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Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Les esclaves de Paris
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Belle personne… remarqua le père Tantaine, avec l'accent d'un connaisseur, très belle… Et quelle intelligence! Ah! si elle est bien conseillée, elle ira loin!..
Paul ne releva pas l'observation. Il recueillait ses idées en déroute. Maintenant qu'il n'était plus sous l'obsession du regard de Rose, la frayeur le prenait.
Il trouvait à la physionomie de ce soi-disant clerc d'huissier quelque chose de singulier et d'inquiétant.
Où a-t-on vu jamais des vieux de cette espèce jetant des 500 francs à la tête des gens? Pour sûr, cette générosité devait cacher quelque mystère et lui, Paul, il allait peut-être se trouver compromis.
– Toutes réflexions faites, monsieur, reprit-il résolument, accepter de vous une telle somme ne serait pas délicat de ma part. Qui sait si je pourrai jamais m'acquitter.
– Bon! voici que vous doutez de vous, maintenant. Ce n'est pas le moyen de réussir. Si vous avez échoué, jusqu'ici, c'est que l'expérience vous manquait. Désormais, vous saurez comment vous y prendre. La misère, mon enfant, forme les hommes, de même que la paille mûrit les nèfles. D'abord, moi, j'ai confiance en vous. Ces 500 francs, vous me les rendrez quand vous voudrez, je ne suis pas pressé, seulement vous me donnerez six pour cent, et vous allez me souscrire un billet.
– Comme cela, balbutia Paul…
– Conclu!.. c'est un placement.
Paul n'était qu'un pauvre niais. Cette perspective de billet suffisait à le rassurer, comme si sa signature au bas d'un papier timbré eût pu servir à autre chose qu'à enlever à ce papier la valeur qu'il avait étant blanc.
De son côté, le père Tantaine, explorant de nouveau sa poche, en tirait une feuille de papier timbré qui s'y trouvait tout à point.
– Écrivez, dit-il: «Au huit juin prochain, je paierai, à l'ordre de M. Tantaine, etc…»
Le jeune homme terminait le parafe de sa signature lorsque Rose reparut, les bras chargés de provisions.
Elle était radieuse comme si un événement extraordinairement heureux fût survenu dans sa vie; ses yeux avait une expression étrange.
Mais Paul ne remarqua rien de cela. Il observait le vieux clerc d'huissier qui, après avoir relu le billet, le serrait aussi précieusement qu'une valeur de premier ordre.
– Il est bien entendu, monsieur, reprit-il enfin, que la date n'est qu'une formalité. Il n'est pas probable que d'ici quatre mois je puisse économiser ce que je vous dois.
Le père Tantaine eut un bon sourire.
– Que diriez-vous, prononça-t-il, si après vous avoir prêté ces 500 francs, je vous mettais à même de me les rendre avant un mois?
– Quoi! monsieur, vous pourriez!..
– Par moi-même, mon enfant, je ne puis rien, cela se voit. Mais j'ai un ami qui a le bras long. Ah! si je l'avais écouté, autrefois, je ne serais pas à l'hôtel du Pérou. Enfin!.. Voulez-vous aller le trouver de ma part?
– Si je le veux! Mais je serais un fou de repousser cette occasion qui se présente.
– Eh bien! je vais voir mon ami ce soir même, je lui parlerai de vous. Soyez chez lui demain à midi précis. Si vous lui plaisez, s'il s'occupe de vous votre fortune est faite.
Il tira de sa poche une carte et la présentant à Paul, il ajouta:
– Mon ami se nomme Mascarot et voici son adresse.
Cependant Rose, avec cette merveilleuse dextérité qui semble être un privilège de la Parisienne, accoutumée à se mouvoir dans un petit espace, avait tiré l'ordre du chaos et terminé ses préparatifs.
La table était dressée, table digne du taudis avec ses tessons ébréchés et ses papiers en guise de plats; un bon feu flambait dans la cheminée, et deux bougies éclairaient la scène, fichées, l'une dans le chandelier bossué de l'hôtel, l'autre dans une bouteille fêlée.
Ce spectacle superbe pour des yeux de vingt ans, remplissait Paul de satisfaction. Les affaires sérieuses étaient finies, les pressentiments sombres s'étaient envolés.
– A table!.. s'écria-t-il, à table!.. Voici enfin le dîner qui sera le déjeûner. Allons, Rose, à ton poste. Et vous, mon cher voisin, vous allez, je l'espère, nous faire le plaisir de partager le repas que nous vous devons.
Mais le père Tantaine, bien qu'un tel festin fût fait pour le tenter et le séduire, ainsi qu'il le confessa, s'excusa avec beaucoup de protestations de regrets.
Il n'avait pas grand'faim, assura-t-il, puis il avait pour cinq heures et demie un rendez-vous de la dernière importance à l'autre bout de Paris.
– Enfin, dit-il à Paul, il est indispensable que je voie Mascarot ce soir. Je dois le prévenir, le disposer en votre faveur.
Rose, assurément, ne tenait pas à la compagnie du bonhomme. Laid, malpropre, misérable, il lui inspirait un sentiment de dégoût dont ne triomphait pas la reconnaissance.
Puis, bien qu'on ne vit pas ses yeux, elle devinait instinctivement, sous les verres foncés de ses lunettes, un regard aigu et subtil, très capable de lire au fond de sa pensée.
Ce qui n'empêche que se faisant chatte et câline autant qu'il était en son pouvoir, elle joignit ses instances à celles de Paul pour garder leur ami.
Mais il fut inébranlable, et après avoir, une fois encore, rappelé à Paul qu'il devait être exact, le lendemain, à midi, il sortit en criant de sa meilleure voix, aux jeunes gens qui venaient de s'attabler:
– Au revoir! bon appétit!
Seulement, une fois dehors, sur le palier, la porte refermée, le père Tantaine s'arrêta, s'appuyant à la rampe grossière, écoutant.
Les tourtereaux, comme il les appelait, étaient d'une gaieté folle, et les éclats de leurs voix jeunes et fraîches emplissaient le dernier étage de l'hôtel du Pérou.
Pourquoi non? Paul après des angoisses affreuses, trouvait une sécurité relative; il avait en poche l'adresse d'un homme qui devait faire sa fortune; enfin, sur le coin de la cheminée brillait la monnaie du billet de cinq cents francs, un de ces tas d'or qui, au temps des riantes illusions, semblent inépuisables.
Quant à Rose, elle ne pouvait cesser de s'égayer au sujet de ce vieux clerc d'huissier, qu'en dedans d'elle-même elle jugeait absolument idiot, et qu'elle trouvait du dernier grotesque.
– Courage, mes mignons, grommela le père Tantaine, courage! Ce pourrait bien être la dernière fois que vous riez ensemble.
Cela dit, avec les plus louables précautions, il descendit le raboteux escalier de l'hôtel du Pérou, que la Loupias n'éclaire que le dimanche, parce que le gaz, dame! cela coûte de l'argent.
Le père Tantaine ne sortit pas directement.
Ayant, par la petite porte vitrée de la loge des propriétaires de l'hôtel, aperçu la Loupias qui cuisinait sur son poêle des ragoûts de son pays, il entra, après avoir gratté timidement, saluant bas, en homme que la misère a accoutumé à toutes les rebuffades.
– Je viens pour vous payer ma quinzaine, madame, annonça-t-il tout d'abord.
Et en même temps il déposait sur le coin de la commode une pièce de dix francs et une pièce de vingt sous.
Puis, pendant que Loupias, qui sait écrire, lui confectionnait un reçu, il se mit à parler de ses affaires, racontant comme quoi il venait de recueillir un héritage inattendu, qui allait lui donner l'aisance sur ses vieux jours.
A l'appui de ses assertions, avec le naïf orgueil de la pauvreté qui craint de n'être pas crue sur parole, il montrait plusieurs billets de banque renfermés dans un portefeuille.
Ces chiffons produisirent si bien leur effet que, lorsque le bonhomme se retira, Loupias voulut à toute force le reconduire, sa lampe d'une