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Les Mystères du Louvre. Féré Octave
Читать онлайн.Название Les Mystères du Louvre
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Féré Octave
Издательство Public Domain
Le chancelier l'avait dit: «Ton sang effacera cet emblème!»
Cet homme avait-il le don de prophétie ou de miracle? les éléments, la matière obéissaient-ils à ses anathèmes?
Oui, en vérité, car cette pierre se détachait avec un bloc de maçonnerie de la paroi séculaire, et, formant un angle avec la partie de celle-ci à laquelle elle adhérait encore, s'arrêtait en battant sourdement contre le pied de la couche de bois.
Le prisonnier, les cheveux dressés, réunit enfin ses forces et il étendit les mains en avant, pour opposer ce faible obstacle à la masse rocheuse que ses jambes paralysées ne pouvaient fuir.
Dans ces circonstances suprêmes, les secondes se prolongent autant que des heures. Jacobus ne savait plus d'ailleurs calculer le temps; il attendait que la muraille s'écoulât sur lui, mais elle restait immobile dans l'étrange révolution qu'elle venait d'accomplir, et, en réalité, ce déplacement ne durait pas depuis un quart de minute, qu'une vive lueur envahissant la cellule, éclipsait le lumignon suspendu à la voûte.
Puis, de cette auréole, surgit une forme gracieuse dans sa gravité, une vision, sans doute, celle de l'ange consolateur qui assiste nos dernières angoisses, et qui doit ainsi, intermédiaire entre les souvenirs terrestres et les béatitudes divines, revêtir l'apparence de l'être que nous aimâmes et qui nous aima le plus.
Cette apparition, quels autres traits pouvait-elle offrir aux regards de Jacobus de Pavanes que ceux de Marguerite de Valois?..
Alors, le regard rasséréné par ce charme, le sein apaisé par cette joie, le cerveau détendu par ce prestige irrésistible, il sourit et attendit que le séraphin détachât son âme de ce séjour funeste, pour l'emporter dans celui du calme et des félicités éternelles.
Il n'essaya donc pas un mouvement pour le hâter, pas un pour aller au-devant d'elle; il éprouvait une si grande félicité à retrouver là ces traits adorés qu'il n'avait plus espéré revoir, qu'il se gardait de tout ce qui eût pu les faire évanouir. Il tenait absolument, par sa docilité, à monter au ciel sur les ailes invisibles de cet ange.
Ce fut donc elle qui vint jusqu'à lui, et son sourire, où la passion la plus tendre se confondait avec un ineffable et céleste sentiment de pitié, était bien le sourire miséricordieux d'un être surhumain, plaignant nos misères.
Elle s'arrêta près de lui, si près, que les plis de sa longue robe noire touchaient ceux de son pourpoint.
Et il ne bougeait pas, et elle le contemplait en silence.
Elle s'agita enfin avec une de ces inflexions qui n'appartenaient qu'à Marguerite ou à un ange, et sa main vint se poser sur son front.
Il tressaillit du même élan que l'être encore inanimé qui sent arriver en lui le souffle divin de l'existence. Ce contact était pour lui ce souffle vivifiant; pour la seconde fois, une impulsion divine le tirait du chaos, pour la seconde fois il existait.
Ce n'était ni un songe, ni une ombre: Marguerite était près de lui; réalisant un miracle, traversant les murailles, déjouant les geôliers, les verrous, les bourreaux, pour se rapprocher de lui.
Elle se pencha, jouissant de son ravissement, plus heureuse que lui-même de sa félicité inespérée, et de ses lèvres pleines de délices:
– Jacobus, lui dit-elle d'une voix plus mélodieuse que la harpe paradisienne, pensais-tu que je t'eusse abandonné?.. Non, hérétique, proscrit, condamné, je t'aime…
– Prends donc ma vie, murmura-t-il fou d'ivresse, emporte avec toi mon âme, puisqu'il n'y a pas de mots dans la langue humaine pour t'exprimer ce que je ressens pour toi.
– Ne m'aimes-tu pas aussi? reprit-elle en embrassant les boucles de ses cheveux; l'amour se paye par l'amour, tu ne me dois rien.
Puis elle se mit à le regarder avec l'attention d'une mère qui interroge les traits de son enfant en danger, et comme son rayonnement actuel ne comblait pas les sillons creusés par ses tortures précédentes:
– Comme tu as souffert!.. lui dit-elle.
– C'est vrai, j'ai cru mourir, et de quelle mort!..
Il frissonna rien qu'à ce souvenir; elle se serra contre lui.
– Il me semblait, poursuivit-il ranimé par ce contact, que ces parois sinistres me menaçaient et allaient s'écrouler sur moi. J'attendais le supplice; Dieu soit béni, c'est le bonheur qui est venu.
– Je comprends, le mystère de ce pan de muraille t'a surpris… C'est la porte de la vie et du salut, ami. – Messire Antoine Duprat est un persécuteur habile, mais il ne saurait tout prévoir ni tout connaître. Il a cru empêcher notre réunion en substituant ses esclaves aux serviteurs qui gardaient cette prison. Il aura favorisé ce qu'il voulait détruire.
– Que dites-vous?
– Ma compagne dévouée, Hélène de Tournon, est parvenue à joindre le chef de ces gardiens évincés, leur doyen, celui-là même qui m'avait enseigné le passage de l'arche de Charles V. Ce vieillard est le génie de ce donjon; il en possède tous les détours, toutes les issues dérobées. Son dévouement est à nous, je ne l'ai pas marchandé. Aujourd'hui, il m'a ouvert ce bloc impénétrable à l'œil de nos ennemis; avant peu, si d'autres projets n'ont pas abouti, il nous secondera dans une combinaison qui te sauvera aussi.
– Mais qu'ai-je donc fait pour mériter tant d'amour? Comment parviendrai-je à le justifier jamais?.. Ah! misérable, s'écria-t-il en rencontrant la devise gravée sur le mur, misérable, maudit! Pendant que tu ne songeais qu'à mon salut, je travaillais à ta perte!..
– Jacobus, mon ami, ta raison s'égare!..
– Non! non! elle est pleine et entière!.. Marguerite, va-t'en, laisse-moi, renie-moi; j'ai fait ta honte!.. Ah! tu doutes; tiens, vois donc, là! sur cette même pierre qui t'a livré passage pour m'apporter tes consolations, tes baisers, ton amour, – insensé, j'ai gravé le témoignage irrécusable de cet amour…
– Ah! c'est bien, cela, fit-elle avec ravissement, c'est bien! Tu répétais ma devise; tu dessinais mon emblème pour avoir toujours auprès de toi quelque chose qui émanât de ta Marguerite et qui te la rappelât… Et tu prétends que je t'aime trop! Oh! jamais je ne t'aimerai, je ne te le prouverai assez!
– Mais tu ne sais pas, cette devise, cet emblème, Triboulet les a découverts, les a dénoncés au chancelier… et le démon qui est entre eux leur a révélé que c'était là un gage d'amour… d'amour partagé.
– N'est-ce que cela! fit-elle en relevant comme une reine sa tête dédaigneuse, laisse siffler les serpents: Dieu est grand et le bon droit est fort.
– Ainsi, tu me pardonnes mon imprudence… tu ne m'en veux pas d'avoir trahi notre secret?..
– Trahi!.. répéta Marguerite en souriant. Cet amour est pour moi si cher et si glorieux, que je l'ai dit à ma propre mère! Si je devais mourir ici, sur l'heure, mais à Dieu lui-même je ne demanderais pas d'autre paradis que toi!
– C'est le vœu que j'ai déjà fait, et nous avons assez souffert en commun pour que le père miséricordieux nous l'accordât…
– Quoi! toi aussi…
– Oh! moi surtout, car je n'ai pas été élevé absolument dans le courant des idées du vulgaire. Mon père, je te l'ai dit, a consacré une existence séculaire à étudier, à approfondir les arcanes des mondes inconnus. Il a pénétré très avant dans les sphères abstraites de la métaphysique, de la théogonie et de la génération des êtres.
A peine ma jeune intelligence fut-elle en état de le comprendre, qu'il m'initia à ses calculs. C'est là sans doute l'origine de ma propension vers les novateurs, qui veulent nous ramener à la religion simple et pure. C'est là assurément la source de ces inclinations à la rêverie et à la mélancolie, que vous remarquâtes, qui vous attirèrent