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Est-ce que les Françaises sont vraiment belles?

      – Quelquefois… mais…

      – Il y a un mais?

      – Hélas! oui; leur beauté, presque toujours, a plus d'éclat que de charme. Il leur manque ce je ne sais quoi d'intime que l'on retrouve seulement dans les races du Nord. A moins d'une grande passion, rare partout, rare surtout chez elles, leur beauté luit pour tout le monde, comme le soleil à midi.

      – Vous me semblez, dit la comtesse en riant, un casuiste subtil en ces matières, et je voudrais connaître votre opinion sur…

      – Les Suédoises?

      – Oh! une opinion générale.

      – Eh bien, dit Georges, si vous me permettez encore une comparaison astronomique, je dirai que de ce côté-ci de la Baltique vous êtes belles plus souvent à la façon de ces blondes étoiles qui se lèvent à minuit, et gardent leurs doux rayons pour deux yeux solitaires.

      – Est-ce que vous êtes poëte, monsieur le comte?

      – Hélas! non, madame, je suis diplomate.

      – Vous venez de rendre avec une image heureuse une idée trop flatteuse peut-être pour mes compatriotes. Je ne sais pas si elle est tout à fait vraie, mais je voudrais qu'elle le fût.

      – Cependant, reprit Georges en attachant sur elle un regard qui ne dissimulait pas assez son admiration vive, il y a des beautés tellement radieuses, qu'il serait peut-être injuste de les vouloir réduire au simple rôle d'étoiles; elles auraient le droit de se plaindre.

      – C'est qu'elles ne seraient pas raisonnables, dit la comtesse en riant; car il serait difficile, même à une femme, d'aller plus haut.

      – Après cela, fit Georges en relevant les yeux, ces chastes étoiles, on est souvent plusieurs à les regarder d'en bas.

      – Et elles n'en savent rien! reprit Christine avec un fin sourire.

      – C'est un malheur de plus, madame.

      – Pour qui? pour les étoiles?

      – Non, pour ceux qui les regardent.»

      Un nuage passa sur le front du jeune diplomate: la mélancolie lui allait bien; il parut s'abandonner à une rêverie silencieuse.

      «Les observations s'arrêtent là? demanda Christine; je le regrette, car vous m'intéressiez.

      – J'ai toujours cru, répondit-il, que les femmes de votre pays entendaient même ce qu'on ne leur disait pas.»

      Christine le regarda de son beau regard clair et franc; ses yeux s'arrêtèrent un instant sur les yeux du jeune homme, puis elle les détourna bientôt avec une expression d'inquiétude et de contrariété. Rien au monde n'était moins capable de lui plaire qu'un compliment banal; la menue monnaie de la galanterie n'était pas reçue chez elle. On va plus vite à Paris qu'à Stockholm. La comtesse le savait, et son esprit se mit en garde. C'était peine inutile: elle ne fut point attaquée. Georges avait parfois l'allure aventureuse; mais, s'il allait loin, il savait s'arrêter à temps. C'est là le tact suprême, et le monde seul peut le donner.

      Un murmure de l'orchestre arriva jusqu'au boudoir. M. de Simiane profita de l'occasion pour rompre le courant d'idées qui peut-être emportait l'âme de Christine loin de lui.

      «Vous dansez, madame? lui dit-il en reprenant son air d'enjouement léger.

      – Plus!

      – C'est une résolution?

      – Arrêtée.

      – Vous n'en changerez pas?

      – Je ne le crois guère.

      – C'est que…

      – Achevez.

      – J'ai bien envie de faire un tour de valse.

      – Ah! la raison est bonne, dit Christine en retrouvant son sourire; mais voilà les trois filles de l'ambassadeur d'Autriche; elles dansent comme des Péris… ou des Allemandes.

      – Je voudrais danser avec une Suédoise.

      – Justement! voici venir la jolie Mina de Welfen: invitez-la, vous allez faire son bonheur.

      – J'aimerais mieux faire le mien! Madame la comtesse, c'est avec vous que je voudrais avoir l'honneur de valser.»

      L'orchestre achevait le prélude de l'Invitation, de Weber. Elle faisait fureur alors à Stockholm comme à Paris. La comtesse se leva, et, sans dire un mot, elle mit sa main dans celle de Georges. Deux couples passèrent en valsant dans le boudoir. Georges et Christine les suivirent et entrèrent dans le tourbillon.

      «Je crois que j'ai oublié! murmura la comtesse en essayant ses premiers pas.

      – Ayez confiance,» dit Georges à demi-voix en effleurant des lèvres son oreille nacrée.

      Et, raffermissant son étreinte, il l'enleva.

      O valse! poésie du corps! rhythme du mouvement harmonieux! hymne de la séduction, écrite avec des strophes de poses! ô valse! charme et enchantement! Werther avait raison de te maudire, et les prédicateurs n'ont pas tort de te défendre.

      Mais Werther n'a jamais sauvé personne, et tout le monde n'écoute pas les prédicateurs.

      Georges et Christine valsèrent.

      Christine avait le don de la grâce, et cette grâce, elle la portait en toute chose. La valse semblait faite pour lui donner l'occasion de déployer à la fois et de mettre dans leur jour éclatant toutes ces beautés de la femme, que, dans le repos, on pouvait seulement soupçonner. Le jeune homme l'enveloppait d'un long regard, et il admirait tour à tour cette taille élégante et souple qui ployait sous son bras; cette main un peu longue, mais si fine, qu'elle disparaissait dans la sienne; ces belles épaules que le mouvement de la valse tantôt noyait dans l'ombre et tantôt ramenait toutes frémissantes sous l'éclatante lumière. Cependant peu à peu la musique pénétrante, l'éblouissement des bougies, l'enivrement du tourbillon, le contact de ce beau corps contre sa poitrine, le vague parfum exhalé des cheveux, tout contribuait à jeter dans l'âme de Georges un trouble que depuis longtemps il ne connaissait plus.

      Depuis qu'il s'était engagé avec elle dans le cercle mouvant, il n'avait point adressé la parole à Christine. Il voulut rompre ce silence, qui devenait embarrassant pour tous deux, et il regarda son visage. L'animation de la danse l'avait en quelque sorte transfigurée. Un demi-sourire errait sur ses lèvres, légèrement, comme un oiseau qui voltige sans se poser; sa joue, naturellement pâle, se teintait d'un carmin délicat, comme si la rose de la jeunesse s'était épanouie en elle tout à coup. Elle sentit le regard qui s'arrêtait sur elle, et, relevant ses paupières brunes, elle tourna vers Georges ses grands yeux, qui semblaient nager dans la joie divine de l'extase. Elle était vraiment au-dessus de toute banalité plus ou moins élégamment tournée: un compliment vulgaire devait sonner comme une fausse note à son oreille. Georges le comprit, et il se tut.

      Comme il la reconduisait:

      «Weber est un grand et noble génie, lui dit-il, et nul, à mon gré, n'a mieux interprété les sentiments du cœur. Sa musique est comme le soupir de l'âme.

      – C'est pour cela que vous ne parlez point quand on la joue?

      – Oui, dit-il à son tour, c'est précisément parce qu'elle exprime si bien ce que je sens que je me garde de l'interrompre.»

      Christine se rassit.

      «On assure, fit-elle en lui jetant un coup d'œil rapide, que les Français parlent un peu légèrement des choses sérieuses.

      – Je ne sais pas, répondit-il; il y a fort longtemps que je vis à l'étranger.»

      Quelques amis de Christine s'étaient rapprochés d'elle. Georges la salua profondément et rentra dans le salon où l'on dansait.

      «En vérité, comtesse, dit un homme d'une quarantaine d'années qui venait de prendre la main de Mme de Rudden à l'instant même où M. de Simiane s'éloignait

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