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pas ce talent, et puisque tu aimes la chasse, tu auras plus tard occasion de satisfaire ton goût.»

      L'homme ainsi miraculeusement sauvé s'était avancé jusqu'au bord du chenal où venait de stopper la Gallia.

      La baleinière, armée au moment où l'habile tireur accomplissait son exploit, abordait en deux coups de rame au glaçon au milieu duquel les trois ours frissonnaient leur agonie.

      Sur un signe du patron, le malheureux à demi nu, tout grelottant, prenait place dans l'embarcation, pendant que deux matelots munis de grelins, allaient crocher les plantigrades pour les haler sur le pack.

      Mais une difficulté se présente tout d'abord. L'ourse est tellement pesante, qu'on ne peut la mouvoir. Il faut un palan!

      «Tron de l'air! monsieur le dôtur, c'est donc une bestiole conséquente? demande à son interlocuteur le Provençal.

      – Le diable soit de votre bestiole!

      «Mais, mon garçon, ça pèse au moins cinq cents kilos!

      – Bagasse! monsieur… et moi qui n'ai zamais çassé que la grive et l'ortolan.

      – Eh bien! ça vous a joliment fait la main.

      «Ma foi, vous êtes digne de rivaliser avec le héros de Tarascon.

      «Le grand… l'illustre Tartarin, votre homonyme.

      – Faites excuse, monsieur le dôtur, mais je suis né natif de Beaucaire et zamais ze n'ai mis le pied à Tarascon.

      «Ze ne sais pas qui est ce monsieur Tartareïn, dont ce mouçeron de Parisien m'a donné le surnom, et qu'il m'appelait chasseur de casquettes…

      – Je vous ferai connaître ce héros dont un de nos plus illustres écrivains, votre compatriote, M. Daudet, a écrit les aventures extraordinaires, mais authentiques!

      «Le livre est dans la bibliothèque, vous le dégusterez pendant l'hivernage.

      «Et maintenant, comme à un tireur de votre force il faut une arme digne de lui, je suis heureux de vous offrir cette excellente carabine anglaise de Dougall.

      – Mais, monsieur… je ne veux pas vous priver de…

      – J'en ai une autre toute pareille.

      «Allons ne faites pas la petite bouche… acceptez!..

      «Sur ce, mon brave, allons voir vos victimes que l'on hisse en ce moment à bord.

      «Nous ferons l'autopsie ensemble.»

      VIII

      Histoire d'Oûgiouk. – Comment on déshabille un ours polaire. – Capacité d'un estomac groenlandais. – Un amateur de tripes. – Symphonie de blanc et de bleu. – La tempête. – Déviations de la boussole. – A Port-Foulque. – Forêts en miniature. – A terre. – Tentative malheureuse d'un cocher improvisé. – Des effets d'une morue sèche sur un attelage récalcitrant. – Un ours blessé.

      Le docteur n'avait point exagéré le poids réellement surprenant du monstre si proprement dépêché par Dumas dit Tartarin, cuisinier de la Gallia.

      La femelle pesait cinq cent cinquante kilogrammes, et les oursons chacun trois cents.

      Une véritable montagne de victuailles, et trois fourrures splendides qui furent préparées ultérieurement d'après le procédé groenlandais, par le nouveau passager, désormais en sûreté à bord, grâce au tour d'adresse exécuté par monsieur Dumas.

      Le pauvre diable, fou de terreur, claquant des dents, à la pensée du danger auquel il a miraculeusement échappé, raconte son histoire.

      Oh! très sommairement. Car, en sa qualité d'Esquimau pur sang, de nomade errant sur le désert de glace, il possède un vocabulaire des plus restreints. Une centaine de mots anglais ou danois, accrochés de bric et de broc, en fréquentant les baleiniers.

      Quelques matelots de la Gallia sont eux-mêmes nantis d'un nombre égal d'expressions groenlandaises.

      Avec beaucoup de gestes et pas mal de bonne volonté, on finit par s'entendre.

      L'homme était le chef d'un petit clan anéanti l'année précédente par la variole. Ainsi réduit à une épouvantable solitude, il avait hiverné sur la côte, dans une hutte de neige. Manquant de provisions, réduit à manger ses chiens, il cherchait à rallier Upernavik, au moment où la goélette franchissant la baie de Melville se trouvait arrêtée par les glaces.

      L'apparition du navire modifia aussitôt ses intentions. Le prenant pour un baleinier, il résolut de venir offrir au capitaine ses services, ou tout au moins de lui demander assistance. Il se mit en marche sur le floe, mais, tout en cheminant, fut éventé de loin par une famille d'ours blancs qui lui donnèrent la chasse.

      Telle fut à peu près la substance du récit, nécessairement fort incomplet, que fit à ses sauveurs le Groenlandais Oûgiouk, c'est-à-dire le Grand-Phoque, dont le nom revint à satiété, pendant la narration.

      Il termina en disant qu'il avait faim, qu'il avait soif, et ne savait que devenir. Les capitaines blancs en général étant des pères pour les Esquimaux, le capitaine de la goélette était son père, à lui, Oûgiouk. Il ne pouvait, par conséquent, le laisser dans la détresse. Bref un petit boniment point maladroit, et rendu intéressant par la bonne figure sympathique et la situation cruelle du postulant.

      Bien que d'Ambrieux eût résolu en principe de n'adjoindre à son œuvre que des éléments exclusivement français, l'humanité lui faisait un devoir de garder à bord le Grand-Phoque. Impossible, en effet, de le rapatrier, puisque le temps manquait. Impossible également de le renvoyer à Upernavik avec un traîneau, des vivres et des chiens, le nombre de ces auxiliaires à quatre pattes étant à peine suffisant.

      Donc, Oûgiouk restera sur la goélette en qualité de passager.

      Enfin rassuré sur les éventualités du lendemain, se croyant matelot pour tout de bon, passablement excité par une rasade copieuse qui l'a fortement allumé en éteignant sa soif, le Grand-Phoque devient étonnamment prolixe. Il baragouine, interpelle un à un les marins, veut savoir leur nom, court visiter les chiens et les fait aboyer avec fureur, en leur jetant des syllabes gutturales, et finalement revient près des trois ours.

      Cet amas de chair fraîche l'attire, le fascine d'autant plus qu'il est à jeun, et que les provisions de la cambuse ne paraissent pas l'allécher outre mesure.

      Ses petits yeux bridés scintillent comme des diamants noirs, sa bouche palissadée de défenses à rendre jaloux un morse, s'entre-bâille jusqu'à ses oreilles, et ses joues, de la nuance d'une vieille casserole graisseuse, se gonflent comme deux outres, quand l'hiatus qui sépare le nez du menton se ferme, dans le mouvement rythmique d'une mastication imaginaire.

      Dumas s'est emparé de l'ourse, et armé du grand couteau professionnel, détache par principes la peau du colosse.

      Mais les principes du maître-coq ne sont pas ceux de l'homme des glaces qui proteste avec véhémence, et finalement enlève des mains de son sauveur le vaste tranche-lard.

      Avec une adresse merveilleuse et une célérité inouïe, ma foi, ce petit homme rabougri, tontonnant, remuant, bavard, coupe, rogne, dissèque, écorche, décolle, arrache, tant et si bien, que l'animal est déshabillé en un tour de main.

      A présent, la curée.

      C'est plus curieux encore. Un seul coup suffit à ouvrir l'abdomen et à faire surgir de la cavité béante, un véritable monceau d'entrailles fumantes.

      Oûgiouk saisit le foie, crache dessus et le lance par-dessus bord au grand scandale du cuisinier.

      «Laissez-le faire, interrompt le docteur.

      «Il a parfaitement raison, car le foie de l'ours est très malsain.

      «On peut même être empoisonné si on a l'imprudence d'en manger.

      «Je profite de l'occasion pour vous recommander de vous en abstenir en toute circonstance, comme aussi du foie de phoque.»

      Les

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