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Fougeret de Monbron

      Margot la Ravaudeuse

      Voici enfin cette Margot la Ravaudeuse, dont le Général de la Pousse,1 sollicité par le Corps des Catins & de leurs infames Supôts, voulut faire un crime d'Etat à son Auteur. Comme on ne l'accusoit pas moins que d'avoir attaqué dans cet Ouvrage, la Religion, le Gouvernement & le Souverain, il s'est déterminé à le mettre au jour, craignant que son silence ne déposât contre lui, & qu'on ne le crût réellement coupable. Le Public jugera qui a tort ou raison.

      MARGOT LA RAVAUDEUSE

      Ce n'est point par vanité, encore moins par modestie, que j'expose au grand jour les rôles divers que j'ai joués pendant ma jeunesse. Mon principal but est de mortifier, s'il se peut, l'amour-propre de celles qui ont fait leur petite fortune par des voies semblables aux miennes, & de donner au Public un témoignage éclatant de ma reconnoissance, en avouant que je tiens tout ce que je posséde de ses bienfaits & de sa générosité.

      Je suis née dans la rue saint Paul, & c'est à l'union clandestine d'un honnête Soldat aux Gardes & d'une Ravaudeuse que je suis redevable de mon existence. Ma mere, naturellement fainéante, m'instruisit de bonne heure dans l'art de ressertir & rapetasser proprement des chausses, afin de se débarrasser le plutôt qu'il lui seroit possible du soin de la profession sur moi. J'avois atteint ma treiziéme année, lorsqu'elle crut pouvoir me céder son tonneau2 & ses pratiques, aux conditions pourtant de lui rendre chaque jour un compte exact de mon gain. Je répondis si parfaitement à ses espérances, qu'en moins de rien je devins la perle des ravaudeuses du quartier. Je ne bornois pas mes talens à la seule chaussure, je savois aussi très-bien raccommoder les vieilles culottes & y remettre des fonds; mais ce qui ajoutoit à mon habileté, & me rendoit le plus recommandable, c'étoit une phisionomie charmante dont la nature m'avoit gratifiée. Il n'y avoit personne des environs qui ne voulût être ravaudé de ma façon. Mon tonneau étoit le rendez-vous de tous les laquais de la rue St. Antoine. Ce fut en si bonne compagnie que je pris les premiéres teintures de la belle éducation & du savoir vivre, que j'ai beaucoup perfectionnés depuis, dans les différens états où je me suis trouvée. Ma Parentéle m'avoit transmis par le sang & par ses bons exemples un si grand panchant pour les plaisirs libidineux, que je mourois d'envie de marcher sur ses traces, & d'expérimenter les douceurs de la copulation. Mr. Tranche-montagne (c'étoit mon pere), ma mere & moi nous occupions au quatriéme étage, une seule chambre meublée de deux chaises de paille, de quelques plats de terre à moitié rompus, d'une vieille armoire, & d'un grand vilain grabat sans rideaux & sans impérial, où nous reposions tous trois.

      A mesure que je grandissois, je dormois d'un sommeil plus interrompu, & devenois plus attentive aux actions de mes compagnons de couche. Quelquefois ils se trémoussoient d'une maniére si vigoureuse, que l'élasticité du chalit me forçoit à suivre tous leurs mouvemens. Alors ils poussoient de gros soupirs en articulant à voix basse les mots les plus tendres que la passion leur suggérât. Cela me mettoit dans une agitation insupportable. Un feu dévorant me consumoit: j'étouffois; j'étois hors de moi-même. J'aurois volontiers battu ma mere, tant je lui enviois les délices qu'elle goutoit. Que pouvois-je faire en pareille conjoncture, sinon de recourir à la récréation des solitaires? Heureuse encore dans un besoin aussi pressant de n'avoir pas la crampe au bout des doigts. Mais, helas! en comparaison du réel & du solide, la pauvre ressource! & qu'on peut bien l'appeller un jeu d'enfant! Je m'épuisois, je m'énervois en vain; je n'en étois que plus ardente, plus furieuse. Je pâmois de rage, d'amour & de désirs: j'avois, en un mot, tous les Dieux de Lampsaque dans le corps. Le joli tempérament pour une fille de quatorze ans! mais, comme l'on dit, les bons chiens chassent de race.

      Il est aisé de juger qu'impatiente & tourmentée de l'aiguillon de la chair, ainsi que je l'étois, je songeai sérieusement à faire choix de quelque bon ami, qui pût éteindre, ou du moins apaiser la soif insupportable qui me desséchoit.

      Parmi la nombreuse valetaille dont je recevois incessanment les hommages, un Palefrenier jeune, robuste & bien découplé, me parut être digne de mes attentions. Il me troussa un compliment à la Palefreniére, & me jura qu'il n'étrilloit jamais ses chevaux sans songer à moi. A quoi je répondis que je ne rapetassois jamais une culotte, que l'image de Mr. Pierrot (c'étoit son nom) ne me trotât dans la cervelle. Nous nous dimes très-sérieusement une infinité d'autres gentillesses de ce genre, dont je ne me rappelle pas assez l'élégante tournure pour les répéter au Lecteur. Il suffit qu'il sache que Pierrot & moi nous fumes bientôt d'accord, & que peu de jours après nous scellames notre liaison du grand sceau de Cythére, dans un petit cabaret borgne vers la Rapée. Le lieu du sacrifice étoit garni d'une table étayée de deux trétaux pourris, & d'une demi douzaine de chaises disloquées. Les murs étoient remplis de quantité de ces hiéroglifes licencieux, que d'aimables débauchés en belle humeur crayonnent ordinairement avec du charbon. Notre festin répondoit au mieux à la simplicité du sanctuaire. Une pinte de vin à huit sols, pour deux de fromage, & autant de pain; le tout bien calculé, montoit à la somme de douze. Nous officiames néanmoins d'aussi grand cœur, que si nous eussions été à un louis par tête chez Duparc.3 On ne doit pas en être surpris. Les mêts les plus grossiers, assaisonnés par l'amour, sont toujours délicieux.

      Enfin, nous en vinmes à la conclusion. L'embarras fut d'abord de nous arranger; car il n'étoit pas prudent de se fier ni à la table, ni aux chaises. Nous primes donc le parti de rester debout. Pierrot me colla contre le mur. Ah! puissant Dieu des jardins! je fus effrayée à l'aspect de ce qu'il me montra. Quelles secousses! quels assauts! la paroi ébranlée gémissoit sous ses prodigieux efforts. Je souffrois mort & passion. Cependant de mon côté je m'évertuois de toutes mes forces, ne voulant pas avoir à me reprocher que le pauvre garçon eût supporté seul la fatigue d'un travail si pénible. Quoi qu'il en soit, malgré notre patience & notre courage mutuels, nous n'avions fait encore que de bien médiocres progrès, & je commençois à désespérer que nous pussions couronner l'œuvre, lorsque Pierrot s'avisa de mouiller de sa salive la foudroyante machine. O nature! nature, que tes secrets sont admirables! Le reduit des voluptés s'entrouvrit; il y pénétra: que dirai-je de plus? Je fus bien & dûment déflorée. Depuis ce tems-là je dormis beaucoup mieux. Mille songes flatteurs présidoient à mon repos. Monsieur & Madame Tranche-montagne avoient beau faire craquer le lit dans leurs joyeux ébats, je ne les entendois plus. Notre innocent commerce dura environ un an. J'adorois Pierrot, Pierrot m'adoroit. C'étoit un garçon parfait, auquel on ne pouvoit reprocher aucun vice, sinon, qu'il étoit gueux, joueur & ivrogne. Or, comme entr'amis tous biens doivent être communs, & que le riche doit assister le pauvre, j'étois le plus souvent obligée de fournir à ses dépenses. On dit proverbialement, qu'un Palefrenier mangeroit son étrille, quand même il auroit affaire à la Reine. Celui-ci, tout au contraire, pour ménager la sienne, me mangea mon fonds de boutique & mon tonneau. Il y avoit déjà long-tems que ma mere s'appercevoit du dépérissement de mes affaires, & qu'elle m'en faisoit d'austéres réprimandes. La renommée lui apprit bientôt que j'avois mis le comble à mon dérangement. La bonne maman dissimula; mais un beau matin que je dormois d'un sommeil létargique, elle s'arma de l'ame d'un balai neuf; & m'ayant traitreusement passé la chemise par-dessus la tête, elle me mit les fesses tout en sang avant que je pusse me débarrasser. Quelle humiliation pour une grande fille comme moi, de se voir ainsi flageller! J'en étois si outrée, que je résolus sur le champ de m'émanciper, & d'aller tenter fortune où je pourrois. L'esprit plein de mon projet, je profitai de l'instant que ma mere étoit dehors: je me vêtis à la hâte de mes atours des Dimanches, & dis un éternel adieu au domicile de Madame Tranche-montagne. J'enfilai au hazard le chemin de la Grêve, & cotoyant la riviére jusqu'au Pont-Royal, j'entrai dans les Thuileries. Je fis d'abord presque le tour du Jardin sans songer à ce que je faisois. Enfin, un peu revenue de mes premiers transports, je m'assis sur la terrasse des Capucins. Il y avoit un demi quart d'heure que j'y rêvois au parti que je prendrois, lorsqu'une petite Dame, vêtue assez proprement, & d'un maintien décent, vint se mettre à côté de moi. Nous nous saluames réciproquement, & liames conversation par les lieux communs ordinaires de gens qui ont envie de jaser, quoiqu'ils n'aient rien à se dire. Ah! mon Dieu, Mademoiselle, ne sentez-vous pas qu'il fait bien chaud? Excessivement chaud, Madame. Heureusement il fait un peu d'air. Oui, Madame,

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<p>1</p>

Le Lieutenant de Police.

<p>2</p>

La plupart des raccommodeuses de bas à Paris, sont dans des tonneaux.

<p>3</p>

Traiteur de l'Hôtel de Ville.