chambre, qui me l’a dit, vingt-cinq francs, soi-disant pour payer son écot à la noce.
– Qu’on fasse venir François, commanda le juge d’instruction.
Et dès que le valet de chambre parut:
– Savez-vous, lui demanda-t-il brusquement, si Guespin avait de l’argent hier?
– Il en avait si peu, monsieur, répondit sans hésiter le domestique, qu’il m’a demandé vingt-cinq francs dans la journée en me disant que, si je ne les lui prêtais pas, il ne pouvait venir à la noce, n’ayant même pas de quoi payer le chemin de fer.
– Mais il pouvait avoir des économies, un billet de cent francs, par exemple, qu’il lui répugnait de changer.
François secoua la tête, avec un sourire incrédule.
– Guespin n’est pas homme à avoir des économies, prononça-t-il. Les femmes et les cartes lui mangent tout. Pas plus tard que la semaine passée, le cafetier du Café du Commerce est venu lui faire une scène pour ce qu’il doit et l’a même menacé de s’adresser à monsieur le comte.
Et, s’apercevant de l’effet produit par sa déposition, bien vite le valet de chambre ajouta, en manière de correctif:
– Ce n’est pas que j’en veuille aucunement à Guespin; je l’avais même toujours, jusqu’à aujourd’hui, considéré comme un bon garçon, bien qu’aimant trop la gaudriole; il était peut-être un peu fier, vu son éducation…
– Vous pouvez vous retirer, dit le juge d’instruction, coupant court aux appréciations de M. François.
Le valet de chambre sortit.
Pendant ce temps, Guespin peu à peu était revenu à lui. Le juge d’instruction, le père Plantat et le maire épiaient curieusement ses impressions sur sa physionomie qu’il ne devait point songer à composer, pendant que le docteur Gendron lui tenait le pouls et comptait ses pulsations.
– Le remords et la frayeur du châtiment! murmura le maire.
– L’innocence et l’impossibilité de la démontrer! répondit à voix basse le père Plantat.
Le juge d’instruction recueillit ces deux exclamations, mais il ne les releva pas. Ses convictions n’étaient pas formées, et il ne voulait pas, lui, le représentant de la loi, le ministre du châtiment, laisser, par un mot, préjuger ses sentiments.
– Vous sentez-vous mieux, mon ami? demanda le docteur Gendron à Guespin.
Le malheureux fit signe que oui. Puis, après avoir jeté autour de lui les regards anxieux de l’homme qui sonde le précipice où il est tombé, il passa les mains sur ses yeux et demanda:
– À boire.
On lui apporta un verre d’eau, et il le but d’un trait avec une expression de volupté indéfinissable. Alors, il se leva.
– Êtes-vous maintenant en état de me répondre? lui demanda le juge.
Chancelant d’abord, Guespin s’était redressé. Il se tenait debout en face du juge, s’appuyant au dossier d’un meuble. Le tremblement nerveux de ses mains diminuait, le sang revenait à ses joues, tout en répondant, il réparait le désordre de ses vêtements.
– Vous savez, commença le juge, les événements de cette nuit? Le comte et la comtesse de Trémorel ont été assassinés. Parti hier avec tous les domestiques du château, vous les avez quittés à la gare de Lyon, vers neuf heures, vous arrivez