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Les Mystères du Louvre. Féré Octave
Читать онлайн.Название Les Mystères du Louvre
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Féré Octave
Издательство Public Domain
Duprat, le front crispé, le considérait avec une rage concentrée, croyant surprendre encore sur ce visage la trace des baisers de Marguerite et forcé de s'avouer qu'il n'en était pas indigne.
– Me connaissez-vous? demanda-t-il, se décidant à rompre le silence et faisant un pas dans la cellule.
– C'est-à-dire que je vous eusse reconnu bien plus vite, monseigneur, si je n'eusse hésité, en voyant le premier dignitaire du royaume se faire accompagner d'un jongleur.
– Pas mal, murmura tout bas Triboulet; mais le jongleur va te montrer un tour auquel tu ne t'attends guère.
– Vous avez le ton bien rogue, pour un homme sur lequel planent deux accusations capitales.
– Votre Excellence excusera mon ton, si je lui réponds que c'est peut-être celui d'un prévenu, mais à coup sûr celui d'un innocent. Les hommes peuvent m'accuser, ma conscience m'absout.
– Moi ministre, maître Jacobus de Pavanes, sachez que les juges ne condamnent que sur des preuves.
– En ce cas, monseigneur, qu'on me conduise au prétoire, je ne crains rien.
– Ne viens-je pas de vous dire que deux accusations planent sur vous.
– Celle d'hérésie et celle de lèse-majesté? Qu'on les prouve donc.
– L'hérésie, c'est la traduction et les commentaires des livres saints; le Saint-Père, la Sorbonne et le Parlement l'ont ainsi reconnu. – L'attentat à la majesté royale, c'est offense envers le souverain et les membres de sa famille, qui ne sauraient être atteints dans leur honneur sans qu'il en rejaillisse un affront sur lui. N'est-ce pas votre avis?
– Je ne saurais méconnaître que c'est du moins le vôtre.
– Or, reprit Duprat en distillant le poison de chaque syllabe, la preuve du crime d'hérésie par traduction et commentaires, la voici!..
– Cette Bible! s'écria Jacobus au comble de l'étonnement.
– Quand à la preuve de l'offense envers une personne de sang royal…
– La voila!.. exclama le bouffon en approchant la flamme de la lampe d'un certain endroit du mur.
– Malheur!.. s'écria Jacobus.
Et il retomba sur sa chaise dans une attitude désolée, cette pierre venait de vendre le plus cher de ses secrets à ses persécuteurs.
Dans les heures mortelles de sa captivité, rêvant sans cesse de Marguerite, il avait gravé sur le mur l'emblème et la devise adoptés par elle, un souci d'or regardant le soleil, et ces trois mots dans un cartouche: Non inferiora secutus.
Quel autre qu'un amant passionné eût jamais eu l'idée de placer là ce chiffre? En fallait-il plus pour convaincre le chancelier? La preuve, comme il disait en jargon judiciaire, n'était-elle pas complète?
– Je te fais compliment, dit-il en posant la main sur l'épaule de Triboulet, tu as la clairvoyance d'Argus. Tu serais un fameux pourvoyeur pour l'inquisition que nous allons établir.
– Ma foi, riposta cyniquement le bouffon, j'aime mieux demeurer à la cour; c'est aussi lucratif, et l'on y voit des fous plus amusants, sans me compter.
Mais Duprat ne l'écoutait guère. Les sourcils rapprochés, les lèvres relevées par la colère comme celles d'un chacal, dont il laissait voir en ce moment les dents aiguës, il se dressa en face du prisonnier.
– Eh bien, dit-il, vous ne niez plus, je crois! Votre bonne conscience se tait, et les témoignages de vos crimes vous écrasent… Jacobus de Pavanes, orgueilleux puritain auquel il faut une religion pour lui seul, et des princesses pour amantes, – Jacobus de Pavanes, impie et félon, c'est avec tes larmes et ton sang que j'effacerai cette devise.
– Le captif se courba, accablé, non pas sous cette menace, mais sous le désespoir d'avoir laissé tomber à la connaissance de cet infâme le sentiment le plus profond et le plus parfait qu'il fût possible à un cœur humain de ressentir.
Si encore ce secret eût appartenu à lui seul; mais que n'allaient-ils pas faire, ces deux tigres, de l'honneur de Marguerite!
Muni de ces armes, Duprat regagna l'entrée des prisons, la cour du Louvre et son appartement, emporté d'une telle vitesse, que son acolyte avait peine à le suivre et tenta plusieurs fois de le retenir par des lazzis dont il retrouvait inévitablement le don quand il voyait souffrir quelqu'un, fût-ce son chef, ou plutôt si c'était son chef.
– Ouf! soupira-t-il en voyant enfin celui-ci s'asseoir à sa table de travail. Nous allons donc pouvoir souffler, nous reposer et causer.
– Plus tard… tout à l'heure…
Et il saisissait les papiers épars devant lui avec une avidité furieuse, comme s'il eût craint de les voir lui échapper.
– Le projet d'inquisition?.. murmurait-il; bon, le voici… N'y manque-t-il rien?
– Oui, messire, intervint Triboulet, il y manque bien sûr cette proposition que vous fait le révérend père franciscain Roma. Il a imaginé un petit supplice qu'il ne faut pas dédaigner, et dont cette lettre, que je me suis chargé de vous communiquer, renferme les détails.
– Un supplice!.. répéta le chancelier; oh! je doute qu'il en existe un assez terrible…
– Mon Dieu! il ne faut désespérer de rien. Ce père Roma est un homme fort ingénieux. Il propose qu'on oblige les mécréants mal sentants de la foi à chausser des bottes remplies de suif bouillant.
Ce religieux sera membre de l'inquisition, fit Duprat en prenant note de cette effroyable torture5.
Puis il saisit le dernier feuillet, auquel sa signature faisait encore défaut, et quand il l'eut mise et accompagnée de l'apposition du sceau royal dont il était dépositaire:
– Enfin! dit-il, je sais pour qui j'ai travaillé…
Et, se renversant complaisamment dans son fauteuil:
– Nous pouvons causer maintenant, maître Triboulet; nous avons fait de bonne besogne.
– Hum! messire, la plus forte n'est pourtant pas finie.
X
LA PIERRE QUI TOURNE
Jacobus, anéanti, s'était, par un instinct purement machinal, traîné jusqu'à sa couche, sur le bord de laquelle il s'était assis, sans même s'y étendre.
Les dernières paroles du chancelier, le strident et sauvage éclat de rire du bouffon, le tintement irritant et railleur de ses grelots retentissaient toujours dans son cerveau, formant un bourdonnement lugubre comme un écho infernal.
Un feu volcanique battait ses tempes brûlantes; son œil, dévoré par cette lave intérieure, ne pouvait fuir la devise fatale, objet de son adoration et de son effroi.
Les lueurs mourantes de sa lampe, s'irradiant et se restreignant tour à tour, allaient parfois lécher les murs et éclairer cette inscription d'amour, qui se détachait sous leurs zones rougeâtres comme l'épitaphe d'un tombeau.
Son âme navrée se repaissait de cette contemplation, qui le fascinait et l'attirait, en ajoutant une âpre saveur à l'amertume de ses pensées.
Dormait-il, veillait-il, était-il encore seulement de ce monde?
Illusion, évocation ou sommeil, dans son état de stupeur, il n'eût pu le définir, un phénomène s'opéra devant lui.
L'organe de la vue, quand il est fatigué, éprouve de ces aberrations: ce chiffre sembla s'animer; la pierre inerte sur laquelle il l'avait incrusté s'agita sous une impulsion mystérieuse… elle se mouvait, et à mesure qu'il se rejetait en arrière, sous l'effroi de ce prodige, elle s'avançait vers lui!..
La
5
Ce fut seulement sous Henri II qu'on abolit ce supplice.