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le consultait aussi fréquemment, et qui devait être régent sous la minorité du futur roi; mais l'archevêque de Cambrai précéda de quelques jours dans la tombe le grand roi, qui ne lui avait pas pardonné les Alusions volontaires ou involontaires du Télémaque (1715).

      Tout le temps que Fénelon n'avait pas consacré dans sa vieillesse aux devoirs de l'épiscopat, à la bienfaisance et à l'amitié, il l'avait donné aux lettres. Si, comme on le croit, il avait écrit avant ce temps ses Dialogues sur l'éloquence, c'est dans la dernière partie de sa vie qu'il composa d'autres œuvres non moins importantes, notamment le Traité sur l'existence de Dieu (1711), et la Lettre sur les occupations de l'Académie française (1714).

JUGEMENTS SUR LE TÉLÉMAQUE

      «…Il y a de l'agrément dans ce livre, et une imitation de l'Odyssée que j'approuve fort. L'avidité avec laquelle on le lit fait bien voir que, si on traduisait Homère en beaux mots, il ferait l'effet qu'il doit faire. Je souhaiterais que M. de Cambrai eût fait son Mentor un peu moins prédicateur, et que la morale fût répandue dans son ouvrage un peu plus imperceptiblement et avec plus d'art. Homère est plus instructif que lui, mais ses instructions ne sont pas des préceptes; elles résultent de l'action du roman plutôt que des discours qu'on y étale. La vérité est pourtant que Mentor dit de fort bonnes choses, quoique un peu hardies, et qu'enfin M. de Cambrai me paraît beaucoup meilleur poète que théologien. De sorte que si, par son livre des Maximes, il me semble très-peu comparable à saint Augustin, je le trouve, par son roman, digne d'être mis en parallèle avec Héliodore1

(Lettre de BOILEAU à Brossette, 10 novembre 1699.)

      «Le Télémaque est un livre singulier qui tient tout à la fois du roman et du poëme. Il semble que l'auteur ait voulu traiter le roman comme Bossuet traitait l'histoire, en lui donnant une dignité et des charmes inconnus, et surtout en tirant de ces fictions une morale utile au genre humain, morale entièrement négligée dans presque toutes les inventions fabuleuses… Les juges d'un goût sévère y ont blâmé les longueurs, les détails, les aventures trop peu liées, les descriptions trop répétées et trop uniformes de la vie champêtre.»

(Voltaire, Siècle de Louis XIV, ch. XXXII.)

      «Fénelon, épris des beautés de Virgile et d'Homère, y cherche ces traits d'une vérité naïve et passionnée, qu'il trouvait surtout dans Homère, et qu'il appelle lui-même2 cette aimable simplicité du monde naissant… Mais on se tromperait de croire que Fénelon n'est redevable à la Grèce que du charme des fictions d'Homère: l'idée du beau moral dans l'éducation d'un jeune prince, ces entretiens philosophiques, ces épreuves de courage, de patience, l'humanité dans la guerre, le respect des serments, toutes ces idées bienfaisantes sont empruntées à la Cyropédie de Xénophon. Dans les théories sur le bonheur du peuple, dans le plan d'un État réglé comme une famille, on reconnaît l'imagination et la philosophie de Platon. Mais il est permis de croire que Fénelon, corrigeant les fables d'Homère par la sagesse de Socrate, et formant cet heureux mélange des plus riantes fictions, de la philosophie la plus pure et de la politique la plus humaine, peut balancer, par le charme de cette réunion, la gloire de l'invention qu'il cède à chacun de ses modèles. Sans doute Fénelon a partagé les défauts de ceux qu'il imitait; et, si les combats du Télémaque ont la grandeur et le feu des combats de l'Iliade, Mentor parle quelquefois aussi longuement qu'un héros d'Homère; et quelquefois les détails d'une morale un peu commune rappellent les longs entretiens de la Cyropédie.

      «En considérant le Télémaque comme une inspiration des muses grecques, il semble que le génie de Fénelon reçoive une force qui ne lui était pas naturelle. La véhémence de Sophocle s'est conservée tout entière dans les sauvages imprécations de Philoctète.

      «Quoique la belle antiquité paraisse avoir été moissonnée tout entière pour composer le Télémaque, il reste à l'auteur quelque gloire d'invention, sans compter ce qu'il y a de créateur dans l'imitation de beautés étrangères inimitables avant et après Fénelon. Rien n'est plus beau que l'ordonnance du Télémaque, et l'on ne trouve pas moins de grandeur dans l'idée générale que de goût et de dextérité dans la réunion et le contraste des épisodes. Comme le Télémaque est surtout un livre de morale politique, ce que l'auteur peint avec le plus de force, c'est l'ambition, cette maladie des rois, qui fait mourir les peuples; l'ambition grande et généreuse dans Sésostris, l'ambition imprudente dans Idoménée, l'ambition tyrannique et misérable dans Pygmalion, l'ambition barbare, hypocrite, impie, dans Adraste. Ce dernier caractère, supérieur au Mézence de Virgile, est traité avec une vigueur d'imagination qu'aucune vérité historique ne saurait surpasser. Cette invention des personnages n'est pas moins rare que l'invention générale d'un plan. Le caractère le plus heureux, dans cette variété de portraits, c'est celui du jeune Télémaque. Plus développé, plus agissant que le Télémaque de l'Odyssée, il réunit tout ce qui peut surprendre, attacher, instruire: dans l'âge des passions, il est sous la garde de la sagesse, qui le laisse souvent faillir, parce que les fautes sont l'éducation des hommes: il a l'orgueil du trône, l'emportement de l'héroïsme, et la candeur de la première jeunesse…

      «Pour achever de saisir, dans le Télémaque, trésor des richesses antiques, la part d'invention qui appartient à l'auteur moderne, il faudrait comparer l'Enfer et l'Élysée de Fénelon avec les mêmes peintures tracées par Homère et par Virgile3. Quelle que soit la sublimité du silence d'Ajax4, quelle que soit la grandeur et la perfection du VIe livre de l'Énéide, on sentirait tout ce que Fénelon a créé de nouveau, ou plutôt tout ce qu'il a puisé dans les mystères chrétiens, par un art admirable ou par un souvenir involontaire. La plus grande de ces beautés inconnues à l'antiquité, c'est l'invention de douleurs et de joies purement intellectuelles substitués à la peinture faible ou bizarre de maux et de félicités physiques. C'est là que Fénelon est sublime et saisit mieux que le Dante le secours si neuf et si grand du christianisme. Rien n'est plus philosophique et plus terrible que les tortures morales qu'il place dans le cœur des coupables et pour rendre ces inexprimables douleurs, son style acquiert un degré d'énergie qu'on n'attendait pas de lui, et qu'on ne trouve dans aucun autre. Mais, lorsque, délivré de ces affreuses peintures, il peut reposer sa douce imagination sur la demeure des justes, alors on entend des sons que la voix humaine n'a jamais égalés, et quelque chose de céleste s'échappe de son âme: c'est l'extase de la charité chrétienne enivrée de la joie qu'elle décrit… L'Élysée de Fénelon est une des créations du génie moderne; nulle part la langue française ne paraît plus flexible et plus mélodieuse.»

(Villemain, Mélanges, Notice sur Fénelon.)

      M. Désiré Nisard, dans sa remarquable Histoire de la littérature française, tome III, consacre au Télémaque une grande partie de son chapitre sur Fénelon. On y lit: «Cet idéal du simple, du naturel, de l'aimable, c'est là qu'il l'a réalisé. De tous les ouvrages écrits dans notre langue, celui-là est peut-être le plus aimable.»

      Selon M. Nisard, «comme Idoménée est modelé sur Louis XIV, Télémaque est modelé sur le duc de Bourgogne… Enfin Mentor n'est autre que Fénelon lui-même. La politique qu'il enseigne à Salente rappelle la politique de la Lettre à Louis XIV. La morale de Mentor est copiée des Directions pour la conscience d'un roi, et le trop grand nombre de prescriptions fatigue dans le roman comme dans l'ouvrage de direction.

      «Ce mélange du roman et de l'allusion dans le Télémaque est une des causes du froid qu'on y sent, quoique le plan en soit si heureux, les incidents si variés, et que l'ouvrage soit écrit de verve. La vérité manque souvent à ces caractères formés de traits qui appartiennent à des civilisations différentes. On s'habitue difficilement à ce petit roi grec, tantôt gourmandé et conseillé comme aurait pu l'être Louis XIV par un confesseur pénétré de ses devoirs, tantôt faisant des fautes que ne comportaient ni son temps ni son État, afin de donner matière à des critiques qui s'adressent à un autre temps et à un autre État. Mentor ne cache pas assez Fénelon. Nous sommes presque plus souvent à Versailles qu'à Salente, et

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<p>1</p>

Évêque du ive siècle, auteur de Thêagène et Chariclée, roman moral assez médiocre, qu'on s'étonne de voir mis en parallèle avec le Télémaque.

<p>2</p>

Dans la Lettre à l'Académie française.

<p>3</p>

Fénelon, Télémaque, livre XIV. – Homère, Odyssée, livre XI. – Virgile, Énéide, livre VI.

<p>4</p>

Dans l'Odyssée (livre XI).