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Renardet eut dans le ventre un bruit singulier; puis il poussa une sorte d'éternuement bruyant qui lui sortait en même temps par le nez et par la bouche; et, tirant son mouchoir de sa poche, il se mit à pleurer dedans, toussant, sanglotant et se mouchant avec bruit. Il balbutiait: «Cré… cré… cré… cré nom de Dieu de cochon qui a fait ça… Je… je… voudrais le voir guillotiner…»

      Mais Principe reparut, l'air désolé et les mains vides. Il murmura: «Je ne trouve rien, m'sieu le maire, rien de rien nulle part.»

      L'autre, effaré, répondit d'une voix grasse, noyée dans les larmes: «Qu'est-ce que tu ne trouves pas?

      – Les hardes de la petite.

      – Eh bien… eh bien… cherche encore… et… et… trouve-les… ou… tu auras affaire à moi.

      L'homme, sachant qu'on ne résistait pas au maire, repartit d'un pas découragé en jetant sur le cadavre un coup d'œil oblique et craintif.

      Des voix lointaines s'élevaient sous les arbres, une rumeur confuse, le bruit d'une foule qui approchait; car Médéric, dans sa tournée, avait semé la nouvelle de porte en porte. Les gens du pays, stupéfaits d'abord, avaient causé de ça dans la rue, d'un seuil à l'autre; puis ils s'étaient réunis; ils avaient jasé, discuté, commenté l'événement pendant quelques minutes; et maintenant ils s'en venaient pour voir.

      Ils arrivaient par groupes, un peu hésitants et inquiets, par crainte de la première émotion. Quand ils aperçurent le corps, ils s'arrêtèrent, n'osant plus avancer et parlant bas. Puis ils s'enhardirent, firent quelques pas, s'arrêtèrent encore, avancèrent de nouveau, et ils formèrent bientôt autour de la morte, de sa mère, du médecin et de Renardet, un cercle épais, agité et bruyant qui se resserrait sous les poussées subites des derniers venus. Bientôt ils touchèrent le cadavre. Quelques-uns même se baissèrent pour le palper. Le médecin les écarta. Mais le maire, sortant brusquement de sa torpeur, devint furieux, et, saisissant la canne du docteur Labarbe, il se jeta sur ses administrés en balbutiant: «Foutez-moi le camp… foutez-moi le camp… tas de brutes… foutez-moi le camp…» En une seconde le cordon de curieux s'élargit de deux cents mètres.

      La Roque s'était relevée, retournée, assise, et elle pleurait maintenant dans ses mains jointes sur sa face.

      Dans la foule, on discutait la chose; et des yeux avides de garçons fouillaient ce jeune corps découvert. Renardet s'en aperçut, et, enlevant brusquement sa veste de toile, il la jeta sur la fillette qui disparut tout entière sous le vaste vêtement.

      Les curieux se rapprochaient doucement; la futaie s'emplissait de monde; une rumeur continue de voix montait sous le feuillage touffu des grands arbres.

      Le maire, en manches de chemise, restait debout, sa canne à la main, dans une attitude de combat. Il semblait exaspéré par cette curiosité du peuple et répétait: «Si un de vous approche, je lui casse la tête comme à un chien.»

      Les paysans avaient grand'peur de lui; ils se tinrent au large. Le docteur Labarbe, qui fumait, s'assit à côté de la Roque, et il lui parla, cherchant à la distraire. La vieille femme aussitôt ôta ses mains de son visage et elle répondit avec un flux de mots larmoyants, vidant sa douleur dans l'abondance de sa parole. Elle raconta toute sa vie, son mariage, la mort de son homme, piqueur de bœufs, tué d'un coup de corne, l'enfance de sa fille, son existence misérable de veuve sans ressources avec la petite. Elle n'avait que ça, sa petite Louise; et on l'avait tuée; on l'avait tuée dans ce bois. Tout d'un coup, elle voulut la revoir, et, se traînant sur les genoux jusqu'au cadavre, elle souleva par un coin le vêtement qui le couvrait; puis elle le laissa retomber et se remit à hurler. La foule se taisait, regardant avidement tous les gestes de la mère.

      Mais, soudain, un grand remous eut lieu; on cria: «Les gendarmes, les gendarmes!»

      Deux gendarmes apparaissaient au loin, arrivant au grand trot, escortant leur capitaine et un petit monsieur à favoris roux, qui dansait comme un singe sur une haute jument blanche.

      Le garde champêtre avait justement trouvé M. Putoin, le juge d'instruction, au moment où il enfourchait son cheval pour faire sa promenade de tous les jours, car il posait pour le beau cavalier, à la grande joie des officiers.

      Il mit pied à terre avec le capitaine, et serra les mains du maire et du docteur, en jetant un regard de fouine sur la veste de toile que gonflait le corps couché dessous.

      Quand il fut bien au courant des faits, il fit d'abord écarter le public que les gendarmes chassèrent de la futaie, mais qui reparut bientôt dans la prairie, et forma haie, une grande haie de têtes excitées et remuantes tout le long de la Brindille, de l'autre côté du ruisseau.

      Le médecin, à son tour, donna des explications que Renardet écrivait au crayon sur son agenda. Toutes les constatations furent faites, enregistrées et commentées sans amener aucune découverte. Maxime aussi était revenu sans avoir trouvé trace des vêtements.

      Cette disparition surprenait tout le monde, personne ne pouvant l'expliquer que par un vol; et, comme ces guenilles ne valaient pas vingt sous, ce vol même était inadmissible.

      Le juge d'instruction, le maire, le capitaine et le docteur s'étaient mis eux-mêmes à chercher deux par deux, écartant les moindres branches le long de l'eau.

      Renardet disait au juge: «Comment se fait-il que ce misérable ait caché ou emporté les hardes et ait laissé ainsi le corps en plein air, en pleine vue?»

      L'autre, sournois et perspicace, répondit: «Hé! hé!» Une ruse peut-être? Ce crime a été commis ou par une brute ou par un madré coquin. Dans tous les cas, nous arriverons bien à le découvrir.»

      Un roulement de voiture leur fit tourner la tête. C'étaient le substitut, le médecin et le greffier du tribunal qui arrivaient à leur tour. On recommença les recherches tout en causant avec animation.

      Renardet dit tout à coup: «Savez-vous que je vous garde à déjeuner?»

      Tout le monde accepta avec des sourires, et le juge d'instruction, trouvant qu'on s'était assez occupé, pour ce jour-là, de la petite Roque, se tourna vers le maire:

      – Je peux faire porter chez vous le corps, n'est-ce pas? Vous avez bien une chambre pour me le garder jusqu'à ce soir.

      L'autre se troubla, balbutiant: «Oui, non… non… A vrai dire, j'aime mieux qu'il n'entre pas chez moi… à cause… à cause de mes domestiques… qui… qui parlent déjà de revenants dans… dans ma tour, dans la tour du Renard… Vous savez… Je ne pourrais plus en garder un seul… Non… J'aime mieux ne pas l'avoir chez moi.»

      Le magistrat se mit à sourire: «Bon… Je vais le faire emporter tout de suite à Roüy, pour l'examen légal.» Et se tournant vers le substitut: «Je peux me servir de votre voiture, n'est-ce pas?

      – Oui, parfaitement.»

      Tout le monde revint vers le cadavre. La Roque maintenant, assise à côté de sa fille, lui tenait la main, et elle regardait devant elle, d'un œil vague et hébété.

      Les deux médecins essayèrent de l'emmener pour qu'elle ne vît pas enlever la petite; mais elle comprit tout de suite ce qu'on allait faire, et, se jetant sur le corps, elle le saisit à pleins bras. Couchée dessus elle criait: «Vous ne l'aurez pas, c'est à moi, c'est à moi à c't'heure. On me l'a tuée; j' veux la garder, vous l'aurez pas!»

      Tous les hommes, troublés et indécis, restaient debout autour d'elle. Renardet se mit à genoux pour lui parler: «Écoutez, la Roque, il le faut, pour savoir celui qui l'a tuée; sans ça on ne saurait pas; il faut bien qu'on le cherche pour le punir. On vous la rendra quand on l'aura trouvé, je vous le promets.»

      Cette raison ébranla la femme et une haine s'éveillant dans son regard affolé: «Alors on le prendra? dit-elle.»

      – Oui, je vous le promets.

      Elle se releva, décidée à laisser faire ces gens; mais le capitaine ayant murmuré: «C'est surprenant qu'on ne retrouve pas ses vêtements», une idée nouvelle qu'elle n'avait pas encore eue, entra brusquement dans sa tête de paysanne et elle demanda:

      – «Ous

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