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Christine. Enault Louis
Читать онлайн.Название Christine
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Enault Louis
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Axel eût peut-être continué longtemps sur ce ton, mais il fut interrompu par deux petits coups frappés à la porte.
C'était Norra qui revenait accompagnée d'une seconde piga (c'est le nom qu'on donne à ces jeunes filles1), portant les flacons et les plateaux. On eût dit deux jolis lutins échappés à cette fraîche province du Bléking, où le sang rose coule sous la peau satinée. En deux minutes le souper fut servi.
«Plaise à Votre Honneur, si quelque chose manque, deux coups sur le verre… et bon appétit!..»
Les deux pigas sortirent en faisant force révérences.
Axel découpa lestement un jerper, sorte de gibier de la taille d'un fort pigeon, à la chair blanche et savoureuse, dont le fumet délicat excite l'appétit et donne soif. Georges fit sauter le bouchon cerclé de fer d'une bouteille à fine encolure.
«Et maintenant, dit le chevalier en choquant les verres, à la santé de vos amours.
– Attendez donc!
– Quoi!
– La seconde bouteille!
– Alors, dépêchons de boire la première.»
Le souper fût très-gai, plein de verve: les deux jeunes gens étaient de joyeux compagnons. Cependant Georges versait plus qu'il ne buvait, en homme qui veut se taire et écouter. Axel ne demandait qu'à parler: il n'attendit pas le troisième verre pour commencer ses confidences.
«Pardieu! dit-il, vous croyez que je ne vous vois pas venir? Vous n'osez pas m'interroger et vous brûlez d'envie de m'en tendre… Ne soyez donc pas boutonné comme cela jusqu'au menton: vous apportez partout un air de chancellerie; nous ne sommes pas ici dans un congrès.
– Je n'interroge jamais! dit Georges.
– Mais vous écoutez toujours.
– C'est un peu mon métier.
– Vous vous arrangez de façon à cumuler le bénéfice du silence et de l'indiscrétion.
– Et vous, comptez-vous donc pour rien le plaisir de parler?
– Au fait, que voulez-vous savoir?
– Tout ce qu'il vous plaira de m'apprendre.
– Eh bien, sachez donc que la comtesse – car c'est de la comtesse qu'il s'agit, j'imagine!..
– Eh oui, bourreau! pourquoi me retournez-vous ainsi sur les charbons?
– Enfin, voilà un cri du cœur, et il vous comptera plus auprès de moi que deux bouteilles de Cliquot. Sachez donc que la comtesse est un ange.
– Prenez garde, chevalier, vous allez tomber dans le lieu commun.
– La comtesse est un ange que l'on accoupla jadis à un démon.
– Son mari! Je connais cela, toutes les histoires commencent ainsi.
– Alors, j'abrège; donc, M. le comte de Rudden était un assez piètre sire, pour ne pas dure plus, et il mérita… tous les malheurs qu'il n'a pas eus. Enfin, après cinq ou six ans de cet enfer anticipé qu'on appelle un mariage mal assorti, le comte mourut. Ce fut la première politesse qu'il eût jamais faite à sa femme. Il la laissait jeune, riche et belle, et avec un passé de malheur que beaucoup d'hommes auraient bien voulu lui faire oublier.
«La comtesse est la franchise même. Elle ne feignit donc point une douleur à laquelle d'ailleurs personne n'aurait crû. Mais elle porta sévèrement son deuil, et, avec ce sentiment des convenances qui ne l'abandonne jamais, elle quitta Stockholm, passa dix-huit mois dans ses terres, puis revint ici, et ouvrit ses salons, qui furent bientôt les plus agréables de la ville. M. de Rudden eût été assez étonné de la métamorphose; mais il eut le bon esprit de ne pas revenir. Cependant sa veuve fut demandée en mariage par tous ceux qui avaient quelque raison de se mettre sur les rangs, et même par d'autres. Celui-ci convoitait sa fortune; cet autre, sa beauté; un troisième, l'appui naturel qu'il trouverait dans ses alliances, car elle est des Oxen-Stjerna, et tient à tout ce qu'il y a de grand dans ce pays. Christine n'accepta personne: elle n'aimait point. Mais les amants repoussés devinrent pour elle les plus dévoués des amis. Que ceci soit dit à leur louange et à la sienne.
– Et vous chevalier?
– Moi, mon cher comte, sans doute j'aurais fait comme les autres; mais j'étais en France quand Mme de Rudden revint à Stockholm, et, à mon retour, je la trouvai si fortement retranchée dans sa position de veuve inexpugnable, que je résolus de commencer comme les autres avaient fini.
– Et de finir comme ils avaient commencé?
– Point, mais de me résigner tout d'abord à l'amitié sans passer par l'amour.
– C'est pourtant le chemin le plus court et le plus sûr, à ce qu'on prétend. La belle veuve ne vous aura pas su gré de votre discrétion rare… croyez-en ma vieille expérience.
– Quel âge avez-vous, mon cher Georges?
– Vingt-six ans, mon cher Axel.»
Axel se mit à rire.
«Mais les années de campagne comptent double! reprit le comte. Oui, continua-t-il, les femmes qui se défendent le mieux aiment cependant à être attaquées, ne fût-ce que pour se défendre! Elles veulent se refuser, mais elles ne veulent pas qu'on ne les demande point.
– Ceci peut être vrai à Paris; mais c'est un manège de coquette, et nous ne comprenons guère toutes ces subtilités. Soyez certain que vous jugez mal Mme de Rudden. Elle est exempte d'artifice. Je vous l'ai déjà dit: c'est la simplicité même. Elle est trop bonne pour se complaire au spectacle du mal qu'elle aurait fait, et elle est trop étrangère à tout calcul de vanité pour traîner après elle un cortège de cœurs captifs. Je vous le répète: vous ne la connaissez point. Ce n'est pas une nature tout à fait comme une autre. Le jour où elle aimera, elle est femme à le dire la première et à mettre loyalement sa main dans la main de l'homme qu'elle aura choisi. Oh! celui-là sera un homme heureux, et je bois à sa santé!» continua le chevalier en choquant son verre contre celui du comte.
Georges était devenu très-sérieux. Il trinqua sans boire.
«Et ce major, ce baron de Vendel, reprit-il au bout d'un instant, qu'est-ce donc?
– C'est le meilleur ami de la comtesse; il a pour elle, depuis tantôt dix ans, une amitié passionnée; ou plutôt il a de l'amour. – Allons! ne vous emportez pas: vous avez des yeux qui flambent! Cependant le choix d'un homme comme le major ne peut que vous flatter; il justifie vos préférences. Le baron ne cache pas ses sentiments; il s'en vanterait presque, et le monde les respecte, tant il les croit sincères. Christine est sa dame, comme disaient nos pères, et nos pères disaient bien. Il a pour elle le culte chevaleresque des preux du moyen âge; il irait se faire tuer, avec ses couleurs sur la poitrine, sa pensée au cœur et son nom sur les lèvres. Saluez, mon cher comte! on ne rencontre pas des amours comme celui-là tous les soirs! Christine le sait et s'en montre profondément reconnaissante. Mais il a cinquante ans et relâche tous les six mois un cran de son ceinturon. Ce n'est ni l'âge ni la taille qu'il faut pour aller chanter: Je suis Lindor! sous les fenêtres de Rosine. Du reste, le baron ne s'en fait point accroire, et il n'a aucun des ridicules d'un prétendant suranné. Il désire assez, n'espère pas beaucoup, et ne demande rien. «Aujourd'hui, lui dit-il parfois, vous êtes plus jeune que moi… mais, dans dix ans, nous serons à peu près du même âge.» Ce brave major calcule à sa manière. «Je n'ai pas le droit d'être impatient; je n'aurais pas d'excuse. J'attendrai tant que vous voudrez, – toujours! si vous ne voulez jamais. Enfin, me voilà! vous savez où je suis… j'y reste; vous n'avez qu'à me faire un signe, et même c'est inutile, je crois que je devinerai sans cela!
– En attendant, soyons
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