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violemment agité, mais il était loin d’être calme. Il tremblait d’être poursuivi et rejoint, les précautions dont il s’entourait le prouvaient. Un malfaiteur ne prend pas plus de peine pour dépister la police lancée sur ses traces.

      Un fait positif aussi, c’est que, seule, je causais les transes incessantes de M. de Chalusse. Même, une fois je l’entendis délibérer avec son valet de chambre si on ne m’habillerait pas en homme. La difficulté de se procurer un costume empêcha surtout l’exécution de ce projet.

      Pour ne négliger aucune circonstance, je dois dire que le domestique ne partageait pas les inquiétudes de son maître.

      A trois ou quatre reprises, je l’entendis qui disait:

      – M. le comte est trop bon de se faire ainsi du mauvais sang… Elle ne nous rattrapera pas… Nous a-t-elle seulement suivis?.. Sait-elle même quelque chose?.. Et, à tout mettre au pis, que peut-elle?..

      Elle!.. qui, elle?.. Voilà ce que je m’épuisais à chercher.

      Je dois, du reste, vous l’avouer, monsieur: positive de ma nature et peu accessible aux imaginations romanesques, je finissais par me persuader que le péril existait surtout dans l’esprit du comte, et qu’il se l’exagérait singulièrement s’il ne le créait pas.

      Il n’en souffrait pas moins, et la preuve c’est que le mois qui suivit fut employé en courses haletantes d’un bout à l’autre de l’Italie.

      Le mois de mai finissait quand M. de Chalusse crut pouvoir rentrer en France. Nous rentrâmes par le Mont-Cenis, et tout d’une traite nous allâmes jusqu’à Lyon.

      C’est là qu’après un séjour de quarante-huit heures employées en courses, le comte m’apprit que nous allions nous séparer pour un temps, que la prudence exigeait ce sacrifice…

      Et aussitôt, sans me laisser placer une parole, il entreprit de me démontrer les avantages de ce parti.

      J’étais d’une ignorance extrême, et il comptait que je profiterais de notre séparation pour hausser mon éducation au niveau de ma position sociale.

      Il avait donc arrangé, me dit-il, que j’entrerais comme pensionnaire aux dames de Sainte-Marthe, une maison d’éducation qui a dans le Rhône la célébrité du couvent des Oiseaux à Paris.

      Il ajouta que par prudence encore il se priverait de me venir visiter. Il me fit jurer de ne jamais prononcer son nom. Je devais envoyer les lettres que je lui écrirais à une adresse qu’il me donna, et lui-même signerait d’un nom supposé celles qu’il m’adresserait. Enfin, il me dit encore que la directrice de Sainte-Marthe avait son secret, et que je pouvais me fier à elle…

      Il était si inquiet, si agité, si visiblement désespéré le jour où cette grave détermination fut prise, que véritablement je le crus… fou.

      N’importe, je répondis que j’obéirais, et la vérité est que j’étais loin d’être affligée.

      L’existence, près de M. de Chalusse, était d’une tristesse mortelle. Je dépérissais d’ennui, moi toujours accoutumée au travail, au mouvement, au bruit. Et je me sentais tout émue de joie, à l’idée que j’allais me trouver au milieu de jeunes filles de mon âge que j’aimerais et qui m’aimeraient.

      Malheureusement, M. de Chalusse, qui prévoyait tout, avait oublié une circonstance qui devait faire des deux années que j’ai passées à Sainte-Marthe, une lente et cruelle agonie.

      Je fus d’abord amicalement accueillie de mes compagnes… Une «nouvelle» qui rompt la monotonie est toujours bien venue. Mais on ne tarda pas à me demander comment je m’appelais, et je n’avais d’autre nom à donner que celui de Marguerite… On s’étonna, on voulut savoir ce que faisaient mes parents… je ne sais pas mentir, j’avouai que je ne connaissais ni mon père ni ma mère…

      Dès lors, «la bâtarde,» on m’avait surnommée ainsi, fut reléguée à l’écart… On s’éloigna de moi pendant les récréations… Ce fut à qui ne serait pas placée près de moi à l’étude… à la leçon de piano, celle qui devait jouer après moi affectait d’essuyer soigneusement le clavier.

      Bravement, j’essayai de lutter contre cette réprobation injuste, et de la vaincre. Inutiles efforts!.. J’étais trop différente de toutes ces jeunes filles… D’ailleurs, j’avais commis une imprudence énorme… J’avais été assez simple pour laisser voir à mes compagnes les magnifiques bijoux dont M. de Chalusse m’avait comblée, et que je ne portais jamais… En deux occasions, j’avais prouvé que je disposais à moi seule de plus d’argent que toutes les élèves ensemble…

      Pauvre, on m’eût peut-être fait l’aumône d’une hypocrite pitié… Riche, je devins l’ennemie… Ce fut la guerre, et une de ces guerres sans merci comme il s’en voit parfois au fond des couvents…

      Je vous épouvanterais, monsieur, si je vous disais quels raffinements de cruauté inventèrent ces filles de hobereaux pour satisfaire la haine que leur inspirait l’intruse…

      Je pouvais me plaindre… je jugeais cela au-dessous de moi…

      Comme autrefois, je renfermai en moi le secret de mes souffrances, et je mis mon orgueil à ne montrer jamais qu’un visage placide et souriant, disant à mes ennemies que mon cœur planait si haut au-dessus d’elles, que je les défiais de l’atteindre.

      Le travail fut mon refuge et ma consolation; je m’y jetai avec l’âpreté du désespoir.

      Cependant je serais sans doute morte à Sainte-Marthe sans une circonstance futile.

      Un jour de composition, j’eus une discussion avec ma plus implacable ennemie: elle se nommait Anaïs de Rochecote.

      J’avais mille fois raison, je ne voulais pas céder, la directrice n’osait pas me donner tort.

      Furieuse, Anaïs écrivit à sa mère je ne sais quels mensonges. Mme de Rochecote intéressa les mères de cinq ou six élèves à la querelle de sa fille, et un soir, ces dames vinrent toutes ensemble, noblement et courageusement demander l’expulsion de «la bâtarde.» Il était inqualifiable, disaient-elles, inouï, monstrueux, qu’on osât admettre dans la maison d’éducation de leurs enfants, une fille comme moi, sans nom, issue on ne savait d’où, et qui, pour comble, humiliait les autres de ses richesses suspectes.

      La directrice voulut prendre mon parti; ces dames déclarèrent que si je n’étais pas renvoyée elles retireraient leurs filles… C’était à prendre ou à laisser…

      Je ne pouvais pas n’être pas sacrifiée…

      Prévenu par le télégraphe, M. de Chalusse accourut, et le lendemain même, je quittais Sainte-Marthe au milieu des huées!..

      X

      Déjà, le matin même, le juge de paix avait pu voir de quelle virile énergie le malheur avait trempé Mlle Marguerite, cette belle jeune fille si timide et si fière.

      Il n’en fut pas moins surpris de l’explosion soudaine de sa haine.

      Car elle haïssait. Le seul frémissement de sa voix, en prononçant le nom d’Anaïs de Rochecote, disait bien qu’elle était de ces âmes altières qui ne sauraient oublier une offense.

      Nulle trace ne restait de sa fatigue si grande: elle s’était redressée, et le souvenir de l’odieux et lâche affront dont elle avait été victime, empourprait sa joue et allumait des éclairs au fond de ses grands yeux noirs.

      – Cette atroce humiliation n’a guère plus d’un an de date, monsieur, reprit-elle, et maintenant il me reste peu de chose à vous apprendre.

      Mon expulsion de Sainte-Marthe transporta d’indignation M. de Chalusse. Il savait une chose que j’ignorais, c’est que Mme de Rochecote, cette femme si sévère et si intraitable, était absolument décriée pour ses mœurs…

      La première inspiration du comte fut de lutter et de se venger, car, avec ses apparences glaciales, il était la violence même. J’eus toutes les

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