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on savait au juste quels services peuvent rendre ces verres de couleur derrière lesquels s'abritent et se cachent toutes les impressions, l'univers entier chausserait des lunettes bleues.

      Cependant le bon placeur voulut laisser à son protégé quelques minutes pour se remettre et aussi pour s'habituer à l'atmosphère tiède et trop chargée de parfums du salon.

      Mais, à la longue, voyant que Paul s'obstinait à rester le nez dans son gilet, légèrement, du coude, il lui poussa le bras.

      – C'est donc la première fois, lui dit-il à l'oreille, que vous voyez des femmes en grande toilette? Avez-vous peur?

      Paul fit un effort pour se redresser.

      – Regardez à droite, murmurait Mascarot, entre le piano et la fenêtre… c'est elle!

      Près de la fenêtre, à côté de sa femme de chambre, était assise une toute jeune fille qui paraissait avoir dix-huit ans à peine.

      Elle n'était pas aussi jolie que l'avait annoncé l'estimable placeur, mais sa beauté avait quelque chose de vif, d'étrange, d'inquiétant, même pour l'observateur.

      Elle était petite, mignonne, frêle en apparence et très brune.

      Ses traits manquaient de régularité, mais ses cheveux noirs et lumineux semblaient lancer des gerbes d'étincelles; ses yeux, d'un bleu sombre, avaient d'irrésistibles langueurs. La pourpre de ses lèvres un peu charnues affirmait les ardeurs du sang qui y affluait, aussi sûrement que son front bombé trahissait une opiniâtreté exagérée jusqu'à l'absurde.

      Tout, en elle, respirait la passion, ou plutôt elle paraissait être la passion même.

      Il fallut à Paul un appel énergique à sa volonté pour prendre sur lui de la regarder.

      Cependant, il osa: leurs yeux se rencontrèrent, et tous deux en même temps tressaillirent comme au choc de la même batterie électrique.

      Paul demeura immobile fasciné. Quant à la jeune fille, si violente fut son émotion, qu'elle se détourna brusquement, craignant d'être remarquée.

      Mais personne ne songeait à observer.

      La conversation avait repris son cours, et toutes les clientes du célèbre Van Klopen écoutaient avec une religieuse admiration une jeune dame aux airs évaporés qui décrivait une de ses dernières toilettes de bois.

      – C'était renversant, disait-elle, et il n'y a que Klopen pour des créations pareilles. Toutes ces demoiselles à calèches à huit ressorts étaient furieuses. Je tiens du marquis de Croisenois que Jenny Fancy en pleurait de rage. Imaginez trois jupes vertes, de nuances différentes, découpées et étagées…

      L'excellent Mascarot ne s'intéressait pas à la description.

      Il avait épié et il avait vu.

      Le frémissement des deux jeunes gens fit monter un sourire à ses lèvres flétries.

      – Eh bien? demanda-t-il à son protégé.

      Paul eut quelque peine à étouffer une exclamation d'admiration.

      – Adorable! murmura-t-il.

      – Et millionnaire!.. insista le placeur.

      – Elle n'aurait pas un sou qu'on serait encore fou d'elle.

      B. Mascarot toussa et éprouva le besoin de rajuster ses lunettes.

      – Maintenant, pensa-t-il, je te tiens, mon garçon! Que ton émotion soit feinte ou réelle, que tu adores la femme ou la dot, peu importe; tu passeras partout où je voudrai.

      Sur cette paternelle réflexion, il se pencha de nouveau vers son protégé.

      – Voulez-vous savoir son nom? souffla-t-il.

      – Oh! dites, je vous en prie.

      – Flavie.

      Paul était en extase. Il osait maintenant regarder la jeune fille, elle s'était un peu détournée et il pensait, oubliant le jeu des glaces, qu'elle ne pouvait le voir.

      La jeune dame ne tarissait toujours pas.

      – C'est navrant! disait-elle, ce qui arrive à cette pauvre comtesse de Luxé qui est un ange. Oui, mesdames, elle mettait des tirettes à ses jupes et faisait teindre ses robes. Elle économisait. Quelle duperie! Pendant ce temps, M. de Luxé faisait des folies pour une demoiselle des Bouffes. En apprenant cela, elle a failli mourir de douleur, et moi, j'ai juré que si mon mari est jamais ruiné, ce sera par moi et non par une autre.

      Elle s'interrompit.

      La porte du fond s'ouvrait avec fracas, et Van Klopen, en personne, apparaissait dans sa gloire.

      Il a cinq pieds et demi; il est large plus qu'à proportion; sa face rouge tient registre des petits verres qu'il boit; il a l'œil insolent, la voix doucereuse et le pur accent de Rotterdam.

      Comme toujours, il portait un coin de feu de velours grenat, avec jabot et manchettes de dentelles. Un énorme diamant étincelait à son doigt.

      – De laquelle de ces dames est-ce le tour? demanda-t-il.

      C'était le tour de la dame évaporée; elle se levait déjà, lorsque le grand couturier l'arrêta d'un geste.

      Il venait d'apercevoir B. Mascarot, et s'avançait vers lui avec un empressement marqué.

      – Comment, c'est vous, cher monsieur, qui êtes là, disait-il, on vous a fait attendre, oh!.. que d'excuses!..

      Il y eut un murmure dans l'assemblée, mais si léger, si léger!..

      – De grâce, prenez la peine de passer dans mon cabinet, poursuivait Van Klopen; monsieur est avec vous? très bien; passez, messieurs, passez…

      Il entraînait, tout en parlant, B. Mascarot et son protégé; il les poussait devant lui.

      Il allait se retirer sans une excuse, quand une des clientes bondit jusqu'à lui et le poussa presque de force dans le corridor, tirant la porte après elle.

      – Monsieur, disait-elle, au nom du ciel, un mot.

      Van Klopen la toisa d'un air ennuyé.

      – Qu'y a-t-il encore? demanda-t-il.

      – Monsieur, c'est demain l'échéance du billet de 3,000 francs que je vous ai souscrit.

      – C'est fort possible.

      – Eh bien! je n'ai pas d'argent pour le payer.

      – Ni moi non plus.

      – Je viens pourtant vous conjurer de me le renouveler, à deux mois, monsieur, à un mois même, aux conditions que vous voudrez…

      Le tailleur pour dames haussa les épaules.

      – Dans deux moi, fit-il, vous serez encore moins en mesure qu'aujourd'hui. Si le billet n'est pas acquitté demain, on poursuivra…

      – Mon Dieu!.. mais alors mon mari saura…

      – J'y compte bien, et je sais qu'il paira.

      La malheureuse femme était glacée d'effroi.

      – Oui, dit-elle, mon mari paiera, mais je suis perdue, moi.

      – Je n'y puis rien, j'ai des associés…

      – Oh!.. ne me dites pas cela, monsieur, je vous en supplie… sauvez-moi. Mon mari a déjà payé mes dettes trois fois, et il m'a juré… s'il ne s'agissait que de moi!.. Mais j'ai des enfants, mon mari est capable dans sa colère de me les retirer… Par pitié!.. monsieur, mon bon monsieur Van Klopen…

      Elle se tordait les mains, elle sanglotait, elle était presque à genoux.

      L'illustre couturier restait de glace.

      – Quand on est mère de famille, prononça-t-il, on prend une couturière à la journée, il y en a qui bâtissent des robes charmantes.

      Elle essaya pourtant encore de le toucher, elle lui avait pris les mains, pour un mot elle les eût portées à ses lèvres.

      – Monsieur,

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