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ce prisonnier auquel vous portez intérêt a donc commis un attentat plus grave que le délit commun aux autres novateurs, que vous prévoyez une résistance venant de la part du premier magistrat du royaume?

      – Je vous atteste ceci, ma mère, c'est que je ne redouterais pas cette résistance, si ce magistrat était aussi, comme il devrait être, le plus homme de bien du royaume.

      – Décidément, murmura la duchesse en retombant dans l'abattement peu habituel à une nature de sa trempe, ce physicien avait raison, une maligne influence pèse sur ce palais et sur notre famille!

      Marguerite se redressa avec la majesté qu'elle possédait aux occasions décisives:

      – Je croirai à mon tour qu'il en est ainsi, madame et souveraine, si vous me refusez, lorsque je ne réclame que miséricorde et justice.

      – Seigneur! s'écria la duchesse en s'adressant à un crucifix suspendu au fond de sa chambre, Seigneur, vous êtes terrible en vos arrêts: vous m'avez repris un de mes enfants, et voici l'autre qui est prête à me renier!

      – Calmez-vous, ma mère; souvenez-vous seulement que vous êtes la maîtresse, et que mon existence est en vos mains.

      – Silence!.. on vient… C'est le chancelier, soyez prudente.

      – Ah! que j'ai besoin de mon courage!.. fit la princesse, retombant sur son siège pour mieux cacher son émotion.

      L'idée qu'Antoine Duprat apportait la liste des prisonniers et que le sort du plus aimé d'entre eux allait être résolu, avait serré d'une étreinte pareille à un pressentiment suprême cette poitrine si puissante dans les périls, mais si faible dans l'amour.

      Duprat, annoncé avec fracas par l'huissier, semblait alerte et rajeuni. Sa démarche avait la vivacité d'un jeune homme, sa prunelle aux inclinaisons tortueuses dardait des lueurs étincelantes, le timbre même de sa voix avait changé ses notes graves et sèches en vibrations nettes et incisives. Satan fait homme aurait de ces aspects dans ses heures de triomphe.

      La princesse, emportée par sa nature généreuse, fut tentée de voir dans cette métamorphose un indice favorable.

      Mais la régente connaissait mieux l'homme; il était de ceux dont la joie cache une noirceur; elle eût été bien plus rassurée de le voir soucieux.

      D'un signe imperceptible elle avertit sa fille de se tenir sur ses gardes.

      L'entrée de Duprat, sa façon de saluer les princesses tenaient du conquérant.

      Marguerite ne perdit rien de sa dignité; sans cesser de se montrer gracieuse comme il était dans son caractère, elle conserva la supériorité que lui assignait son rang.

      Sa mère, au contraire, cette femme impérieuse jusqu'à la violence, hautaine jusqu'à la dureté, implacable dans ses haines, se courba involontairement; sa rigidité se sentait fléchir sous la domination que le ministre exerçait sur elle, comme le reptile sur une proie qu'il a su fasciner.

      Mais, en ce moment, ce n'était pas pour elle-même qu'elle éprouvait ce malaise. Elle étudiait l'expression avec laquelle Duprat considérait sa fille, le sourire faux, les éclairs ardents qui luisaient sous ses épais sourcils. Et par instants, lors, par exemple, qu'il s'approchait ou se penchait vers celle-ci, de manière à effleurer sa main ou ses vêtements, on eût pu croire, si l'on eût observé cette scène, que la duchesse transformée en lionne allait s'élancer sur lui.

      Occupée par ses propres soucis, Marguerite cherchait à amener ce subtil adversaire sur le terrain désiré, sans trahir son impatience.

      Coupant enfin court aux compliments fleuris dans lesquels il affectait de se tenir:

      – De grâce, messire, n'épuisez pas les ressources de votre esprit à me tresser des couronnes hyperboliques. Les choses sérieuses conviennent mieux à un homme grave comme vous êtes; n'allez pas sur les brisées de nos pauvres poètes. Si vous me parlez lyrisme, ils seraient capables de me parler politique. A eux les chansons, à vous les affaires.

      – Pardonnez-moi, madame, mais la poésie et la louange viennent toutes seules quand on s'adresse à Votre Altesse. De quoi souhaitez-vous, d'ailleurs, que nous traitions?

      – Eh mais, votre mémoire est-elle si oublieuse que vous ne vous rappeliez plus votre promesse touchant ces pauvres réformistes?..

      – Ces réformistes, ces novateurs?.. En effet, je me souviens très-bien de votre souhait et de mon engagement.

      – Alors, vous venez le remplir? Voyons, où est cette liste?

      – Votre Seigneurie et madame la duchesse m'excuseront…

      – Ne l'apportez-vous point?

      – J'y comptais, messire, dit assez sévèrement la régente.

      Mais Duprat ne parut même pas remarquer cette observation, et répondant à Marguerite seule:

      – Le retard ne provient pas de mon fait; Votre Altesse aurait déjà ces tableaux, s'il ne m'en manquait encore un, celui de la tour du Louvre. Il appuya sur ce mot en plongeant son œil faux dans le regard effrayé de la princesse.

      J'ai pensé que vous ne voudriez rien décider sans ce complément; et demain, pour le sûr, je pourrai vous le communiquer avec les autres. Si pourtant, fit-il en feignant de chercher des papiers dans sa poche, Votre Altesse ne jugeait pas cette liste nécessaire, je lui remettrais les autres…

      Marguerite eut une vague intuition du piège.

      – C'est inutile, messire, répondit-elle en refrénant sa colère et son mépris; il serait injuste de ne pas tenir compte des captifs de la Grosse-Tour dans cette amnistie. Ma mère et moi attendrons à demain, confiantes en votre foi.

      – Je ne dois pas vous dissimuler encore, reprit le chancelier, que la Sorbonne redoutable de sévérité, et que ces cachots du Louvre renferment particulièrement des prévenus auxquels elle attache une grande importance… à ce point que, pour ne pas me faire une méchante affaire avec elle, j'ai dû, ce matin même, changer tout le personnel des gardiens.

      – Vous avez changé les gardiens? intervint la régente, qui remarqua le trouble de sa fille, et jugea nécessaire de lui éviter une réplique qui y eût ajouté encore. Les anciens ne remplissaient-ils pas bien leurs fonctions?

      – Leur service laissait à désirer, Altesse. On craignait qu'ils n'eussent pour les prisonniers des accommodements dangereux. Leurs successeurs, au contraire, sont incorruptibles; de vrais dragons gardant la grotte sacrée; impossible à un profane d'y pénétrer.

      – On aurait pu, ce me semble, me consulter à cet égard… dit la régente.

      – Mais non, ma mère, interrompit Marguerite avec un peu d'amertume, c'est fort bien fait; un serviteur infidèle mérite d'être puni. Seulement, je pense que les prisonniers ne seront pas assujettis aux mêmes rigueurs que les coupables ordinaires, et qu'on aura pour eux des égards… Je prétends y veiller d'ailleurs, et, s'il le faut, en référer à mon frère, le roi, notre maître à tous; prisonnier lui-même, il saurait compatir aux maux qu'il endure.

      – Que Votre Altesse se rassure, elle pourra se convaincre, quand il lui plaira, que les prisonniers de la Grosse-Tour sont traités comme elle le veut; ses souhaits sont des ordres.

      La duchesse d'Alençon comprit la portée perfide de ces demi-mots, lâchés avec une feinte indifférence. Le chancelier possédait le secret de ses excursions nocturnes et de ses intelligences avec les geôliers de la Grosse-Tour. Le remplacement de ceux-ci par des gens aux gages et à la dévotion de Duprat, rendait impossibles ses visites mystérieuses au prisonnier.

      Le tyran avait décoché son trait venimeux; il jugea sa journée suffisamment remplie de ce côté, et, se retirant avec de faux semblants de respect, il songea à aller comploter de nouvelles noirceurs avec son odieux complice.

      De son salut cauteleux et de son dernier regard, il enveloppa la princesse comme un faucon envisageant sa proie.

      Aucun de ces détails ne trompa l'attention vigilante de la duchesse, qui, restée

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