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plus fastueusement décorées, au fond des retraits les mieux parés d'or et de grandes tapisseries.

      La régente, que l'on désignait habituellement sous le titre de madame la duchesse, fidèle aux lois de l'étiquette, n'en tenait pas moins régulièrement sa cour chaque matin dans la pièce d'apparat, nommée salle Neuve de la reine.

      C'était un des locaux les plus élégants et les mieux parés du palais.

      L'ornementation des croisées à ogives courait en rinceaux élégants jusqu'aux arêtes de la voûte. Celle-ci, peinte de vif azur et d'étoiles d'argent, offrait une ressemblance visible avec un coin du ciel. Une natte épaisse garantissait les pieds contre la froidure des dalles en mosaïques qui carrelaient le sol. Les murailles disparaissaient sous les tentures et les dressoirs. Au fond, dans l'endroit le plus honorable, comme un autel au haut bout d'une basilique, un baldaquin massif à rideaux cramoisis abritait un trône élevé de plusieurs marches.

      En avant, des sièges plus modestes, disposés en fer à cheval, s'offraient aux personnages admis aux réceptions royales et ayant le privilège de s'asseoir devant les princes.

      Le jour où nous pénétrons dans ce sanctuaire, il s'en fallait beaucoup que tous les sièges fussent occupés.

      La régente n'avait guère autour d'elle que ses dames d'honneur, un ou deux dignitaires de sa maison, quelques officiers supérieurs de l'armée de Lautrec: tous amenés là par l'étiquette, par l'intrigue, par le besoin de se montrer au pouvoir pour ne pas être oubliés de lui dans la distribution des faveurs.

      Pour préciser les noms les plus illustres, on y voyait Thomas de Maussion, le secrétaire particulier du roi; Cossé-Brissac, le plus beau cavalier de la cour; le savant Pierre Donez, lecteur de François Ier, futur évêque de Lavaur; Robert de Lenoncourt, chapelain de la cour; maître Cagny, premier aumônier du roi; messire Loys Chantereau, grand pénitencier.

      Parmi les femmes, quelques-unes des dames d'honneur de la feue reine Claudine, mesdames de Mailly, de Bussy, de Montbreton, Françoise de Foy; puis encore, mesdames de Brézé, d'Aubertot, Anne de Lautrec, attachées à la personne de la régente; Hélène de Tournon, amie intime de Marguerite de Valois, qui l'a immortalisée dans ses poésies.

      Une gêne extrême, un malaise sensible régnaient dans l'atmosphère. Les plus habiles, les plus courtisans sentaient la parole expirer sur leurs lèvres. Les phrases banales lancées par intervalles circulaient lentement; on eût dit un cénacle de trépassés.

      C'était bien la vie qui manquait à cette réunion. Mais la vie, où était-elle?

      Elle n'était pas partie seulement avec le roi, elle s'était enfuie surtout avec ces aimables gazouilleurs, qui naguère paraient ces résidences et semaient l'entrain, la gaieté, l'esprit autour d'eux.

      Poètes, écrivains, artistes, tous s'étaient retirés, non pas ainsi qu'on pourrait le croire, comme ces oiseaux ingrats qui se taisent et s'envolent dès qu'ils ont vidé la main qui les nourrit, mais tristement, chassés par les menaces et les persécutions.

      Ah! cette époque que nos professeurs d'histoire nous ont appris à considérer comme l'âge d'or des lettres et des arts, nous allons voir bientôt comment elle les traitait et ce qu'elle faisait pour eux. Les bancs du collège et de l'Université nous ont enseigné le mensonge; eh bien, c'est dans le roman que nous trouverons la vérité!

      Oui, la cour était triste, chagrine, et ce n'était pas assez, pour la maintenir sous cette impression, de la captivité de son chef, de la défaite de nos armées, de l'absence des hommes de talent: une influence plus fâcheuse que ces maux réunis s'appesantissait encore sur elle.

      Le mauvais génie de ce temps, c'était le chancelier Duprat, l'homme aux visées mystiques et ascétiques, le ministre des desseins implacables, des actes intolérants.

      Inféodé à la domination romaine, nourrissant d'incessantes pensées d'orgueil qui lui faisaient entrevoir l'héritage de la tiare, le ministre déloyal sacrifiait sans vergogne son pays à son ambition.

      La régente était une femme d'une grande intelligence, au milieu de ses vices, de ses erreurs et de ses fautes. Son esprit perspicace ne se dissimulait pas les menées du chancelier, et cependant elle ne faisait rien pour les entraver. Elle subissait cet homme, ses volontés, ses projets, au point qu'on eût été tenté de croire que le régent, c'était lui, et Louise de Savoie la vassale.

      L'audience de la régente était donc descendue à un degré de contrainte difficile pour ses courtisans comme pour elle-même, et les plus habiles ne savaient plus de quel thème faire conversation, quand un son argentin, parti de l'entrée de la salle, fit tressaillir chacun.

      La portière s'agita, et sans que les huissiers l'eussent ouverte, une boule bariolée des couleurs les plus criardes et les plus osées vint littéralement rouler jusqu'au bas du trône, dont l'estrade l'arrêta.

      Une même exclamation sortit de toutes les bouches:

      – Triboulet!..

      C'était le cri de délivrance. L'ennui, l'embarras avaient disparu avec cette apparition.

      – Eh oui Triboulet!.. répondit l'avorton en se redressant et en rajustant son bonnet, fort compromis dans son entrée excentrique, Triboulet dont un seul grelot fait plus de bruit que tous vos gosiers ensemble, beaux sires et belles dames!..

      Et agitant triomphalement sa marotte:

      – Allons, ma mie, faites voir que vous n'avez point, comme chacun céans, perdu la vertu de causer!

      Le fou du roi avait le droit d'insolence; il en usait même vis-à-vis de son maître qui s'égayait de ses plus audacieuses boutades.

      Était-il fou réellement? Son nom l'indiquait; il était d'ailleurs payé pour cela. Les historiens, il est vrai, n'ont pu encore tomber d'accord sur ce point. Après cela, sur quel point, me direz-vous, s'entendent-ils complètement?

      Donc, c'était Triboulet, le bouffon, le bavard, le grotesque, le plaisantin, qui partageait avec les lévriers du prince le privilège de tout oser, contre tous, sans que nul, ceux que le fou avait blessés, ceux que les chiens avaient mordus, eussent le droit de crier: Aïe!..

      Après tout, pourquoi ne leur aurait-on pas dit un peu leurs vérités, à ces beaux courtisans, quand le roi souffrait bien qu'on lui dît quelquefois les siennes!

      Cependant, le bouffon, accroupi au bas du siège de la régente, paraissait plongé dans un entretien des plus attachants avec sa marotte, lui adressant tout bas des questions, et l'approchant de son oreille pour écouter ses réponses. Le tout accompagné de jeux de physionomie grotesques, d'interjections glapissantes et d'une pantomime qui soulevait la jovialité des spectateurs.

      On riait d'autant mieux qu'on s'était cruellement morfondu d'ennui.

      – Or ça, seigneur Triboulet, demanda la régente, qui ne dédaignait pas de s'associer à l'animation générale, ne nous apprendrez-vous pas quel sujet intéressant vous occupe à ce point, vous et mademoiselle votre marotte?

      Triboulet adressa gravement à la princesse un geste indiquant qu'il ne fallait pas le troubler. Puis, tout d'un coup, il lança le hochet en l'air, fit une superbe cabriole en le rattrapant, et s'adressant avec solennité à la régente et à l'assistance:

      – Décidément, mademoiselle du Carillon, dit-il en désignant sa marotte, est une personne incivile, qui se joue de moi et me fait des contes à dormir debout.

      – Voyez-vous cela! fit la jeune demoiselle d'Heilly, celle des dames qui jouissait de la plus grande familiarité auprès de la régente; mais ne pourrait-on donc savoir au juste ce qu'elle gazouille?

      – Elle prétend, voyez l'impertinente! que tandis que vous vous morfondez dans ce Louvre à chercher des objets de distraction et de médisance, il s'y passe à votre barbe de mirifiques aventures dont vous ne vous doutez pas.

      A ce début alléchant, chacun dressa l'oreille, entrevoyant déjà du scandale dans l'air.

      Encouragé par cette attention, Triboulet poursuivit:

      – Ce n'est rien moins qu'histoire

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