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tu devrois avoir regret à ton temps et à ton argent. Aussi je te puis asseurer qu'il n'a pas esté fait seulement pour divertir, mais que son premier dessein a esté d'instruire. Comme il y a des médecins qui purgent avec des potions agréables, il y a aussi des livres plaisans qui donnent des advertissemens fort utiles. On sçait combien la morale dogmatique est infructueuse; on a beau prescher les bonnes maximes, on les suit encore avec plus de peine qu'on ne les écoute. Mais quand nous voyons le vice tourné en ridicule, nous nous en corrigeons, de peur d'estre les objets de la risée publique. Ce qu'on pourroit trouver à redire au present que je te fais, c'est qu'il n'y est parlé que de bagatelles, et qu'il n'instruit que de choses peu importantes. Mais il faut considerer qu'il n'y a que trop de predicateurs qui exhortent aux grandes vertus et qui crient contre les grands vices, et il y en a tres-peu qui reprennent les défauts ordinaires, qui sont d'autant plus dangereux qu'ils sont plus frequens: car on y tombe par habitude, et personne presque ne s'en donne de garde. Ne voit-on pas tous les jours une infinité d'esprits bourus, d'importuns, d'avares, de chicaneurs, de fanfarons, de coquets et de coquettes? Cependant y a-il quelqu'un qui les oze advertir de leurs defauts et de leurs sottises, si ce n'est la comédie ou la satyre? Celles-cy, laissant aux docteurs et aux magistrats le soin de combattre les crimes, s'arrestent à corriger les indecences et les ridiculitez, s'il est permis d'user de ce mot. Elles ne sont pas moins necessaires, et sont souvent plus utiles que tous les discours sérieux. Et, comme il y a plusieurs personnes qui se passent de professeurs de philosophie, qui n'ont pu se passer de maistres d'escoles, de mesme on a plus de besoin de censeurs des petites fautes, où tout le monde est sujet, que des grandes, où ne tombent que les scelerats. Le plaisir que nous prenons à railler les autres est ce qui fait avaller doucement cette medecine qui nous est si salutaire. Il faut pour cela que la nature des histoires et les caracteres des personnes soient tellement appliqués à nos mœurs, que nous croyions y reconnoistre les gens que nous voyons tous les jours. Et comme un excellent portrait nous demande de l'admiration, quoy que nous n'en ayons point pour la personne dépeinte, de même on peut dire que des histoires fabuleuses bien décrites et sous des noms empruntez, font plus d'impression sur notre esprit que les vrais noms et les vrayes adventures ne sçauroient faire. C'est ainsi que celui qui contrefait le bossu devant un autre bossu luy fait bien mieux sentir son fardeau que la veuë d'un autre homme qui auroit une pareille incommodité. C'est ainsi que l'histoire fabuleuse de Lucrece, que tu verras dans ce livre, a guery, à ce qu'on m'a asseuré, une fille fort considerable de la ville de l'amour qu'elle avoit pour un marquis, dont la conclusion, selon toutes les apparences, eust esté semblable. Voilà comment, Lecteur, je te donne des drogues éprouvées. Toute la grace que je te demande, c'est qu'après t'avoir bien adverty qu'il n'y a rien que de fabuleux dans ce livre, tu n'ailles point rechercher vainement quelle est la personne dont tu croiras reconnoistre le portrait ou l'histoire, pour l'appliquer à monsieur un tel ou à mademoiselle une telle, sous prétexte que tu y trouveras un nom approchant ou quelque caractère semblable. Je sçais bien que le premier soin que tu auras en lisant ce roman, ce sera d'en chercher la clef; mais elle ne te servira de rien, car la serrure est mêlée. Si tu crois voir le portrait de l'un, tu trouveras les adventures de l'autre: il n'y a point de peintre qui, en faisant un tableau avec le seul secours de son imagination, n'y fasse des visages qui auront de l'air de quelqu'un que nous connaissons, quoy qu'il n'ait eu dessein que de peindre des heros fabuleux. Ainsi, quand tu appercevrois dans ces personnages dépeints quelques caracteres de quelqu'un de ta connoissance, ne fay point un jugement temeraire pour dire que ce soit luy; prends plustost garde que, comme il y a icy les portraits de plusieurs sortes de sots, tu n'y rencontres le tien: car il n'y a presque personne qui ait le privilege d'en estre exempt, et qui n'y puisse remarquer quelque trait de son visage, moralement parlant. Tu diras peut-estre que je ne parle point en libraire, mais en autheur; aussi la verité est-elle que tout ce que je t'ay dit a esté tiré d'une longue preface que l'autheur mesme avoit mise au devant du livre. Mais le mal-heur a voulu qu'ayant esté fait il y a long-temps par un homme qui s'est diverty à le composer en sa plus grande jeunesse, il luy est arrivé tous les accidens à quoy les premiers fueillets d'une vieille coppie sont sujets. Et, comme maintenant ses occupations sont plus sérieuses, cet ouvrage n'auroit jamais veu le jour si l'infidelité de quelques-uns à qui il l'avoit confié ne l'avoit fait tomber entre mes mains: C'est pourquoy je ne t'ay pû donner la preface entière; j'en ay tiré ce que j'ay pû, aussi bien que de plusieurs autres endroits du livre, que j'ay fait accommoder à ma maniere. J'en ay fait oster ce que j'y ai trouvé de trop vieux, j'y ay fait adjoûter quelque chose de nouveau pour le mettre à la mode. Si tu y trouves du goust, je feray r'ajuster de mesme la suite, dont je te feray un pareil present, si tu as agreable de le bien payer.

      LIVRE PREMIER

      Je chante les amours et les advantures de plusieurs bourgeois de Paris, de l'un et de l'autre sexe; et ce qui est de plus merveilleux, c'est que je les chante, et si je ne sçay pas la musique. Mais puisqu'un roman n'est rien qu'une poésie en prose, je croirois mal débuter si je ne suivois l'exemple de mes maistres, et si je faisois un autre exorde: car, depuis que feu Virgile a chanté Ænée et ses armes, et que le Tasse, de poëtique memoire, a distingué son ouvrage par chants, leurs successeurs, qui n'estoient pas meilleurs musiciens que moy, ont tous repeté la mesme chanson, et ont commencé d'entonner sur la mesme notte. Cependant je ne pousseray pas bien loin mon imitation; car je ne feray point d'abord une invocation des muses, comme font tous les poëtes au commencement de leurs ouvrages, ce qu'ils tiennent si necessaire, qu'ils n'osent entreprendre le moindre poëme sans leur faire une priere, qui n'est gueres souvent exaucée. Je ne veux point faire aussi de fictions poëtiques, ny écorcher l'anguille par la queue, c'est à dire commencer mon histoire par la fin, comme font tous ces messieurs, qui croyent avoir bien r'affiné pour trouver le merveilleux et le surprenant quand ils font de cette sorte le recit de quelque avanture. C'est ce qui leur fait faire le plus souvent un long galimathias, qui dure jusqu'à ce que quelque charitable escuyer ou confidente viennent éclaircir le lecteur des choses precedentes qu'il faut qu'il sçache, ou qu'il suppose, pour l'intelligence de l'histoire.

      Au lieu de vous tromper par ces vaines subtilitez, je vous raconteray sincerement et avec fidelité plusieurs historiettes ou galanteries arrivées entre des personnes qui ne seront ny heros ny heroïnes, qui ne dresseront point d'armées, ny ne renverseront point de royaumes, mais qui seront de ces bonnes gens de mediocre condition, qui vont tout doucement leur grand chemin, dont les uns seront beaux et les autres laids, les uns sages et les autres sots; et ceux-cy ont bien la mine de composer le plus grand nombre. Cela n'empeschera pas que quelques gens de la plus haute vollée ne s'y puissent reconnoître, et ne profitent de l'exemple de plusieurs ridicules dont ils pensent estre fort éloignez. Pour éviter encore davantage le chemin battu des autres, je veux que la scène de mon roman soit mobile, c'est à dire tantost en un quartier et tantost en un autre de la ville; et je commenceray par celuy qui est le plus bourgeois, qu'on appelle communément la place Maubert.

      Un autre autheur moins sincère, et qui voudroit paroistre éloquent, ne manqueroit jamais de faire icy une description magnifique de cette place. Il commenceroit son éloge par l'origine de son nom; il diroit qu'elle a esté annoblie par ce fameux docteur Albert le Grand, qui y tenoit son écolle, et qu'elle fut appelée autrefois la place de Me Albert, et, par succession de temps, la place Maubert. Que si, par occasion, il écrivoit la vie et les ouvrages de son illustre parrain, il ne seroit pas le premier qui auroit fait une digression aussi peu à propos. Après cela il la bâtiroit superbement selon la dépense qu'y voudroit faire son imagination. Le dessein de la place Royalle ne le contenterait pas; il faudroit du moins qu'elle fût aussi belle que celle où se faisoient les carrousels, dans la galente et romanesque ville de Grenade. N'ayez pas peur qu'il allast vous dire (comme il est vray) que c'est une place triangulaire, entourée de maisons fort communes pour loger de la bourgeoisie; il se pendroit plûtost qu'il ne la fist quarrée, qu'il ne changeast toutes les boutiques en porches et galleries, tous les aulvens en balcons, et toutes les chaines de pierre de taille en beaux pilastres. Mais quand il viendroit à décrire l'église des Carmes, ce seroit lors que l'architecture joüerait son jeu, et auroit peut-estre beaucoup à souffrir. Il vous feroit voir un temple aussi beau que celuy de Diane d'Ephese; il le feroit soûtenir par cent colomnes corinthiennes; il rempliroit les niches de statues faites de la main de Phidias ou de Praxitelle; il raconterait les histoires figurées dans les bas reliefs; il feroit l'autel de jaspe et de porphire; et, s'il

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