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tête de ce religieux. Le pis est qu'il invente des miracles; il veut faire croire au monde que, lors de l'arrivée du convoi de vivres sous Orléans, survint, par l'intervention de la Pucelle, pour renflouer les chalands, une crue soudaine de la Loire, que personne n'a remarquée, excepté lui49.

      La déposition de Dunois50 cause aussi quelque déception. On sait que Dunois était un des hommes les plus intelligents et les plus avisés de son temps et qu'il passait pour beau parleur. Il avait défendu, non sans habileté, la ville d'Orléans et fait toute la campagne du sacre. Il faut que sa déposition ait été bien maltraitée par le traducteur et par les scribes. Sans cela on serait obligé de croire que le prudent seigneur la fit faire par son chapelain. Il y parle du «grand nombre des ennemis» en des termes plus convenables à un chanoine de la cathédrale ou à un marchand drapier, qu'au capitaine chargé d'assurer la défense et tenu de connaître les forces réelles des assiégeants. Tout ce qui, dans cette pièce, a trait au transport des vivres, le 28 avril, est à peu près inintelligible. Et Dunois n'a pas pu dire que la première étape de l'armée de Gien avait été Troyes. Rapportant un propos que lui tint la Pucelle après le sacre, il la fait parler comme si ses frères l'attendaient à Domremy, tandis qu'ils chevauchaient près d'elle en France. Par une étrange maladresse, pour prouver que Jeanne avait des visions, il conte une historiette qui, tout au contraire, laisserait croire que cette jeune paysanne était une simulatrice habile et donnait, à la demande des seigneurs, le spectacle de l'extase, comme l'Esther du regretté docteur Luys51.

      J'ai dit, dans cet ouvrage, à propos du procès de réhabilitation, ce qu'il faut penser des dépositions des greffiers, de l'huissier Massieu, du frère Isambard de la Pierre, du frère Martin Ladvenu52 et de tous ces brûleurs de sorcières et vengeurs de Dieu, qui travaillèrent à la réhabilitation d'aussi bon cœur qu'ils avaient travaillé à la condamnation.

      Dans bien des cas, au sujet d'événements considérables, les témoins parlent tout à fait à l'encontre de la réalité. Un marchand drapier d'Orléans, nommé Jean Luillier, vient devant les commissaires, hardi comme l'archer de Bagnolet, et déclare que les habitants ni la garnison ne pouvaient résister contre les ennemis assemblés en si grand nombre53. Or, sur ce point important il est démenti par les documents les plus sûrs, qui établissent que les Anglais étaient au contraire bien faibles et bien dénués autour d'Orléans54.

      Si les témoignages du second procès sentent souvent l'artifice et l'apprêt, s'ils sont parfois hors de toute vérité, ce n'est pas seulement le tort de ceux qui les portèrent; c'est aussi le tort de ceux qui les reçurent. Ceux-ci les avaient sollicités avec trop d'art. Ces témoignages valent ce que valent les témoignages dans un procès d'inquisition. Ils représentent en certains endroits la pensée des juges autant, peut-être, que celle des témoins.

      Ce que, en l'espèce, les juges s'efforçaient surtout d'établir, c'était que Jeanne n'avait rien compris quand on lui avait parlé de l'Église et du pape, et qu'elle avait refusé d'obéir à l'Église militante parce qu'elle croyait que l'Église militante c'était messire Cauchon et ses assesseurs. Enfin il fallait la montrer à peu près idiote. C'était là un très utile expédient de procédure ecclésiastique. Et il y avait encore une autre raison, une raison très forte, de la faire passer pour une fille dénuée d'intelligence, une innocente. Ce second procès, comme le premier, répondait à des intentions politiques; il avait pour objet de faire connaître que Jeanne était venue au secours du roi de France, non par suggestion diabolique, mais par inspiration céleste. En conséquence, on s'efforça de montrer qu'elle n'avait pas d'esprit, pour que l'Esprit Saint fût plus manifeste en elle. Les interrogateurs s'y appliquèrent constamment. Ils surent amener les témoins à dire à tout propos qu'elle était simple, très simple. Una simplex bergereta55, dit l'un. Erat multum simplex et ignorans56, dit l'autre.

      Et puisque cette innocente était envoyée de Dieu pour délivrer ou prendre des villes, pour conduire des gens d'armes, il fallait qu'ignorante du reste, elle eût la science infuse de la guerre et montrât dans les batailles la force et le conseil qu'elle tenait d'En Haut. On dut donc obtenir des dépositions établissant qu'elle était plus habile à guerroyer qu'aucun homme au monde.

      Demoiselle Marguerite la Touroulde l'affirme57. Le duc d'Alençon déclare que la Pucelle était très experte tant à manier la lance qu'à former une armée, à ordonner une bataille et à préparer l'artillerie, et qu'elle étonnait les vieux capitaines par son art à mettre les canons en place58. Ce seigneur entend bien que c'était par miracle et qu'il en faut rendre grâce à Dieu seul. Car, s'il eût fallu rapporter le mérite des victoires à Jeanne elle-même, il n'en eût pas tant dit.

      Et, puisque le Seigneur avait choisi la Pucelle pour accomplir un si grand ouvrage, c'était donc qu'il avait reconnu en elle la vertu qu'il préfère en ses vierges. Dès lors il ne suffisait pas qu'elle eût été chaste; il était nécessaire qu'elle l'eût été miraculeusement; il était nécessaire qu'elle eût poussé la chasteté et la sobriété dans le boire et le manger jusqu'à la sainteté. Aussi les témoins viennent-ils publier à l'envi: Erat casta, erat castissima. Ille loquens non credit aliquam mulierem plus esse castam quam ista Puella erat. Erat sobria in potu et cibo. Erat sobria in cibo et potu59.

      Il fallait enfin qu'une telle pureté manifestât par des privilèges singuliers sa céleste origine. À cette nécessité répondent de nombreux témoignages. De rudes hommes d'armes, Jean de Novelompont, Bertrand de Poulengy, Jean d'Aulon, de hauts seigneurs, le comte de Dunois et le duc d'Alençon, viennent affirmer, sur la foi du serment, que Jeanne ne leur inspirait pas de désirs charnels. Ces vieux capitaines s'en étonnent; ils vantent leur vigueur passée et s'émerveillent que leurs jeunes ardeurs aient été une fois endormies par une pucelle. Cela ne leur semble pas naturel, cela ne leur paraît pas humainement possible. À les entendre décrire les effets que Jeanne produisait sur eux, on croit voir sainte Marthe enchaînant la Tarasque. Dunois, très occupé dans sa déposition de noter les miracles, ne manque pas de signaler celui-là comme un des plus propres à confondre la raison. S'il n'a ni convoité ni sollicité cette jeune fille, il ne voit qu'une explication à ce fait unique, c'est que Jeanne était sacrée, res (p. XXVIII) divina. Pour exprimer leur soudaine continence, Jean de Novelompont et Bertrand de Poulengy emploient l'un et l'autre identiquement les mêmes formes de langage, affectées et contournées. Et voici qu'un écuyer de l'écurie du roi, Gobert Thibaut, vient déclarer qu'on parlait beaucoup dans l'armée de cette grâce divine spécialement dévolue aux Armagnacs divina. Pour exprimer leur soudaine continence, Jean de Novelompont et Bertrand de Poulengy emploient l'un et l'autre identiquement les mêmes formes de langage, affectées et contournées. Et voici qu'un écuyer de l'écurie du roi, Gobert Thibaut, vient déclarer qu'on parlait beaucoup dans l'armée de cette grâce divine spécialement dévolue aux Armagnacs60 et refusée aux Anglais et aux Bourguignons, si l'on en juge par les entreprises amoureuses d'un gentilhomme de Picardie et de Jeannotin, tailleur à Rouen61.

      Tout cela, comme on voit, répond à la pensée des juges, et ce sont, si je puis dire, des vérités théologiques, plutôt que des vérités naturelles.

      Les dépositions, qui, comme celles de Jean de Novelompont et de Bertrand de Poulengy, contiennent des passages rédigés en termes identiques, abondent d'ordinaire dans les enquêtes inquisitoriales. Elles sont rares, je dois le dire, dans le procès de réhabilitation, peut-être parce que les témoins ont été entendus à de longs intervalles de temps, dans diverses contrées, et sans doute aussi parce que la cause de la Pucelle n'exigeait pas de grands efforts de procédure, la partie adverse ayant fait défaut.

      Il est fâcheux

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<p>49</p>

Procès, t. III, p. 105.

<p>50</p>

Ibid., t. III, pp. 2 et suiv.

<p>51</p>

Procès, t. III, p. 12.

<p>52</p>

Procès, t. II, pp. 15, 161, 329; t. III, pp. 41 et passim.

<p>53</p>

Ibid., t. III, p. 23.

<p>54</p>

L. Jarry, Le compte de l'armée anglaise au siège d'Orléans (1428-1429). Orléans, 1892, in-8o.

<p>55</p>

Procès, t. III, p. 20.

<p>56</p>

Ibid., t. III, p. 87.

<p>57</p>

Procès, t. III, p. 85.

<p>58</p>

Ibid., t. III, p. 100. – Voir, par contre, la déposition de Dunois (t. III, p. 16) «licet dicta Johanna aliquotiens jocose loqueretur de facto armorum, pro animante armatos… tamen quando loquebatur seriose de guerra… nunquam affirmative asserebat nisi quod erat missa ad levandum obsidionem Aurelianensem.

<p>59</p>

Procès, t. II, pp. 438, 457; t. III, pp. 100, 219.

<p>60</p>

Procès, t. II, p. 438; t. III, pp. 15, 76, 100, 219 et 457.

<p>61</p>

Ibid., t. III, pp. 89 et 121.