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le fait:

      – Je revenais, en 181… d'Azai à Tours par la voiture de Chinon. En prenant ma place, je vis, sur la banquette de derrière deux gendarmes, entre lesquels était un gars d'environ vingt-deux ans.

      – Qu'a-t-il donc fait celui-là?.. dis-je au brigadier, croyant qu'il s'agissait de quelque délit forestier ou autre.

      – Presque rien… répondit le gendarme; il s'est permis de rompre avec une barre de fer l'échine de son maître, et il l'a tué, pas plus tard qu'hier…

      Là-dessus, grand silence. Je voyageais en compagnie d'un assassin. Celui-ci se tenait coi dans la carriole, regardant avec assez d'insouciance les arbres du chemin, qui fuyaient avec autant de rapidité que sa vie promise à l'échafaud. Il avait une figure douce, quoique brune et fortement colorée.

      – Pourquoi donc a-t-il assommé son maître?.. dis-je au brigadier.

      – Pour une misère… répondit le gendarme. En allant à la foire de Tours, son bourgeois, qui était un fort métayer, avait promis de rapporter les cadeaux d'usage à la fille de basse-cour et à ce gars-là… Pour lors, il s'agissait d'un tablier pour elle, et d'un gilet rouge pour lui. Au retour, il paraît que le fermier eut quelque motif de mécontentement contre lui. Il donna bien le tablier à la fille, mais il garda le gilet. Assoupi par la chaleur, et fatigué, vu qu'il avait fait la route sans arrêt et à cheval, il s'endormit sur le coin de sa table, dans la salle. Alors le gars prit la barre de fer, et lui en asséna un grand coup sur la nuque; le métayer a encore eu la force de se relever et de lui dire:

      – Malheureux!..

      Et il lui a donné un second coup, qui finalement l'a tué raide. Et après il a été se cacher dans l'écurie avec le gilet; mais il n'a pas seulement pris un liard de l'argent que son maître rapportait de Tours, et il s'est laissé empoigner sans résistance.

      – Comment, lui dis-je, en me tournant vers le paysan, as-tu pu tuer un homme pour un gilet?..

      – Dam!.. j'avais compté là-dessus pour aller à la danse.

      Ce fut tout ce que je tirai de ce garçon… qui ne paraissait point méchant du tout. Les gendarmes ne lui avaient seulement pas lié les mains. La voiture vint à verser au-dessus de Bellon. – Mais non, elle ne versa pas. L'un des brancards s'était cassé. Nous en sortîmes tous; les gendarmes se mirent de chaque côté de ce malheureux en le laissant libre; néanmoins ils avaient l'oeil sur lui. Ce gaillard-là, voyant le conducteur s'y prendre assez mal pour relever la patache, l'aida, lia lui-même une perche pour remplacer le brancard; et quand tout fut fini:

      – Ah! ça ira!.. maintenant, dit-il en achevant de serrer le dernier noeud d'une corde, et il remonta dans cette voiture qui le menait pour ainsi dire au supplice. Il fut exécuté à Tours.

      – Bah! ce sang froid n'a rien de bien extraordinaire, dit un jeune homme qui était venu du salon du jeu, au milieu de ma narration, et n'avait pas assisté aux prémisses de mon argumentation. Il existe une foule d'anecdotes sur les derniers momens des criminels; et, si je vous cite à ce propos un fait de ce genre, bien autrement curieux, c'est parce que je le crois peu connu; je l'ai entendu raconter à l'auteur des Souvenirs de la Révolution. Le syndic du tribunal de Brest se nommait Vignes, et le président Vigneron. Ils furent condamnés à mort. En se trouvant sur l'échafaud, l'un d'eux, M. Vignes, dit à l'autre en lui montrant la foule:

      – Hein! ils vont se trouver bien embarrassés sans vignes ni vigneron.

      M. Vignes passa le premier; mais au moment où le couteau lui tranchait la tête, les deux montans de la guillotine se désunirent; enfin il se dérangea quelque chose dans l'instrument du supplice, et comme il était fort tard, l'exécuteur des hautes-oeuvres républicaines dit au président:

      – Ma foi, monsieur, vous voilà sauvé; car c'est quelque chose que vingt-quatre heures par ce temps-ci.

      – Il faut que tu sois un grand lâche, répondit M. Vigneron. Comment, parce que tes planches ont un peu joué, tu vas me faire attendre? Le jugement ne m'a pas condamné à vivre vingt-quatre heures de plus…

      Il prit lui-même le marteau, les clous, et raccommoda la guillotine; puis, quand elle fut jugée solide, il se coucha sur la planche, et fut exécuté.

      Ceci est autre chose que de mettre une perche à un brancard, et c'est du sang froid argent comptant…

      – Docteur, dit une dame, vous qui devez voir beaucoup de mourans, avez-vous rencontré souvent des exemples de cette singulière tranquillité?..

      – Madame, dit-il, les criminels sont ordinairement des gens doués d'une organisation très-puissante, en sorte qu'ils ont plus de chances que les malades affaiblis par de longues agonies pour dire de jolies choses. On les tue vivans, tandis que les malades meurent tués. Puis, chez certains hommes, l'ame est fortement excitée par l'attente du supplice, et ils rassemblent toutes leurs forces pour soutenir cet assaut. Il y a exaltation. Cependant j'ai vu de belles morts particulières… Pour moi, la plus belle a été celle de la femme d'un célèbre médecin allemand, auquel j'étais fort attaché. Le tableau que cette scène nous offrit est toujours vif et coloré comme au moment où j'en fus témoin.

      Nous avions passé la nuit au chevet de la mourante; elle était attaquée de la poitrine, et la pulmonie, arrivée au dernier degré, ne laissait aucun espoir. Mon maître s'était endormi; sa femme, s'étant réveillée vers quatre heures du matin, me fit, de la manière la plus touchante et en souriant, un signe amical pour me dire de la laisser reposer, et cependant elle allait mourir. Elle était arrivée à une maigreur extraordinaire; mais son visage avait conservé ses traits et ses formes, qui étaient belles. Sa pâleur faisait ressembler sa peau à de la porcelaine derrière laquelle il y a une lumière. Ses yeux vifs et ses couleurs tranchaient sur ce teint plein d'une molle élégance, et il y avait dans sa physionomie une sorte de sublimité qui imposait. Elle paraissait plaindre son mari, auquel sa vie avait été vouée; mais ce sentiment prenait sa source dans une tendresse élevée, qui semblait ne plus connaître de bornes aux approches de la mort. Le silence était profond; la chambre, doucement éclairée par une lampe, avait l'aspect de toutes les chambres de malades au moment de la mort. C'était un désordre pittoresque… En ce moment, la pendule sonna, et le docteur, au désespoir d'avoir dormi, se réveilla. Je ne vis pas le geste d'impatience par lequel il peignit le regret qu'il éprouvait d'avoir perdu de vue sa femme pendant un des derniers momens qui lui étaient accordés; mais il est sûr qu'une personne autre que la mourante aurait pu s'y tromper. Ce médecin, homme d'un grand talent, avait mille de ces bizarreries apparentes qui font prendre les gens de génie pour des fous, mais dont l'explication se trouve dans la nature exquise et les exigences de leur esprit. Il vint se mettre dans un fauteuil, près du lit de sa femme, et la regarda fixement. Alors elle avança un peu la main, prit celle de son mari, la serra faiblement, et d'une voix douce, mais émue, elle lui dit:

      – Mon pauvre ami, qui donc maintenant te comprendra?..

      Puis elle mourut en le regardant.

      – Les histoires que conte le docteur, reprit une dame après un moment de silence, me font des impressions bien profondes.

      Le médecin salua gravement.

      – Oui, elles sont douces et intéressantes; il nous émeut sans employer les atrocités si fort à la mode aujourd'hui…

      – Ma réserve, dit-il, n'est certes pas de l'impuissance, et je vous prie de croire, madame, que j'ai ma provision d'horrible tout comme un autre.

      – Eh bien! s'écria la maîtresse de la maison, racontez-nous un peu quelque chose d'affreux. Je voudrais voir la couleur de votre tragique, quand ce ne serait que pour le comparer avec celui qui a présentement cours à la bourse littéraire.

      – Malheureusement, madame, je ne parle que de ce que j'ai vu.

      – Eh bien!

      – Mais je dois avoir le dessous avec les gens qui ont sur moi tous les avantages que donne l'imagination. Je ne puis pas vous mettre en scène deux frères nageant en pleine mer et se disputant une planche…

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