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dudit mois de juin sur les trois heures après minuit, en l'hôtel du prince de Condé (dit aujourd'hui de Montpensier), rue de Grenelle. Elle décéda en l'âge de quarante-trois ans; son corps embaumé et mis dans un cercueil de plomb, couvert d'un velours noir, sans croix, flambeaux, ni armoiries, selon la nouvelle religion, fut porté en la chapelle de Vendôme, auprès de son mari.

      «Quelques écrivains, pour taxer la mémoire des défunts rois de France Charles IX et Henri III d'heureuse mémoire, ont, par une extrême impudence, laissé par écrit, poussés plutôt d'un zèle inconsidéré de leur religion que de la vérité, que cette grande et docte princesse était morte ayant senti des gants empoisonnés; d'autres, qu'elle avait été empoisonnée d'un boucon qu'on lui donna, priée de souper chez le duc d'Anjou, depuis roi Henri troisième du nom. Ecrivains convaincus de mensonge par le témoignage des officiers domestiques de la feue reine, par la relation desquels l'on apprend qu'elle mourut pulmonique. Elle avait donné charge à ses médecins qu'après sa mort elle fût ouverte, et sa tête particulièrement, pour savoir le sujet d'une démangeaison qu'elle avait ordinairement sur icelle, à ce que si cette maladie était héréditaire aux prince et princesse de Navarre ses enfants, on y pût remédier. Son test (crâne) fut donc scié par un chirurgien de Paris nommé Desneux, en la présence de Caillart, médecin ordinaire de ladite reine Jeanne, et de sa religion: y furent trouvées certaines petites bulbes pleines d'eau entre le crâne et la taie du cerveau, sur laquelle s'épandant, elles causaient cette démangeaison. Au reste, cette taie du cerveau était belle et nette, ce qui n'eût été si on l'eût empoisonnée par des gants parfumés. Son corps fut pareillement ouvert, toutes les parties nobles lui furent trouvées saines et entières, les poumons exceptés, lesquels se trouvèrent gâtés du côté droit, avec une dureté et callosité extraordinaire et une apostème assez grosse, laquelle s'étant crevée dans le corps, fut cause de la mort de la reine.»

      La version du vieil écrivain sur les derniers moments de Jeanne d'Albret est celle que l'histoire sérieuse a retenue, celle qui prévaut aujourd'hui, à travers les controverses passionnées de trois siècles. L'accusation d'empoisonnement aurait pu se produire, avec quelque apparence de raison, après le mariage de Henri: commis à ce moment, le crime eût été peut-être profitable; auparavant, il était nuisible et absurde. Il fut soupçonné, pourtant, et longtemps encore après l'événement; et même de nos jours, la thèse qui en fait la preuve contre la vérité et la raison se perpétue dans plus d'un livre nouveau. Il y a une école d'historiens, recrutée dans tous les camps, qui semble s'être vouée à la réhabilitation des anciennes erreurs.

      La reine de Navarre mourut en pleine possession d'elle-même. Elle comprit, dès la première atteinte du mal, qu'elle allait, selon son expression, «entrer du tout (entièrement) dans l'autre vie», et se prépara avec résignation à ce terrible passage. Son testament porte l'empreinte d'une âme forte et religieuse13. La conscience humaine a pu hésiter, en d'autres temps, devant cette femme extraordinaire. Aujourd'hui que, sans l'emporter peut-être sur les générations du XVIe siècle, nous sommes loin des passions qui les armaient les unes contre les autres, nous ne saurions nous abandonner ni au dénigrement systématique, ni à l'admiration sans bornes. La mère de Henri IV eut un grand cœur et une âme royale, double héritage que recueillit et fit fructifier son fils. L'esprit de fanatisme lui dicta des actes iniques et attentatoires à la liberté humaine, qu'elle s'imaginait servir mieux que les catholiques; mais qui donc, à cette époque, surtout parmi les têtes couronnées, respecta toujours la liberté, fut constamment fidèle à la justice? Les deux auteurs du démembrement du royaume de Navarre furent un pape et un roi, Jules II et Ferdinand le Catholique, le souverain laïque agissant avec l'épée, le souverain religieux fulminant l'interdit, tous deux d'accord pour punir Jean, roi de Navarre, aïeul de Jeanne d'Albret, de n'avoir pas voulu trahir le roi de France, son allié et leur adversaire. Le souvenir de cette double iniquité, qui vécut toujours au cœur des petits souverains de Pau, ne suffirait pas, néanmoins, pour expliquer l'apostasie et le fanatisme de Jeanne d'Albret; mais il faut rappeler aussi les caresses prodiguées par Marguerite de Valois à la Réforme, et dont Jeanne fut témoin; il faut relire l'histoire des palinodies d'Antoine de Bourbon, contre qui Jeanne défendit, quelque temps, ses croyances traditionnelles, et qu'elle suivit enfin dans l'Eglise calviniste, mais lentement, à mesure que la conviction et la passion la maîtrisaient, et pour n'en plus sortir, pour en sortir d'autant moins que son mari en sortit lui-même, un peu avant sa mort, par ambition personnelle, au moment où ses fausses vues politiques et les scandaleux dérèglements de sa vie frappaient deux fois au cœur la reine de Navarre. L'histoire ne doit ni amnistier, ni excuser, mais expliquer. A la lumière de ses explications, Jeanne d'Albret nous apparaît comme une statue qui, vue de profil, resplendirait de beautés héroïques, et vue de face, attristerait le regard par ses difformités.

      CHAPITRE IX

      Henri roi de Navarre. – Ses hésitations à Chaunai. – Il entre dans Paris avec huit cents gentilshommes. – Son mariage. – La Saint-Barthélemy. – Le «Discours de Cracovie». – La préméditation. – Le roi de Navarre et le prince de Condé sommés d'abjurer. – Conséquences de l'abjuration. – Abjuration forcée, comédie obligatoire. – Comment Henri joua son rôle. – Révolte de La Rochelle. – Siège de La Rochelle. – Défense héroïque. – Le duc d'Anjou élu roi de Pologne. – Accommodement avec les Rochelais. – L'édit par ordre. – Le massacre de Hagetmau. – Naissance du parti des «Malcontents». – Le duc d'Alençon et ses complots. – La conspiration de 1574. – La déposition du roi de Navarre. – Les calvinistes reprennent les armes et sont combattus par trois armées royales. – Mort de Charles IX. – Ses dernières paroles au roi de Navarre. – Henri III fait bon accueil à son beau-frère. – Autres complots du duc d'Alençon. – Il s'échappe de la cour et se ligue avec les protestants. – Le roi de Navarre médite un projet d'évasion.

      Henri, désormais roi de Navarre, reçut à Chaunai, petite ville du Poitou, la nouvelle de la mort de sa mère. Terrassé par ce coup inattendu, le prince fut saisi de telles angoisses, qu'une fièvre violente s'empara de lui et l'empêcha de se remettre en route. Le 13 juin, il n'avait pas encore quitté Chaunai, d'où il écrivait la lettre suivante au baron d'Arros, lieutenant-général en ses Etats souverains. Il avait déjà pris connaissance du testament de Jeanne d'Albret, et il fait allusion à ce document: «J'ai reçu en ce lieu la plus triste nouvelle qui m'eût dû advenir en ce monde, qui est la perte de la reine ma mère, que Dieu a appelée à lui ces jours passés, étant morte d'un mal de pleurésie qui lui a duré cinq jours et quatre heures. Je ne vous saurais dire, Monsieur d'Arros, en quel deuil et angoisse je suis réduit, qui est si extrême que m'est bien malaisé de le supporter. Toutefois, je loue Dieu du tout. Or, puisque, après la mort de ladite reine ma mère, j'ai succédé à son lieu et place, il m'est donc de besoin que je prenne le soin de tout ce qui était de sa charge et domination; qui me fait vous prier bien fort, Monsieur d'Arros, de continuer, comme vous avez fait en son vivant, la charge qu'elle vous avait baillée en son absence, en ses pays de là, de la même fidélité et affection que vous avez toujours montrée, et tenir principalement la main à ce que les édits et ordonnances faites par Sa Majesté soient à l'avenir, comme je désire, gardés et observés inviolablement, de sorte qu'il ne soit rien attenté ni innové au contraire; à quoi je m'assure que vous vous emploierez de tout votre pouvoir…»

      Le roi de Navarre débattit assez longtemps en lui-même et avec ses conseillers la résolution qu'il convenait de prendre. La prolongation de son séjour à Chaunai menaçait de ruiner tant de projets, du côté des huguenots comme du côté de la cour, que, des deux parts, il était assailli de sollicitations. Enfin, pressé par Coligny lui-même, il partit, accompagné du prince de Condé et de huit ou neuf cents gentilshommes, et entra dans Paris, le 20 juillet. Malgré la cordialité de l'accueil qu'il y reçut du roi, de la reine-mère et de leur entourage, Henri partagea difficilement la confiance et la satisfaction de ses coreligionnaires: des incidents de toute sorte surgissaient à chaque instant, qui, à trois siècles de distances, nous semblent avoir été de clairs avertissements. L'inaltérable bienveillance de Catherine, la débonnaireté subite et imperturbable de Charles IX à l'égard des huguenots, les indiscrétions

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<p>13</p>

Appendice: II.