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lui: laid, petit, ratatiné, cagneux, une figure à gifles avec un pince-nez… un singe, quoi!

      Quand Toto-Chupin raconte, le mieux est de le laisser aller. C'est au moins le plus court pour obtenir les renseignements qu'on désire.

      Pourtant, le vieux clerc d'huissier s'impatienta.

      Qu'est-il arrivé ensuite? demanda-t-il.

      – Pas grand'chose. Mon individu n'avait pas l'air content du tout, de faire le pied de grue. Pauvre ami!.. Il allait de ci et de là, sur le trottoir, il faisait des moulinets avec sa badine et dévisageait les femmes. Dieu qu'il me déplaît, ce cocodès! Si jamais il vous prend envie de lui repasser une bonne volée, bourgeois, je suis votre homme. Je l'ai toisé, il n'est pas moitié si fort que moi.

      – Mais va donc Chupin, va donc.

      – Bon, j'y suis! Donc, il était là, c'est-à-dire, nous étions là, depuis une grande demi-heure, quand tout à coup une femme tourne la rue et vient droit au cocodès. Ah! bourgeois, la belle fille! Non, de votre vie, vous n'avez rien vu de si admirable. Moi, j'en suis resté ébloui. Mois quelle misère! Ils se sont mis à parler tout bas.

      – Et tu n'as rien entendu?

      – Pour qui me prenez-vous, bourgeois?.. La belle fille a dit: « – C'est entendu, à demain.» Le cocodès a demandé: « – Bien vrai?» Et elle a répondu: « – Oui, parole d'honneur, vers midi.» Là-dessus ils se sont quittés, elle a regagné la rue de la Huchette, lui est remonté dans sa voiture, et fouette cocher!.. En voilà pour cent sous, bourgeois!

      La réclamation ne parut nullement choquer le vieux clerc d'huissier.

      Il tira de sa poche une pièce de cinq francs et la remit au précoce vaurien en disant:

      – Chose promise, chose due. Mais souviens-toi de ma prédiction, Chupin, tu finiras mal. Sur quoi, bonsoir, nous ne suivons pas le même chemin.

      Pendant un moment encore, le père Tantaine resta en place, observant Toto qui s'éloignait dans la direction du Jardin des Plantes, et c'est seulement lorsqu'il l'eût perdu de vue, qu'il revint sur ses pas et s'engagea sur le pont.

      Il marchait fort vite et semblait aussi satisfait que possible.

      – Voilà qui va bien, murmurait-il, je n'ai pas perdu ma journée. J'ai tout prévu, même l'improbable. Flavie sera contente.

      II

      C'est rue Montorgueil, à quelques pas du passage de la Reine-de-Hongrie, qu'est situé l'établissement du puissant ami du père Tantaine, M. B. Mascarot.

      B. Mascarot est directeur d'un bureau de placement pour employés et domestiques des deux sexes.

      Deux grands tableaux, accrochés de chaque côté de la porte de la maison, apprennent aux intéressés les demandes et les offres de la journée, et annoncent aux passants que l'agence, fondée en 1844, est encore régie par son fondateur.

      C'est sans nul doute à ce long exercice d'une profession ordinairement ingrate, que M. B. Mascarot doit sa réputation et la grande considération dont il jouit, non seulement dans son quartier, mais encore dans tout Paris.

      Les maîtres, assure-t-on, n'ont jamais eu à se plaindre d'un serviteur garanti par lui.

      Parmi les domestiques, il est avéré qu'il ne procure que des places où on a toutes les douceurs de la vie.

      Les employés, enfin, savent très bien que, grâce à ses connaissances, grâce à ses nombreuses relations et ramifications partout, il a toujours un bon emploi au service de qui sait lui plaire.

      B. Mascarot a d'autres titres à l'estime publique.

      C'est lui qui, le premier, vers 1845, conçut le projet d'organiser en société les «gens de maison». On s'est emparé depuis de son idée et de son programme, mais il n'a pas réclamé.

      Il s'est consolé en prenant un associé, un sieur Beaumarchef, et en installant dans la maison même de son agence un hôtel garni où les domestiques sans place trouvent à crédit le logement et la nourriture.

      Si ces diverses entreprises ont servi la société, elles ont aussi profité à B. Mascarot.

      Il est propriétaire pour partie, – on dit pour un quart, – de la maison qu'il occupe.

      Eh bien! c'est devant cette maison, qu'à midi, l'heure convenue, était arrêté Paul Violaine.

      Il avait utilisé les cinq cents francs de son vieux voisin, et un confectionneur lui avait improvisé une élégance qui n'était pas de trop mauvais goût.

      Même, il était si bien, sous ses nouveaux vêtements, que les femmes qui passaient se retournaient pour le voir encore.

      Lui n'y prenait garde. Il avait réfléchi depuis la veille, et maintenant, il se prenait à douter beaucoup du pouvoir de cet inconnu, qui, selon l'expression du père Tantaine, pour faire la fortune de quelqu'un n'avait qu'à le vouloir.

      – Un placeur! murmurait-il; sûrement il va me proposer quelque emploi de cent francs par mois!

      Cependant, il était un peu ému, et avant d'entrer il étudiait la maison, comme si elle eût pu lui apprendre quelque chose de celui qui l'habitait.

      Elle ressemblait à toutes les autres, avec ses deux corps de logis séparés par une cour mal tenue.

      Le bureau de placement et l'hôtel étaient au fond.

      Sous la porte cochère, l'encombrant de ses ustensiles, était un marchand de marrons, un jeune drôle à l'air insolent.

      – Allons, se dit Paul, rester ici ne m'avance à rien, il faut voir.

      Il traversa donc résolument la cour, monta un escalier en face, et arrivé au premier étage, voyant sur une porte le mot: Bureaux, il frappa.

      – Entrez?.. cria une grosse voix.

      La porte n'était pas fermée, mais seulement maintenue par un poids glissant au bout d'une corde. Paul n'eut qu'à pousser.

      La pièce où il pénétra ressemblait à tous les bureaux de placement de Paris.

      Tout autour, régnait un large banc de chêne noirci et poli par l'usage. Au fond, se trouvait une manière de loge grillée, entourée d'un rideau de serge verte, que dans la clientèle on appelait le confessionnal.

      Entre les deux fenêtres, sur une plaque de zinc, on lisait:

AVISL'INSCRIPTION EST PAYABLE D'AVANCE

      Dans un des angles de la pièce, un monsieur était assis devant une grande table, et, tout en écrivant sur un énorme registre, il donnait audience à une femme debout.

      – Monsieur Mascarot? demanda Paul timidement.

      – Que lui voulez-vous? fit le monsieur sans saluer; s'agit-il d'une affaire? je le remplace; désirez-vous vous faire inscrire? nous avons en ce moment trois tenues de livres, une caisse, une correspondance, six emplois de ville. Vous avez de bonnes références?..

      On eût juré que le monsieur récitait le tableau des offres accroché à la porte.

      – Pardon, interrompit Paul, je voudrais parler à M. Mascarot lui-même; je lui suis envoyé par un de ses amis.

      Cette simple déclaration parut impressionner le monsieur. Il quitta son air rogue, et c'est presque poliment qu'il dit à Paul:

      – Mon associé est en conférence, monsieur, mais il sera libre bientôt; prenez la peine de vous asseoir.

      Paul prit place sur le banc et, faute de mieux, se mit à examiner l'associé.

      Grand, robuste, éclatant de santé, cet associé porte les cheveux courts et, sous un nez odieusement busqué, il étale une paire de moustaches farouches, longues, lustrées, cirées, terminées en pointe.

      Ton, tenue, cheveux, moustaches, décèlent l'homme qui tient à ce que chacun sache bien qu'il a été militaire.

      Il a servi, en effet, assure-t-il dans la cavalerie. C'est même au régiment qu'il

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