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très riches, et qui seront enchantées de nous appartenir.

      »Ma femme se joint à moi pour vous dire toute la joie que vous nous ferez, et vous prie d'agréer ses vœux pour la réalisation de ce projet et l'assurance de nos respects affectueux.

»Luc-Savinien, comte de Portenduère.»

      – Quelles lettres pour une Kergarouët! s'écria la vieille Bretonne en essuyant ses yeux.

      – L'amiral ne sait pas que son neveu est en prison, dit enfin l'abbé Chaperon; la comtesse a seule lu votre lettre, et seule a répondu. Mais il faut prendre un parti, reprit-il après une pause, et voici ce que j'ai l'honneur de vous conseiller. Ne vendez pas votre ferme. Le bail est à fin, et voici vingt-quatre ans qu'il dure; dans quelques mois, vous pourrez porter son fermage à six mille francs, et vous faire donner un pot-de-vin d'une valeur de deux années. Empruntez à un honnête homme, et non aux gens de la ville qui font le commerce des hypothèques. Votre voisin est un digne homme, un homme de bonne compagnie, qui a vu le beau monde avant la Révolution, et qui d'athée est devenu catholique. N'ayez point de répugnance à le venir voir ce soir, il sera très sensible à votre démarche; oubliez un moment que vous êtes Kergarouët.

      – Jamais! dit la vieille mère d'un son de voix strident.

      – Enfin soyez une Kergarouët aimable; venez quand il sera seul, il ne vous prêtera qu'à trois et demi, peut-être à trois pour cent, et vous rendra service avec délicatesse, vous en serez contente; il ira délivrer lui-même Savinien, car il sera forcé de vendre des rentes, et vous le ramènera.

      – Vous parlez donc de ce petit Minoret?

      – Ce petit a quatre-vingt-trois ans, reprit l'abbé Chaperon en souriant. Ma chère dame ayez un peu de charité chrétienne, ne le blessez pas, il peut vous être utile de plus d'une manière.

      – Et comment?

      – Mais il a un ange auprès de lui, la plus céleste jeune fille.

      – Oui, cette petite Ursule… Eh! bien, après!

      Le pauvre curé n'osa poursuivre en entendant cet: Eh! bien, après? dont la sécheresse et l'âpreté tranchaient d'avance la proposition qu'il voulait faire.

      – Je crois le docteur Minoret puissamment riche…

      – Tant mieux pour lui.

      – Vous avez déjà très indirectement causé les malheurs actuels de votre fils en ne lui donnant pas de carrière, prenez garde à l'avenir! dit sévèrement le curé. Dois-je annoncer votre visite à votre voisin?

      – Mais pourquoi, sachant que j'ai besoin de lui, ne viendrait-il pas?

      – Ah! madame, en allant chez lui, vous payerez trois pour cent; et s'il vient chez vous, vous payerez cinq, dit le curé qui trouva cette belle raison afin de décider la vieille dame. Et si vous étiez forcée de vendre votre ferme par Dionis le notaire, par le greffier Massin, qui vous refuseraient des fonds en espérant profiter de votre désastre, vous perdriez la moitié de la valeur des Bordières. Je n'ai pas la moindre influence sur des Dionis, des Massin, des Levrault, les gens riches du pays qui convoitent votre ferme et savent votre fils en prison.

      – Ils le savent, ils le savent, s'écria-t-elle en levant les bras. Oh! mon pauvre curé, vous avez laissé refroidir votre café… Tiennette! Tiennette!

      Tiennette, une vieille Bretonne à casaquin et à bonnet breton, âgée de soixante ans, entra lestement et prit, pour le faire chauffer, le café du curé.

      – Soyez paisible, monsieur le recteur, dit-elle en voyant que le curé voulait boire, je le mettrai dans le bain-marie, il ne deviendra point mauvais.

      – Eh! bien, reprit le curé de sa voix insinuante, j'irai prévenir monsieur le docteur de votre visite, et vous viendrez.

      La vieille mère ne céda qu'après une heure de discussion, pendant laquelle le curé fut obligé de répéter dix fois ses arguments. Et encore l'altière Kergarouët ne fut-elle vaincue que par ces derniers mots: – Savinien irait!

      – Il vaut mieux alors que ce soit moi, dit-elle.

      Neuf heures sonnaient quand la petite porte ménagée dans la grande se fermait sur le curé, qui sonna vivement à la grille du docteur. L'abbé Chaperon tomba de Tiennette en Bougival, car la vieille nourrice lui dit: – Vous venez bien tard, monsieur le curé! comme l'autre lui avait dit: – Pourquoi quittez-vous sitôt madame quand elle a du chagrin?

      Le curé trouva nombreuse compagnie dans le salon vert et brun du docteur, car Dionis était allé rassurer les héritiers en passant chez Massin pour leur répéter les paroles de leur oncle.

      – Ursule, dit-il, a, je crois, un amour au cœur qui ne lui donnera que peine et soucis; elle paraît romanesque (l'excessive sensibilité s'appelle ainsi chez les notaires), et nous la verrons longtemps fille. Ainsi pas de défiance: soyez aux petits soins avec elle, et soyez les serviteurs de votre oncle, car il est plus fin que cent Goupils, ajouta le notaire, sans savoir que Goupil est la corruption du mot latin vulpes, renard.

      Donc, mesdames Massin et Crémière, leurs maris, le maître de poste et Désiré formaient avec le médecin de Nemours et Bongrand une assemblée inaccoutumée et turbulente chez le docteur. L'abbé Chaperon entendit en entrant les sons du piano. La pauvre Ursule achevait la symphonie en la de Beethoven. Avec la ruse permise à l'innocence, l'enfant, que son parrain avait éclairée et à qui les héritiers déplaisaient, choisit cette musique grandiose et qui doit être étudiée pour être comprise, afin de dégoûter ces femmes de leur envie. Plus la musique est belle, moins les ignorants la goûtent. Aussi, quand la porte s'ouvrit et que l'abbé Chaperon montra sa tête vénérable: – Ah! voilà monsieur le curé, s'écrièrent les héritiers heureux de se lever tous et de mettre un terme à leur supplice.

      L'exclamation trouva un écho à la table de jeu où Bongrand, le médecin de Nemours et le vieillard étaient victimes de l'outrecuidance avec laquelle le percepteur, pour plaire à son grand-oncle, avait proposé de faire le quatrième au whist. Ursule quitta le forté. Le docteur se leva comme pour saluer le curé, mais bien pour arrêter la partie. Après de grands compliments adressés à leur oncle sur le talent de sa filleule, les héritiers tirèrent leur révérence.

      – Bonsoir, mes amis, s'écria le docteur quand la grille retentit.

      – Ah! voilà ce qui coûte si cher, dit madame Crémière à madame Massin quand elles furent à quelques pas.

      – Dieu me garde de donner de l'argent pour que ma petite Aline me fasse des charivaris pareils dans la maison, répondit madame Massin.

      – Elle dit que c'est de Bethovan, qui passe cependant pour un grand musicien, dit le receveur, il a de la réputation.

      – Ma foi ce ne sera pas à Nemours, reprit madame Crémière, et il est bien nommé Bête à vent.

      – Je crois que notre oncle l'a fait exprès pour que nous n'y revenions plus, dit Massin, car il a cligné des yeux en montrant le volume vert à sa petite mijaurée.

      – Si c'est avec ce carillon-là qu'ils s'amusent, reprit le maître de poste, ils font bien de rester entre eux.

      – Il faut que monsieur le juge de paix aime bien à jouer pour entendre ces sonacles, dit madame Crémière.

      – Je ne saurai jamais jouer devant des personnes qui ne comprennent pas la musique, dit Ursule en venant s'asseoir auprès de la table de jeu.

      – Les sentiments chez les personnes richement organisées ne peuvent se développer que dans une sphère amie, dit le curé de Nemours. De même que le prêtre ne saurait bénir en présence du Mauvais Esprit, que le châtaignier meurt dans une terre grasse, un musicien de génie éprouve une défaite intérieure quand il est entouré d'ignorants. Dans les arts, nous devons recevoir des âmes qui servent de milieu à notre âme autant de force que nous leur en communiquons. Cet axiome qui régit les affections humaines a dicté les proverbes: – Il faut hurler avec les loups. – Qui se ressemble s'assemble. Mais la souffrance que vous devez avoir éprouvée

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